Pour le président du Crif, la montée de l'antisémitisme s'explique par de nombreux renoncements...interview...
Comment vivez-vous ces lendemains d'attentats ?
ROGER CUKIERMAN. C'est un climat détestable. La communauté juive était déjà traumatisée par la spectaculaire progression des actes racistes en 2014. Nous ne sommes que 1 % de la population, mais visés par 50 % de ces actes hostiles. Le mot juif est devenu une insulte dans les écoles de la République. On s'y traite de juif comme on se traiterait de salaud. Aucun autre lieu de culte que le nôtre doit en France être protégé par la police. Il y a eu Merah à Toulouse, Nemmouche à Bruxelles. Maintenant Paris. La plus grande inquiétude règne.
Quelles seront selon vous les conséquences sur la communauté juive ?L'aliya (NDLR : retour en Israël) va s'intensifier. Elle doublera alors que la France était déjà le premier pays de départ en 2014 avec 7 000 retours. Tout cela a été accentué par le vote de reconnaissance de la Palestine par la France et a créé un environnement qui fait que les juifs de France se sentent un peu comme des parias dans cette nation où ils sont intégrés depuis 1791, ont eu un Premier ministre, des prix Nobel et même un cardinal (NDLR : M gr Lustiger) ! Comment croire après autant de siècles de présence que les juifs se sentent rejetés de la nation !
Qui en est responsable, selon vous ?
Ce n'est qu'une petite partie des musulmans qui se retrouvent dans cette attitude haineuse, heureusement. Cela touche des jeunes de banlieue qui se sentent rejetés et sont devenus des pôles d'attraction pour les extrémismes de tout bord.
La façon dont le gouvernement a géré la crise vous a-t-il rassuré ?
Il ne s'agit pas de juger tel ou tel gouvernement. Ce que l'on vient de connaître est le produit de trente années de non-gestion de l'immigration venue d'Afrique du Nord. Ce que l'on paie aujourd'hui est le fruit de l'échec total de l'école de la République où les professeurs n'osent plus enseigner la Shoah. L'échec, aussi, du système pénitentiaire où l'enseignement de la charia est devenu une activité banale. L'échec, encore, du contrôle d'Internet -- certes difficile -- et des propagandes jihadistes. Et que dire du laisser-faire vis-à-vis d'un pseudo-comique qui peut encore utiliser des salles nationales ? C'est toute une série de laxismes, dans tous les secteurs de la société française, qui est responsable. La République a laissé faire au nom d'une sorte de crainte révérencielle. Certains ont peut-être pensé aussi au poids électoral des musulmans. La France n'est pas assez combative contre l'antisémitisme. Tout cela bénéficiera au FN.
N'êtes-vous pas excessivement pessimiste ?
Dans les années 1930, il y avait deux sortes de juifs allemands : les pessimistes, qui ont fini à New York ; les optimistes, à Auschwitz !
Pourtant, les marches se multiplient. Vous ne croyez pas à l'indignation profonde du pays ?
Je souhaite qu'aujourd'hui souffle l'esprit du vivre-ensemble et que les Français soient ressoudés. Nous avions demandé au président de faire de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme une cause nationale. Plus que jamais, nous le lui redemandons. Les juifs sont très sensibles à toute atteinte à leur dignité. Ils ne céderont pas à la panique. Mais imaginez tout de même, si chaque boucherie casher doit désormais être protégée par la police !Source Le Parisien