mercredi 14 janvier 2015

Combien de touristes Français ont, tous les ans, le " syndrome de Jérusalem " ?

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C’est, paraît-il, tard dans la soirée, et surtout à la période des grandes fêtes comme Noël ou Pâques, que des gens un peu bizarres font leur apparition. Les psychologues les rangent dans la catégorie des personnes atteintes du « syndrome de Jérusalem »...


En fait, il s’agit d’individus qui en sont arrivés à un tel point d’émotion et d’extase qu’ils en ont perdu la tête. Passagèrement ou définitivement. Tous les ans, selon un chiffre transmis par un psychiatre américain expert vivant à Jérusalem environ cinq Français souffrent de cette maladie.
Selon Slate (Copyrights) : "Touristes pris d’un étrange accès de folie face à un tableau de maître, routards en plein délire mystique sur les routes de l’Inde, Japonais qui dépriment à Paris, vagabonds se prenant pour le Messie à Jérusalem, Robinsons occidentaux échoués sur les plages de Tahiti…
Quelques centaines de voyageurs «décompensent» chaque année à divers points du globe au cours de ce que les psychiatres appellent «voyages pathologiques», la grande majorité de ces touristes ou expatriés souffrant déjà d’un trouble psychiatrique avant leur départ.
Certains spécialistes font eux l’hypothèse de l’existence d’un «syndrome du voyageur». Au-delà des définitions, une cartographie culturelle se dessine en pointillés, comme si «là où l’on allait» délirer dépendait aussi de «là d’où l’on venait».
Tard dans la soirée, quand l’éclairage indirect rehausse les fissures et les aspérités des énormes blocs de pierre, quand les sonorités nocturnes se confondent sur l’esplanade, une gent très particulière est attirée vers le mur, qui réunit tous ceux qui sont partis à la recherche d’une expérience surnaturelle. Les psychologues les rangent dans la catégorie des personnes atteintes du “syndrome de Jérusalem” et leur contribution à la couleur locale et au pittoresque du site n’est pas négligeable.
On y trouve d’authentiques faux messies, des égarés de tout poil, des illuminés, qui partagent le même goût pour les petites heures de la nuit. Passé minuit, ils se délectent tous de l’aura mystique qui se dégage du Mur. Leur psyché est alors enflammée par l’ancestrale sainteté ambiante. Certes, d’autres sites de Jérusalem attirent ça et là leurs semblables, mais le Mur remporte auprès de tous un succès incontesté, surtout parmi les juifs.
C’est le Dr Yaïr Bar-El, psychiatre, ancien directeur de l’hôpital de Kfar Shaul à Jérusalem et à l’heure actuelle chef des services psychiatriques régionaux au ministère de la Santé, qui a, le premier, identifié ce syndrome. Sur la base d’une enquête menée auprès de 470 touristes momentanément aliénés, orientés vers Kfar Shaul entre 1979 et 1993, le Dr Bar-El est parvenu à de fort intéressantes conclusions.
Kfar Shaul, de par sa fonction d’hôpital psychiatrique de service pour les touristes atteints de troubles mentaux, était l’endroit privilégié pour mener ce genre d’étude. Sur les 470 touristes hospitalisés dans ce laps de temps, 66 % étaient de confession juive, 33 % chrétiens, le 1 % restant se déclarant sans affiliation religieuse. Bar-El précise d’emblée que les touristes ne sont pas les seules victimes du syndrome, des résidents permanents de la ville en souffrent également de façon sporadique ou chronique.
La période de pointe du syndrome, si l’on peut s’exprimer ainsi, se situe évidemment lors des grandes fêtes des religions monothéistes : Noël ou Pâques pour les chrétiens, les Fêtes austères et la Pâque pour les juifs, auxquelles il convient d’ajouter les mois de grande chaleur de juillet et d’août.
Bar-El a divisé les patients en deux grandes catégories: ceux qui ont des antécédents psychiatriques (diagnostiqués ou non) et les autres. Les touristes et pèlerins traités accusent de singulières similitudes dans le mécanisme de désintégration de leur personnalité.
Les premiers symptômes se produisent le plus souvent le lendemain de l’arrivée dans la Ville sainte, se manifestant par une nervosité et une anxiété soudaines et sans motif. S’ils sont venus en groupe ou en famille, ils éprouvent un besoin irrépressible de s’isoler, ce qu’ils font en règle générale.
Ils vont dès lors le plus souvent se livrer à des rites de purification, prendre douche après douche, s’immerger dans un mikve (bain rituel). Ils vont aussi changer radicalement de tenue vestimentaire préférant, dans leur désir de s’identifier à des héros de la Bible ou du Nouveau Testament, les longues tuniques blanches de l’imagerie biblique.
Ce comportement plutôt extravagant ne provoque pas inévitablement leur hospitalisation en service psychiatrique, d’autant que la majorité des personnes atteintes du syndrome de Jérusalem ne sont pas agressives ou dangereuses, tout au plus quelque peu ridicules.
