Décédé le 5 Chevat 5665 (1905), rabbi Yéhouda Leib Alter, dit le «
Sfat Emet », constitue pour un très grand nombre de Juifs dans le monde – et non
pas seulement pour la ‘Hassidout de Gour dont il est l’un des piliers – un
passage obligatoire de la Emouna et de la pensée juive...Rappel...
Un homme et sa communauté
Né à Varsovie en 1847, rabbi Yéhhouda Leib Alter - dit le « Sfat Emet » - était le petit-fils de rabbi Its’hak Méïr, également connu sous l’acronyme du « Rim », en référence à son livre monumental intitulé : le « ‘Hidouché haRim », un recueil portant aussi bien sur la Guémara que sur le Choul’han Aroukh, et qui est de nos jours encore largement consulté dans le monde de l’étude.
Le grand-père du « Sfat Emet » décède alors que rabbi Yéhouda n’a que dix-neuf ans.
C’est alors le rabbi ‘Hanokh Heynekh d’Alexander qui endossa la responsabilité de la ‘Hassidout pendant quatre années seulement. A la mort de ce dernier, une très grande partie de la communauté se rend à la surprise générale devant le domicile de Reb Yéhouda Leib Alter qui n’a alors que 23 ans pour l’accueillir comme nouveau flambeau de leur spiritualité !
De ce jour et jusqu’à son décès le 5 Chevat 5665 (1905), il dirigera des milliers de familles juives dans la ville de Gora Kalwaria d’où le nom de « Gour » tire son origine.
Comme il fut très attaché à ses disciples, nombreux sont les témoiggnages qui soulignent sa préoccupation permanente et l’inquiétude qui furent siennes lors de la guerre qui opposa la Russie au Japon en Mandchourie, alors qu’il était lui même atteint d’une maladie déclarée incurable.
En effet, ses proches ont raconté qu’alors que le « Sfat Emet » se trouvait dans sa dernière année, nombreux de ses élèves - dont l’étude de la Torah était la principale occupation - furent enrôlés de force dans l’armée russe pour être envoyés au front.
Comme il s’inquiétait du sort de chacun d’eux et craignant pour leur vie, on témoigne que pendant toute la durée de la guerre, le rav ne dormit pas sur un lit, mais à même le sol avec son manteau… Le matin, lorsqu’il se levait, ce vêtement était trempé des larmes qu’il avait versées pendant toute la nuit. A telle enseigne que l’Admour de So’hatchov, le « Avné Nézer » fit ce témoignage : « Pour quelle raison notre maître décéda d’une maladie inconnue ? Parce qu’il est écrit noir sur blanc dans le Traité talmudique Baba Kama – page 92/a : ‘Tout celui qui demande dans sa prière que la Miséricorde divine soit accordée à son prochain alors qu’il en a lui-même besoin, sera exaucé en premier’. Or, le Sfat Emet a prié et demandé que la miséricorde soit accordée à une multitude de ‘Hassidim atteints de toutes sortes de maladies très diverses.
Il convenait donc qu’il soit exaucé en premier ! Mais en réallité, c’est parce que la maladie qui l’emporta était inconnue - aucun de ceux qu’il connaissait ne l’ayant jamais contractée - que jamais il ne pria en ce sens. Voilà pourquoi, quand son heure fut venue de rejoindre la maison d’étude céleste, il fut précisément touché par cette maladie », (extrait du livre « Roch Golat Ariel », 1ère partie, page 166).
Rabbi Yéhouda Leib Alter mit au monde quatre garçons : rabbi Abraham Mordékhaï Alter (le « Imré Emet ») qui le remplaça après son départ ; rabbi Moché Bétsalel Alter qui disparut durant la Shoah ; rabbi Né’hémia Alter, et rabbi Mena’hem Mendel Alter qui fut rabbin à Kalich.
Le gai savoir
La pensée du rav Alter est exposée dans son ouvrage sur la Torah ainsi que sur la Guémara, qui porte le nom de « Sfat Emet » (La langue de vérité). Et ce, en référence au verset « Sfat Emet Tikon laAd [La langue de vérité est éternelle] », (Proverbes 12, 19).
Il s’agit probablement de l’un des commentaires sur la Torah parmi les plus ardus. En effet, son mode d’exposition est tellement direct et les idées – seulement évoquées – réduites la plupart du temps à leur strict minimum, tant et si bien que si l’on espère comprendre en profondeur les différentes thèses présentées, il est nécessaire de passer en revue non seulement de multiples versets, Midrachim et autant d’extraits du Zohar évoqués (la plupart du temps sans référence précise), mais aussi les autres passages de son oeuvre où une même idée est exposée. On comprendra donc en quoi le sens des analyses que l’on trouve dans le « Sfat Emet » est la plupart du temps laissé à l’appréciation de ses lecteurs...
A ce propos, on peut signaler que ce mode d’exposition qui ne laisse pas deviner de prime abord ses raisons profondes constitue l’une des originalités fondamentales de la pensée ‘hassidique : le texte n’est pas scellé par la rhétorique rationnelle à laquelle semble devoir pourtant se plier toute pédagogie.
Au contraire, c’est la voie de l’ouverture – à tous les niveaux de conscience et de connaissance – qui prime ! On pourrait affirmer en ce sens qu’il y a autant de « Sfat Emet » que d’interprètes du « Sfat Emet », et que ce trait caractéristique souligne la profonde humillité de rabbi Yéhouda Leib Alter et la force de son amour du prochain prôné par la ‘Hassidout en général…
S’il fallait malgré tout définir les grands axes de la pensée du « Sfat Emet », nous devrions tout d’abord distinguer deux domaines distincts que le rav Alter parcourt et enchevêtre avec une habilité déconcertante.
Le premier, c’est le renversement de nombreux postulats de la pensée philosophique – plus particulièrement le principe de non-contradiction – grâce auquel il nous offre un éclairage inimitable des grands principes fondateurs de la Emouna.
Le second consiste en l’exposition des valeurs authentiques de la ‘Hassidout autour d’un message mettant au premier plan l’homme juif dans sa subjectivité première et les responsabilités qui lui incombent – en vertu de l’exigence imposée par la temporalité juive, la Torah et ses Mitsvot . On y reconnaîtra toujours un amour profond du peuple juif et une gaieté de coeur sans précédent, deux moteurs essentiels d’une pédagogie réussie…
On rappellera à cet égard les mots prononcés par son premier né, le « Imré Emet », le rav Abraham Mordékhaï Alter à la fin des sept jours de deuil du Sfat Emet: « Au sujet du verset qui décrit les derniers mots que Yaacov fit transmettre à son fils Yossef : ‘Pardonne leur tort aux serviteurs du D.ieu de ton père’, (Béréchit, 50, 17), Rachi écrit : «Si ton père est mort, son D.ieu est bien là (Kayam), et ils sont ses serviteurs». Nous-mêmes, ses fils, nous pouvons dire que bien que notre père soit mort, son D.ieu est bien là : cette compréhension de D.ieu qu’il sut nous insuffler est bel et bien vivante !
Par Yehuda Ruck
Source Chiourim