Le principal aéroport d’Israël dispose de l’un des meilleurs systèmes de sécurité du monde, mais faut-il que ce soit au détriment des passagers ?
Hind Rejwan n’est pas près d’oublier le jour où son mari et elle, alors jeunes mariés, ont voulu s’envoler pour l’Italie. « Dès notre arrivée, on nous a traités avec suspicion. J’étais enceinte de trois mois et je prenais soin de ne pas passer trop près des machines à rayons X », raconte-t-elle. Un souci qui ne fait ni chaud ni froid au personnel de sécurité de l’aéroport. Après avoir subi une rapide série de questions et un contrôle des passeports, le couple est conduit autour d’un comptoir en U pour un examen des bagages. « Là, devant plusieurs autres passagers, les employés ont commencé à vider ma valise. Ils prenaient mes sousvêtements un par un et les levaient à bout de bras pour les examiner individuellement. Ils ont obligé mon mari à boire la bouteille d’eau qu’il avait dans son sac, afin de prouver qu’elle n’était pas empoisonnée, et ils nous ont fait manger devant eux tous les bonbons d’un paquet que nous avions acheté. » L’examen dure deux heures. Hind ne cesse de répéter qu’elle et son mari sont fonctionnaires du gouvernement israélien.
« Je les suppliais d’aller vérifier, mais ils ne voulaient rien entendre. » Le couple est ensuite emmené dans une autre salle. « On aurait dit qu’ils cherchaient juste à passer le temps. Ils nous ont fait vider nos portefeuilles et ont contrôlé chaque shekel individuellement pour voir s’ils n’étaient pas faux. » Ce n’est que cinq minutes avant l’heure du départ que les Rejwan sont escortés jusqu’à la porte d’embarquement et qu’ils peuvent monter dans l’avion.
Dix ans ont passé depuis, mais le souvenir reste vif. Hind et son mari, qui travaillent toujours pour le gouvernement, ont engagé une procédure judiciaire contre les services de sécurité de l’aéroport.
« Nous n’avons jamais compris pourquoi nous représentions une menace, si ce n’est que nous avions des noms arabes », dit-elle. « Nous sommes citoyens israéliens, fonctionnaires du gouvernement, qui nous fait assez confiance pour nous laisser travailler tout près de la Knesset. Alors pourquoi ne pouvons-nous pas prendre tranquillement l’avion dans l’aéroport de notre pays ? »
Une méthode encensée et critiquée
Cet incident n’est pas isolé. Beaucoup de voyageurs, qu’ils soient arabes ou touristes étrangers, juifs ou non juifs, se plaignent de contrôles interminables, invasifs et humiliants, subis à l’aéroport Ben-Gourion. Il faut dire que l’aéroport est le principal point de liaison entre Israël et le monde extérieur, puisqu’il y a peu de trafic de voyageurs aux frontières jordanienne et égyptienne.
Kafkaïen : tel est le qualificatif généralement utilisé par les victimes de ces contrôles jugés abusifs, que ce soit en Israël ou dans le pays d’origine, au départ du vol.
Un problème dont n’ont pas conscience la plupart des Israéliens et des juifs étrangers, dans la mesure où le personnel de sécurité pratique le profilage, une méthode à la fois encensée et critiquée à travers le monde.
Selon un récent reportage télévisé de la deuxième chaîne israélienne, l’aéroport inaugurera bientôt un nouveau système d’examen des bagages qui devrait réduire le temps d’attente et la nécessité de fouiller les valises à la main.
Cependant, il ne semble pas que cette nouveauté changera le processus de profilage ni les fouilles au corps dont se plaignent certains voyageurs.
Le terminal 3 de l’aéroport Ben-Gourion, d’où arrivent et partent tous les vols internationaux, a ouvert en grande pompe en 2004. Avec ses 110 comptoirs d’enregistrement, l’immense hall des départs (10 000 m2) peut gérer un large volume de trafic : 12 millions de passagers y passent chaque année pour emprunter les 95 000 vols commerciaux.
En 2012, 3,5 millions de touristes étrangers y ont débarqué.
Rafi Sela, 65 ans, président de l’entreprise de consultants AR Challenges et expert en sécurité des transports internationaux, a travaillé avec l’Autorité des aéroports d’Israël (AAI) et le Shin Bet (Agence de sécurité israélienne) lors de la conception du terminal 3. Pour lui, il est clair que le système de sécurité de cet aéroport est le meilleur du monde. L’AAI est en effet la seule organisation qui effectue les contrôles de sécurité en fonction des besoins du moment et selon des règles professionnelles définies par le Shin Bet et la police israélienne.
