J’ai grandi dans la France d’après Mai 68, celle des Valseuses. Une France sonore. Chaque matin je me réveillai au son de la voix d’Albert Simon annonçant la météo à la radio. Cette voix si éraillée qui sonnait presque comme une torture dans les matins d’hiver où il faisait encore trop nuit pour se lever, reste désormais ancrée à mes plus chers souvenirs d’enfance...
J’ai grandi avec les Shadoks, l’Île aux Enfants, la Noiraude, les Quat’Zamis et Zabou, le Muppet Show et bien sûr Récré A2. J’adorais les Raiders et la table en formica dans la cuisine (oui Florence Foresti, moi aussi je suis vieille, j’ai 41 ans !). Comme beaucoup, mon premier souvenir en politique fut le soir du 10 mai 81, où des adultes extasiés, sur des tapis à poils longs autour d’une table basse, ont laissé jaillir des cris orgasmiques à l’annonce de la victoire de François Mitterrand. Éclats de joie qui vibrent encore dans ma tête. Comme beaucoup, mon premier concert fut Renaud au Zénith. Gainsbourg, Higelin et tant d’autres suivront. La France de l’Effrontée.
Il y eut Copernic et les «français innocents»… Puis il y eut SOS Racisme et les Restaus du Cœur. Michel Drucker, Champs-Élysées et le sida. Canal+ est né, Coluche est mort. Puis on a battu le pavé au son de «Devaquet , si tu savais… » et il y eu Malik Oussekine. Un air de 17 octobre 61 refaisait surface dans les rues de Paris… La France de La Haine.
Puis les Le Pen ont pris de la place et des voix, en passant des racistes qui faisaient profil bas aux contestataires de second tour qui commençaient à la ramener, jusqu’aux fascistes des temps modernes qui hurlaient « Juif, dehors, la France n’est pas à toi » dans les rues de Paris en juillet dernier. Oui, cet été, quoi. Éclats de voix qui vibrent encore, mais plutôt comme des obus cette fois… Et tous les autres, y compris les abstentionnistes qui leur font une haie d’honneur au lieu de leur faire un bras en le plongeant dans l’urne.
11 septembre, Irak, Talibans, Al Qaida et maintenant Daesh, Boko Aram, Ansar Dine, intégrisme, fanatisme. La France de Timbuktu.
Puis il y eut Ilan Halimi, les victimes de Merah parmi lesquelles des enfants, et celles de Nemmouche en Belgique. Et là la France s’est tue. Et son silence fut assourdissant.
Il a fallu Charlie pour que ma France refasse entendre sa voix, s’honore, de la rue à l’hémicycle. Mais les juifs ont peur. Ont compris dans leur chair depuis longtemps déjà que la barbarie est au coin de la rue. Il ne faut pas se tromper de combat, malgré l’ultra violence du 7 janvier, l’enjeu dépasse largement le cadre bien-pensant de la liberté d’expression. La semaine dernière, quatre piliers ont été attaqués : la liberté d’expression, l’islam, La république, le judaïsme. La France est en choc, le monde lui emboîte le pas. Mais les juifs qui militaient hier dans les rangs de SOS Racisme s’en vont aujourd’hui protéger leurs enfants en Israël. Je le respecte, et j’aime Israël, mais ce n’est pas mon choix. Cette alternative, cette obligation de partir, ne sont pas moi. Ma France me redonne espoir, ma France me donne envie de croire. Qu’une conscience citoyenne persiste et signe, que j’ai ma place ici. Que mes amis musulmans aussi, même si on nous colle dos-à-dos des combats qui ne sont pas les mêmes. Qu’on peut vivre en paix et en sécurité. Certes, je n’ai pas d’enfants. Mais tant que j’ai le choix, j’ai la liberté.
J’étais une petite fille libre, je suis une femme libre, je serai une vieille dame libre. La France des Héritiers.
Mikhaele ElfassySource JewPop