Dans son introduction au Livre de l’Exode (Chémot) dont nous entamons la lecture cette semaine, rabbi Méïr Sim’ha de Dvinsk zatsal – le fameux « Or Saméa’h » – développe l’un des thèmes centraux de cet ouvrage, à savoir la prophétie de Moché notre maître, en se fondant surtout sur l’analyse qu’en fait Maïmonide dans son Michné Torah. Or, il apparaît que la particularité de cette prophétie semble elle aussi contredire le principe du libre-arbitre...
Comme l’explique le Rambam dans ses Lois sur les « Fondements de la Torah », le statut des prophéties de Moché sort totalement du cadre de toutes les autres prophéties, aussi importantes soient-elles.
En effet, tous les nombreux prophètes que connut le peuple d’Israël ne confirmèrent leur authenticité qu’au moyen de signes et de miracles. Or, toute foi dont le fondement ne repose que sur des signes surnaturels laissera à jamais « une place au doute »…
Pour preuve, renchérit le Or Saméa’h, il s’est même avéré au fil de l’histoire de notre peuple que de vrais prophètes – ayant eu d’authentiques visions divines – soient devenus par la suite des prophètes mensongers (comme le décrit le Traité talmudique Sanhédrin page 68 - concernant le prophète ‘Hananya ben Azor qui fut finalement mis à mort).
Contrairement à cela, la foi que nous portons en la prophétie de Moché diffère sur ce point du tout au tout : lorsque le Saint Béni soit-il Se révéla à lui au mont Sinaï, tout le peuple d’Israël atteint alors le niveau de prophétie, et chacune des six cents mille âmes présentes lors de cet événement put constater par elle-même comment D.ieu s’adressait à Moché et comment Il lui parlait « face à face » comme un homme parle à son ami…
Par conséquent, la foi que nous portons en l’authenticité des prophéties de Moché – c’est-à-dire en fait envers toutes les révélations qui constituent à ce jour l’ensemble de notre Torah écrite et orale – ne repose aucunement sur les miracles qu’il produisit en Égypte, mais sur la vision de nos ancêtres qui furent eux-mêmes les témoins de la Révélation du mont Sinaï où « nos propq pres yeux virent et non ceux d’un étranger » !
C’est donc dans ce contexte que D.ieu déclara alors à Moché : « Voici, Moi-même Je t’apparaîtrai au plus épais du nuage afin que le peuple entende que c’est Moi qui te parle et qu’ils aient à jamais foi en toi », (Chémot 19, 9). Autrement dit : jusqu’à cet instant, la foi que le peuple avait en Moché était encore hésitante, étant donné qu’elle se fondait uniquement sur les miracles réalisés en Égypte et sur la mer Rouge, alors que désormais, la foi en ses prophéties ne serait jamais plus remise en cause.
C’est en ces termes que le Or Samméa’h résume les explications du Rambam concernant la prophétie de Moché, en concluant : « Étudiez attentivement toutes les paroles de notre maître [Maïmonide], (…) car elles sont toutes d’une grande sainteté et il ne fait aucun doute qu’elles furent prononcées par esprit prophétique ! ».
Mais à ce stade, le Or Saméa’h analyse cette assertion de Maïmonide : comment est-il concevable que le Saint Béni soit-Il enjoigne ainsi le peuple à « croire éternellement » dans les prophéties de Moché, alors qu’à ce moment précis de l’histoire biblique, ce dernier était toujours en vie et qu’il possédait toujours la possibilité de changer son destin ?!
Or dans la mesure où jamais la Connaissance divine n’influe pas sur le libre-arbitre humain, qu’est-ce qui permit donc de proclamer déjà que l’authenticité des prophéties de Moché ne serait jamais récusée ? Il se pouvait en effet que par la suite, Moché change de cap et décide de forger des prophéties de toutes pièces… !
Sous le poids de cette question, le Or Saméa’h aboutit à l’étonante conclusion qu’à cette étape de la vie de Moché notre maître, « le Saint Béni soit-Il lui retira intégralement le libre-arbitre et il fut ‘astreint au bien’ au même titre que les anges » !
Ayant atteint un niveau spirituel jamais égalé, explique-t-il encore, Moché avait ainsi dépassé l’impératif du libre-arbitre : il put donc évoluer dans un monde où la notion de mal était à ses yeux totalement inexistante. Il apparaît donc qu’au moment du Don de la Torah, Moché surpassa littéralement le niveau des anges célestes puisque c’est de ses propres forces qu’il parvint à atteindre ce prodigieux niveau spirituel !
Par Y. Bendennoune.
Source Chiourim