Soit des militants d’extrême-gauche, soit des Arabes
En arrivant à l’aéroport, les passagers subissent une série de questions initiales qui peut mener à des séances d’interrogatoires beaucoup plus longues.
« Ce sont vos intentions qui nous intéressent », explique Sela, ajoutant qu’Israël est, plus que tout autre pays, exposé à des menaces sécuritaires. « Nous devons donc prendre des mesures très sévères. Et notre système fonctionne, il fonctionne depuis des années. En trente ans, il n’y a pas eu un seul attentat contre des avions israéliens qui n’ait pas été déjoué.
« Le plus important pour nous, c’est que le personnel de sécurité reçoive une formation et un entraînement adéquats. Ceux qui posent les questions sont très bien formés, très bien entraînés, et sous surveillance permanente. C’est réellement l’un des meilleurs systèmes du monde. Seulement, nous employons des étudiants et des jeunes qui viennent de terminer l’armée et qui ne sont ni très mûrs ni très délicats.
On leur demande de juger ce qui se passe, tout le processus est très subjectif et il est très difficile de leur imposer de rester polis dans les interrogatoires, lorsqu’ils se trouvent devant des individus qu’ils estiment suspects. » Pour définir ces « suspects » issus du profilage, Sela n’y va pas par quatre chemins : « Ce sont soit des militants d’extrême-gauche, soit des Arabes », reconnaît-il.
Tous les Arabes ne sont pas profilés comme suspects cependant, mais quand ils font partie d’une hamoula (grand clan familial) dont un ou plusieurs membres sont en prison pour terrorisme, ils sont d’emblée soupçonnés. « On les repère tout de suite et ils sont alors soumis à un interrogatoire très rigoureux et pas très agréable, je le reconnais. Ils se sentent forcément humiliés et c’est très pénible pour eux. »
La fouille au corps, toujours désagréable
Les réactions des individus catalogués comme des menaces varient de l’abattement à la moquerie. Yara Dowani, 21 ans, est palestinienne. Née à Jérusalem est, elle est étudiante en management à l’université européenne de Barcelone. Elle revient en Israël en moyenne trois fois par an.
« Cela commence déjà à l’entrée de l’aéroport (à 1 km du terminal) : là, si vous dites que vous venez d’une zone arabe, on fouille votre voiture pendant une trentaine de minutes », explique-t-elle. « Ensuite, dans l’aéroport, dès qu’ils voient que j’ai un document de voyage israélien et un passeport jordanien délivré à Jérusalem est, ils commencent à me poser mille questions : par quel mode de transport je me rends à l’université quand je suis à Barcelone, qui est propriétaire de mon appartement… et toutes ces questions, ils prétendent les poser pour ma propre sécurité. C’est absurde ! » Le plus traumatisant pour elle, ce sont les fouilles au corps.
« La fille de la sécurité promène ses mains sur moi, même sur les zones les plus sensibles, alors qu’elle sait parfaitement que je ne transporte pas d’armes ! Ils savent très bien à quel point c’est désagréable, mais ils le font juste pour qu’on se sente déstabilisé, faible et soumis. » Après tout le processus, Dowani s’entend dire qu’elle ne peut pas emporter son ordinateur avec elle dans l’avion, qu’elle doit le mettre en soute. « Et quand je monte dans l’avion, je vois tous les autres voyageurs avec leur ordinateur ! » « C’est incroyable que l’on traite encore les gens comme ça en 2013 ! Vous, vous avez juste envie de rentrer chez vous, et on vous retient pendant des heures ! Parfois, je me dis que je ne vais pas voyager du tout, ou que je vais passer par la Jordanie.
En fait, les gens de la sécurité pourraient nous parler gentiment quand ils contrôlent nos bagages, mais non… Je comprends qu’il faut un minimum de contrôles, mais à ce niveau-là, ça devient insensé ! De toute façon, si quelqu’un a envie de commettre un attentat, il peut le faire n’importe où. Quand on passe entre les mains de ces employés-là, on en vient à croire que tous les Israéliens et les juifs sont comme ça ! »
Un personnel critiqué
Areen A., 23 ans, vit également à Jérusalem est et fait de fréquents allers-retours avec la Chine pour les magasins que possède sa famille. Elle se souvient d’une fois où l’employé de la sécurité a sorti toutes ses affaires de sa valise, puis lui a dit de tout ranger. « Je lui ai répondu : “Non, vous avez tout sorti, c’est à vous de tout remettre !” » Areen n’a pas aimé non plus la fouille au corps qu’a pratiquée sur elle une femme de la sécurité dans une pièce fermée. Elle se montre toutefois plus positive que Dowani : « Ils sont polis et ils plaisantent parfois avec nous. Ce n’est pas si méchant que ça ! On s’habitue ! On arrive à l’aéroport trois heures avant le vol, au cas où ils voudraient nous fouiller… Et je me mets toujours dans la tête qu’il vaut mieux être de bonne humeur, mieux vaut rire et sourire. » Au fil des ans, les procédures de sécurité de l’aéroport ont plus d’une fois fait les choux gras de la presse. En 2007, Rania Joubran, élève diplomate arabo-israélienne, fille du juge à la Cour suprême Salim Joubran, a été jugé « voyageuse à haut risque » alors qu’elle partait à Barcelone. Dans un article du Yediot Aharonot, elle s’est plainte d’avoir été traitée de façon brutale et irrespectueuse.
