Au lendemain de la marche historique qui a rassemblé plus de 4 millions de personnes dans toute la France, la presse israélienne, à l'image de l'ensemble des médias internationaux, s'est dite impressionnée par le nombre de participants et par l'absence de tout slogan haineux. L'éditorialiste du quotidien Yediot Aharonot estime avoir assisté à « la mère de toutes les manifestations », et que cette marche républicaine a eu pour effet de « sortir de l'état de choc » dans lequel se trouvaient les Français depuis le massacre de Charlie Hebdo...
« Ce fut une manifestation sans autre revendication que celle de partager les valeurs de la République », poursuit le quotidien de gauche Haaretz, qui dresse un parallèle avec les rassemblements qui avaient suivi l'assassinat d'Yitzhak Rabin, « où chacun s'était réuni pour partager ses émotions, sans teneur politique ».
« PARTAGER LES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE »
Malgré cette unanimité, quelques débats animent tout de même la presse israélienne. Parmi ceux-ci, les appels répétés aux juifs de France de rejoindre Israël, ainsi que la présence éminement symbolique, et controversée, du premier ministre Benyamin Nétanyahou aux côtés du président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
M. Nétanyahou s'est ainsi invité de lui-même à la manifestation, « alors que la présidence française lui avait demandé de ne pas venir », écrit sur son site le quotidien Haaretz. M. Hollande ne voulait pas que le conflit israélo-palestinien ou la question des relations entre juifs et musulmans détourne l'attention du message de la manifestation, explique Haaretz.
M. Nétanyahou a dans un premier temps accepté ce refus, selon le quotidien. Mais après avoir appris que les ministres des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, et de l'économie, Naftali Bennett, qui conduisent tous deux des listes de droite concurrentes à celle de M. Nétanyahou aux législatives, se rendraient à Paris pour défiler et rencontrer la communauté juive, il a informé les Français qu'il participerait également. « Paris, énervé, a alors décidé d'inviter M. Abbas », poursuit Haaretz. Une version démentie par l'Elysée, puis nuancée par des sources diplomatiques.
Des coulisses polémiques qui n'ont pas empêché le dirigeant israélien, à l'instar de Nicolas Sarkozy, de parvenir à gagner le premier rang du cortège au moment de la marche des dirigeants internationaux. « Je suis Bibi ! » (en français dans le texte), s'est ainsi amusé le quotidien israélien, en racontant cette présence en tête.
L'ALIYAH, « CAPITULATION FACE AU TERRORISME »
L'hommage rendu aux quatre victimes de l'épicerie casher, qui seront enterrés mardi en Israël sans en avoir la citoyenneté, a également relancé le sujet sensible de l'émigration des juifs de France en Israël qui avait donné lieu, samedi, à une passe d'armes entre Benyamin Nétanyahou et Manuel Valls. Le premier avait estimé qu'Israël était le « foyer » des juifs de France, ce à quoi le second avait répliqué que « la France, sans les juifs de France, n'est plus la France ». Une phrase abondamment reprise et commentée dans la presse israélienne.
Semblant nuancer des propos tenus la veille, M. Nétanyahou a ensuite lancé aux juifs français rassemblés en rangs serrés dans la synagogue de la Victoire : « Vous avez le droit de vivre en sécurité et en paix dans chaque endroit où vous choisirez de vivre », ajoutant : « En particulier en France. »
« L'appel à l'aliyah : accomplissement du sionisme ou capitulation face au terrorisme ? », s'interroge Haaretz. Pour le journaliste Chemi Shalev, l'émigration des juifs de France vers Israël « aiderait les terroristes fanatiques à terminer le travail entrepris par les nazis et le régime collaborationniste de Vichy : faire de la France un pays sans juifs ».
« Israël n'a aucun intérêt à éradiquer deux mille ans de présence des juifs en Europe », conclut-il.
Une position qui tranche avec le journal Israël Hayom, un quotidien dont la ligne est proche de Benyamin Nétanyahou : « Aucun autre pays qu'Israël ne peut garantir la sécurité physique et spirituelle des juifs », écrit Haim Shine, dans un éditorial au titre on ne peut plus explicite : « Quittez la France, revenez à la maison ».
Plus nuancé, The Jerusalem Post estime qu'Israël doit envoyer un message clair : « Dire que les portes sont ouvertes sans gifler la République française au visage. » Les évènements en France ont ainsi relancé le débat sur l'essence-même du sionisme et du rapport à la diaspora au sein de la société israélienne.
Source Le Monde