lundi 1 juillet 2013

L'autel de Josué sur le mont Eval


   

Le débat sur les conditions d'émergence de

la nation israélite est illustré par un ensemble de découvertes peu connues, faites par des archéologues de l'Université de Haïfa, qui montrent de manière significative les difficultés d'interprétation des anciens vestiges et les controverses qu'ils peuvent provoquer.

 
Un assemblage de pierres original
 
En 1978, l'équipe d'archéologues du professeur Adam Zertal, de l’Université de Haifa, prospecta sur le mont Ebal, proche de Sichem en Samarie, à la recherche d'éventuels vestiges antiques. Les chercheurs avançaient à pied en scrutant le sol lorsque leur attention fut attirée par un volumineux tas de pierres entouré de quelques tessons de poteries. Ils dégagèrent le tumulus et virent apparaître une structure de forme originale : un assemblage rectangulaire de pierres brutes muni d'une rampe d’accès en légère pente.
 
Un tas de pierres qui allait révéler bien des surprises.
 
Une structure inhabituelle apparaît peu à peu
 
Autour et à l'intérieur de la structure furent également mis au jour des murets secondaires, ainsi que de nombreux artéfacts tels que des poteries, des ossements d'animaux brûlés, de la cendre et des morceaux de plâtre. Le type de terres cuites trouvées sur place permit de dater l'occupation du site du début de l'âge du fer, entre les XIIIème et XIIème siècles avant notre ère.
On trouva également deux petites amulettes égyptiennes en forme de scarabées, qui portaient des motifs gravés représentant une sorte de rosace et deux cobras. Ce type d'amulette déjà connu existe en cinq exemplaires, qui remontent aux règnes de Ramsès II et de Ramsès III ; ces âges sont en accord avec ceux des autres poteries du mont Ebal.
 

 

 
Les ossements d'animaux calcinés furent envoyés en laboratoire pour être soumis à une étude détaillée. C'étaient ceux de jeunes mammifères âgés de moins d'un an et appartenant à quatre espèces uniquement : chèvres, bovins, moutons et daims.
La disposition du site ne ressemblant à rien de connu, les archéologues en cherchèrent vainement une interprétation satisfaisante. Deux hypothèses furent formulées, celle d’une tour de guet et celle d’une ferme, propositions toutefois peu convaincantes selon les chercheurs qui l'avaient dégagé.
 
 
Une toute autre explication vint en 1983 lorsqu'un jeune archéologue de passage, David Eitam, suggéra que la clef de l'interprétation du site devait se trouver dans les ossements brûlés. Zertal pensa alors à un autel à sacrifices, et se documenta sur les pratiques hébraïques en matière de sacrifices d'animaux. Se référant à l’Ancien Testament, il trouva alors deux passages des livres du Deutéronome et de Josué qui relataient précisément l’édification d’un autel israélite sur le mont Ebal en Samarie.
Ces brefs passages de l'Ecriture rapportent en effet la construction d'un autel sur cette colline peu après l'entrée en Terre promise, juste après la prise de Jéricho et celle de Aï (Dt. 27, 1-13 ; Js. 8, 30-35). Une cérémonie religieuse y aurait été célébrée par Josué en présence du peuple hébreu rassemblé. L'Arche d'Alliance aurait été exposée sur le mont et le peuple aurait renouvelé son alliance, une moitié des Hébreux se tenant d'un côté sur le mont Ebal et l'autre sur le mont Garizim voisin.
 
 
 
A la lumière de ces deux textes, les éléments archéologiques mis au jour trouvèrent désormais un sens. Les ossements brûlés étaient ceux des animaux sacrifiés sur l’autel ; ils appartenaient précisément à des espèces cachères décrites dans la Bible. La date du XIIIème siècle av. J.-C. donnée par les poteries et les scarabées pour l'occupation du site pouvait correspondre à l'époque de l‘entrée des Israélites en Canaan.
Un éclairage supplémentaire se révéla lorsque les chercheurs esquissèrent sur le papier une reconstitution probable de l'autel dans son état d’origine. Ils réalisèrent à leur grand étonnement que sa forme était quasiment identique à celle d'un autre autel élevé près du Temple de Jérusalem et décrit dans la littérature rabbinique du Talmud. On retrouvait exactement la même disposition rectangulaire surélevée et munie d'une rampe d'accès.
 
Autel du Temple de Jérusalem. Reconstitution.
 
Quoique plus de mille ans séparaient les deux constructions, leur similarité dénotait la conservation d'une même tradition dans la manière de construire les autels.
La découverte faite sur le mont Ebal apporta des éléments d'un intérêt crucial, car elle concernait l'époque présumée de la conquête de la Terre promise assez mal documentée en dehors de la Bible. Bien que ce site archéologique soit encore peu connu du public, il constitue l'un des témoignages qui s'accordent le mieux avec un épisode biblique de l'établissement des Hébreux en Canaan.
Cependant la publication de ces résultats provoqua de vives protestations dans le monde universitaire, car les conclusions exprimées allaient à l'encontre de l'idée répandue selon laquelle la conquête biblique de la Terre promise relevait du mythe plutôt que de l'Histoire.
 
Des enclos en forme de pieds
 
Mais les surprenantes découvertes du professeur Zertal ne s'arrêtèrent pas là. Dans les années 1990, son équipe mit au jour dans les collines situées à l'ouest de la vallée du Jourdain une série de curieux enclos formés par des murets, dont la particularité résidait dans leur plan qui ressemblait à d'immenses traces de pas humains.
 
 Vue aérienne de l'un des enclos en forme de pied
 
Relevé topographique de la structure
 
Les fouilles que Zertal effectua dans et autour de ces enclos précisèrent les caractéristiques de ces "pieds géants". Les murs assemblés en pierres sèches ne dépassaient pas un mètre de haut, et deux d'entre eux étaient entourés d'un chemin pavé qui encerclait leur clôture. Des restes de vaisselle et d'ossements d'animaux furent trouvés et permirent de dater leur occupation au tout début de l'âge du fer, c'est-à-dire autour du XIIème siècle avant notre ère. Les assemblages de pierres de cette forme sont au nombre de cinq, disposés sur une ligne de plusieurs kilomètres longeant la vallée du Jourdain puis s'infléchissant vers l'ouest jusqu'au mont Ebal.
 Qui étaient les bâtisseurs de ces enclos et quelle était leur raison d'être ? Là aussi, Adam Zertal chercha une interprétation dans l'Ancien Testament. Comme l'entrée du peuple hébreu en Canaan peut être placée chronologiquement au début de l'âge du fer, il proposa d'assimiler ces sites à des campements militaires utilisés par le peuple d'Israël sous Josué. Il fit un lien avec le site de Guilgal mentionné dans la Bible comme étant le ou les camps de base des expéditions guerrières dirigées par Josué.
 
L'extrémité d'un des enclos en forme de pieds
 
Quelle autre explication suggérer ? La disposition des enclos suit un tracé conduisant de la région de Jéricho au mont Ebal. L'image des pieds pourrait matérialiser l'entrée et la prise de possession d'un territoire, un symbole que l'on retrouve également dans la culture égyptienne. Le chemin pavé qui ceinture chaque mur a peut-être servi à des processions rituelles. La disposition des enclos, leur situation et leur datation, en font les premières traces possibles de campements hébreux du temps de Josué.