Beaucoup de touristes étrangers critiquent par ailleurs le personnel de sécurité. En octobre 2010, Heather Bradshaw, universitaire américaine qui venait donner une conférence en Israël, a subi des fouilles qui, dit-elle, ont duré plus d’une heure. En réponse à cette accusation, El Al a affirmé n’avoir rien fait d’autre que se conformer aux instructions du ministère de la Défense.
Les femmes, proies faciles pour les terroristes
Donna Shalala, ex-secrétaire d’Etat américaine à la Santé et désormais présidente de l’université de Miami, a été retenue alors qu’elle quittait Israël au terme d’un voyage avec l’American Jewish Committee. Selon un communiqué de son université, elle aurait été retardée par des questions et une fouille complète de ses bagages qui ont duré près de trois heures. « Toutefois », a-t-elle déclaré aux journalistes qui l’interrogeaient à la suite de l’incident, « même si cela n’a pas été très agréable, la sécurité d’Israël et des voyageurs passe avant tout. » Les femmes semblent être davantage victimes du profilage que les hommes. Eva Tapiero, avocate française de 29 ans et étudiante en journalisme, a été choquée lorsqu’elle est venue en Israël pour effectuer un stage. « J’ai l’impression que tout le pays est paranoïaque et que l’on voit des terroristes partout », affirme-t-elle. « Je me suis sentie vraiment humiliée. Le problème, c’est qu’on ne nous dit rien. Vous ne savez pas ce qui va se passer et, tout à coup, on vous demande de baisser votre pantalon devant trois personnes qui vous regardent.
Vous vous sentez faible, démunie face à ces trois femmes qui peuvent faire tout ce qu’elles veulent… » Si les femmes sont nombreuses à subir ce genre de contrôle, c’est parce qu’on les estime plus susceptibles de se laisser convaincre par des terroristes. Dans les années 1980, une femme enceinte avait reçu une petite valise de son fiancé, Nezar Hindaoui, qui n’avait pas hésité à se servir d’elle et à la sacrifier pour faire exploser un avion à destination de Londres.
Toutes les femmes interviewées pour cet article ont déclaré que, parmi leurs connaissances, les hommes qui ont subi des contrôles ont eu moins à souffrir qu’elles-mêmes.
Un système à revoir ?
Les experts commencent à présent à se demander si le moment ne serait pas venu d’introduire des réformes. L’un d’eux, qui préfère garder l’anonymat, estime qu’il faudrait revoir l’approche adoptée à l’aéroport. « La méthode israélienne dont les responsables sont si fiers a été instituée en 1968 », fait-il remarquer. « Elle a été imaginée dans l’urgence par le Shin Bet pour combattre le terrorisme palestinien, mais le système commence à se démoder. Désormais, de nouveaux moyens techniques ont fait leur apparition. » Il déplore la gêne que le processus occasionne auprès des voyageurs. « On confisque des ordinateurs, on fouille au corps des universitaires étrangers : c’est honteux, inhumain et nocif en termes d’image. » Selon lui, le profilage est efficace, mais les fouilles au corps et les trois heures d’interrogatoire sont absurdes. La tendance naturelle à placer la sécurité au-dessus de tout est problématique, dit-il, et il est temps que les médias et les hommes politiques posent les vraies questions. « La sécurité d’Israël est importante pour moi, Israël est important pour moi, mais la méthode actuelle est contre-productive. J’espère qu’il va y avoir des réformes. » Les discussions sur la sécurité israélienne tournent en général autour de la question de savoir si ses méthodes sont plus efficaces que celles de l’Europe ou des Etats-Unis.
Dans un article de 2011 sur le site Salon.com, Brian Palmer s’interrogeait : « Qu’est-ce qui est si formidable dans le système de sécurité israélien ? » Sa réponse : « C’est qu’on ne vous prend pas en photo tout nu, pour commencer. » Cela se passait pendant la controverse sur l’utilisation par les services de sécurité des aéroports américains de scanners corporels Raspican à rayons X, dont on disait qu’ils produisaient des images des individus « presque nus ».
