Plus de 30 ans après, un mausolée rend hommage à Téhéran aux "héros" juifs de la Révolution islamique, une reconnaissance qui témoigne de l'intégration de la petite communauté juive en Iran. Dans le cimetière juif situé dans le sud-est de la capitale, la présence de milliers de tombes illustre la longue histoire de cette communauté installée depuis l'Empire perse...
Depuis quelques semaines, le grand site de huit hectares accueille un mausolée au souvenir de 10 citoyens de confession juive morts depuis le 11 février 1979, le jour de la Révolution islamique. Le premier martyr est justement tombé ce jour-là, alors que les autres sont décédés pendant la guerre contre l'Irak, entre 1980 et 1988, ou dans les bombardements de l'armée de Saddam Hussein sur Téhéran.
Pour Homayoun Sameyah Najaf Abadi, le président de la communauté juive de Téhéran, ce mausolée montre que sa communauté "fait partie de la société iranienne et qu'elle y a contribué".
L'Iran reste traumatisé par la guerre Iran-Irak, qui a fait plus de 230.000 morts iraniens selon les chiffres officiels. La mémoire des "shohada" ("martyrs" en persan) est très présente dans la société et leurs portraits sont affichés dans les lieux publics.
La construction du monument et la restauration des dix tombes ont d'ailleurs été financées par la "Fondation des martyrs et vétérans", qui vient en aide aux familles des militaires morts ou blessés lors de la guerre.
Les juifs iraniens étaient entre 80.000 et 100.000 avant la Révolution. La guerre, les difficultés économiques et le sentiment d'insécurité ont contraint la majorité d'entre eux à quitter le pays, la plupart pour les Etats-Unis.
Près de 36 ans plus tard, elle ne compte plus que 8.500 membres, principalement installés à Téhéran, Ispahan (centre) et Shiraz (sud). La communauté est l'une des trois minorités religieuses reconnues, avec les chrétiens (arméniens et assyro-chaldéens) et les zoroastriens. Elle a un député au Parlement.
- Inégaux devant la loi -
Les juifs "se sentent bien en Iran", assure M. Sameyah. "Ils sont libres d'exercer leur religion et de travailler. Nous n'avons pas de problème dans la société", ajoute le représentant, lui-même médecin à l'hôpital juif de Téhéran, un établissement géré par la communauté mais qui accueille 90% de patients musulmans.
Lors de l'inauguration du monument en décembre, le vice-président du Parlement Mohammad Hassan Aboutorabi-Fard avait salué "la position explicite de la communauté juive sur son soutien au régime de la République islamique et son obéissance au Guide suprême", l'ayatollah Ali Khamenei.
Mais les juifs sont aussi victimes d'inégalités, notamment en matière d'héritage: à la mort d'une juive mariée à un musulman, tout le patrimoine va à la famille du mari. Les juifs sont également écartés des principaux postes à responsabilité dans l'administration.
Ils sont aussi inégaux devant la justice, notamment lorsqu'un juif est victime d'un meurtre. Les auteurs, qui encourent normalement la peine de mort, "sont habituellement condamnés de 10 à 18 ans de prison, et sont libérés au bout de trois ans", explique M. Sameyah, craignant la propagation d'un sentiment d'impunité.
Les tirades régulières des responsables iraniens sur la destruction prochaine d'Israël, ennemi juré de la République islamique, n'effraient pas non plus la communauté. "Les Iraniens ne considèrent pas les juifs comme des sionistes", explique M. Sameyah, également rassuré par les déclarations du président Hassan Rohani.
Le religieux modéré, élu en 2013, a condamné l'Holocauste, alors que son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad, l'avait qualifié de "mythe".
"Depuis l'élection de M. Rohani, nous avons vu des changements positifs à l'égard des minorités. Ce monument en est un exemple", assure le représentant des juifs téhéranais.
Source Le Nouvel Obs