Le profilage a fait ses preuves
« Pendant des années », explique Sela, « nous avons tenté de convaincre les Américains que ce qu’ils faisaient était complètement idiot : le contrôle des bagages, par exemple, ne sert à rien et coûte des millions de dollars. » Il se souvient avoir expliqué à un jeune officier de sécurité qu’un homme qui porte des semelles orthopédiques dans ses chaussures peut très bien y dissimuler des barres de plastique. « La machine à rayons X décèle le métal. Si l’explosif et la chaussure sont du plastique, vous ne le découvrirez jamais. » Voilà pourquoi, pour lui, le profilage et le questionnaire sont les seuls moyens de procéder. Il reconnaît toutefois que le personnel pourrait s’améliorer en matière de relations interpersonnelles. « Les employés devraient avoir une approche moins arrogante, se montrer plus civilisés. » Il pense également que l’on pourra se passer des fouilles au corps une fois les nouvelles technologies agréées. « Les auteurs de ces technologies doivent se battre pour faire accepter leurs inventions au Shin Bet et aux autres », affirmet- il. A l’avenir, selon lui, les machines pourront même servir dans la première étape, celle du questionnaire, en analysant les réactions des voyageurs interrogés. « Si, à l’heure actuelle, nous dirigeons 10 % des passagers vers la fouille, il n’y en aura plus qu’1 % quand les nouvelles technologies seront en place », espère-t-il.
« L’AAI accomplit un service rapide, courtois et professionnel », proteste le porte-parole de l’AAI, « tout en assurant la sécurité des avions et des passagers. » Il ajoute que les contrôles sont effectués sans distinction de race, de religion ou de sexe.
« Nous avons un dialogue régulier avec le secteur arabe israélien et nous organisons même des visites de l’aéroport. » Hilik Bar, secrétaire général du parti Travailliste et vice-porteparole de la Knesset estime que les procédures de contrôle sont nécessaires. « Israël est confronté à un environnement dangereux et unique au monde sur de nombreux plans », explique-t-il. « Malheureusement, la réalité exige que certaines personnes subissent des contrôles de sécurité plus intenses que les autres et j’en suis désolé. Je comprends leur sentiment de révolte, mais il n’en reste pas moins que, pour moi, le personnel de sécurité de l’aéroport est extrêmement professionnel. Je refuse de croire qu’il pratique ce que l’on peut appeler des mauvais traitements pour des raisons ethniques ou par haine raciale. »
Terroristes vs. non-terroristes
La sécurité est indispensable, poursuit-il, parce qu’Israël a fait l’expérience d’attentats perpétrés par des femmes, ou même des enfants. « Notre priorité doit être la sécurité des passagers, et non le souci de savoir comment nos mesures de sécurité seront jugées à l’étranger, ou l’inconfort et les désagréments causés à certains passagers. » N’empêche que les plaintes, en particulier celles formulées par des personnalités importantes, font un peu bouger les choses. « Nous savons ce qui se passe et il n’y a rien de nouveau », répond un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.
« Le personnel de sécurité de l’aéroport connaît le problème, nous en discutons beaucoup avec lui. Et je suis très heureux que la technologie moderne nous permette de mettre en place un nouveau système qui permettra de limiter les interactions humaines. » Cette nouvelle technologie, qui devrait être introduite prochainement, contrôlera automatiquement les bagages des voyageurs. Mais le Shin Bet et le ministère du Tourisme sont jusqu’à présent restés très discrets sur le sujet.
Reste les problèmes liés au profilage racial. David Rudovsky, professeur de droit à l’université de Pennsylvanie, qui est aussi associé dans l’entreprise Kairys, Rudovsky, Messing and Feinberg, soutient que le profilage racial est non seulement illégal aux Etats-Unis, mais aussi improductif.
« Quand on classe les gens dans deux catégories, terroristes possibles ou non-terroristes, en fonction de leur race ou de leur pays, on court le risque de laisser passer des individus dangereux. Et soumettre un grand nombre de voyageurs à des actes intrusifs ou humiliants a un côté injuste et politiquement contre-productif. » Pour Sela cependant, les passagers qui souffrent réellement des contrôles de sécurité effectués sont assez peu nombreux.
« Mon opinion personnelle, c’est qu’un faible pourcentage de personnes interrogées à Ben-Gourion se sentent brimées… mais au bout du compte, ne dit-on pas que, quand on coupe du bois, on se prend des échardes ? » Miriam Sokolow a contribué à cet article.
Source JerusalemPost