Toutefois, il en est pour qui l’intervention temporaire d’un service psychiatrique s’avère indispensable. Cet enseignant danois, par exemple, qui a visité la Ville sainte cinq fois en cinq ans et qui était convaincu que cet endroit était le seul où il pouvait communiquer directement avec Jésus. Lorsqu’il se prit à dialoguer à pleins poumons avec la vierge Marie, qu’il apercevait assise sur la coupole de la mosquée d’Omar, l’hospitalisation devint inévitable.
Son combat singulier avec les gardes du mont du Temple le conduisit directement à l’hôpital de Kfar Shaul.
Parfois, toujours selon le Dr Bar-El, les victimes du syndrome de Jérusalem ont des desseins religieux précis, tel ce Californien parti à la recherche de la vache rousse nécessaire à certains rituels de purification spécifiés au chapitre XIX des Nombres.
D’autres ont des visées politiques, comme Dennis Rohan, ce jeune touriste australien déséquilibré qui mit le feu à la mosquée d’El-Aqsa en 1969. Il n’est pas exclu que David Koresh – qui séjourna quelques temps à Jérusalem – ait été lui aussi atteint par ce syndrome, encore que dans son cas l’effet en fut différé puisqu’il fallut attendre son retour aux Etats-Unis pour qu’il se proclame messie et fonde sa propre secte à Waco (Texas).
Certains patients témoignent de conceptions ésotériques de la santé, rédigent des prières de leur cru ou laissent s’exprimer leurs idiosyncrasies religieuses. Sur les 470 cas étudiés, 42 n’avaient aucun antécédent psychiatrique: “Je ne sais pas ce qui m’est arrivé”, disent-ils fréquemment quand ils entament une thérapie.
Au bout de quatre ou cinq jours, les patients réagissent au traitement fort pragmatique des psychiatres de Kfar Shaul et récupèrent leur sens des réalités de ce bas monde. Gênés, ils sont incapables d’expliquer comment ils sont arrivés à jouer les clowns, à plonger tout habillés dans le bassin d’un jardin public ou à chanter des cantiques en pleine nuit du haut des remparts de la Vieille Ville. “Ils n’aiment pas revenir sur leur expérience”, explique Bar-El. Le questionnaire de suivi adressé à ses anciens patients n’a pas ou presque donné de résultats. Tout simplement parce qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes ce qui leur est arrivé.
Sur les 42 patients sans le moindre antécédent psychiatrique, 40 étaient originaires de l’Amérique profonde, de familles protestantes très strictes où la lecture des Evangiles est la règle. Ayant intériorisé le Livre saint, ils se sont forgé une image idéale de Jérusalem. Le choc inévitablement produit par la Jérusalem terrestre a catalysé chez eux une réaction psychiatrique de compensation au moment du passage obligé entre la ville réelle et celle de leurs fantasmes.
Le Dr Bar-El a consulté de nombreuses autorités religieuses, des dirigeants du clergé catholique notamment, pour comprendre pourquoi les protestants sont plus souvent que les catholiques victimes du syndrome.
“J’ai trouvé trois raisons possibles, affirme le Dr Bar-El. Les protestants dirigent leurs prières vers un être éthéré tandis que les catholiques disposent d’un intermédiaire tangible avec le divin: le prêtre.”
La seconde raison est que Jésus est une figure religieuse unique et suprême dans la foi protestante, alors que les catholiques vouent un culte à la vierge Marie et à de nombreux saints auxquels ils peuvent s’identifier. Enfin, le rite protestant, contrairement aux rites extrême-orientaux, au catholicisme ou à l’islam, offre peu d’occasions de grandes ferveurs populaires ou d’extases mystiques, composantes indispensables de la vie religieuse.
Quant au judaïsme, avec sa myriade de rituels, de pratiques et de coutumes, il comblerait quasiment tous les besoins de spiritualité de ses fidèles. Pour Bar-El, le syndrome de Jérusalem s’apparente à celui de Florence, mis en évidence par des psychiatres italiens et qui se manifeste par le comportement bizarre et irrationnel de certains touristes.
Encore qu’en l’occurence ces derniers soient plus “allumés” par la splendeur de la ville et de ses oeuvres d’art que par des envolées mystiques.
Un autre psychiatre hiérosolymitain, le Dr Jordan Sher, affirme que la Ville sainte – et particulièrement la Vieille Ville – attire toute sorte de déséquilibrés, attirés par son exceptionnelle atmosphère mystique: “Jérusalem abonde en messies venus pour Le rencontrer, L’attendre ou apaiser le tumulte de leur âme.”
On ne compte plus les jeunes juifs qui tentent de trouver dans des yechivot une réponse à leur quête religieuse. Certains sont éconduits quand preuve est faite de leur instabilité psychique. D’autres sont d’emblée découragés.
C’est vers le Mur, devenu sanctuaire, que la plupart de ces illuminés dirigent leurs pas.
Là, chacun à sa manière, extériorise son ivresse devant tant de sainteté. Ainsi Motelé, toujours de blanc vêtu, portant barbe fleurie et grisonnante, clame à un groupe de touristes “Welcome America!” Quand il prie pour la pluie de sa voix de cathédrale, la tête rejetée en arrière, les bras grand ouverts, on se croirait dans une salle de concert symphonique.
Des fois, pour la frime, il se tient sur le toit du grand rabbinat pour vociférer une prière. Les non initiés s’imaginent que c’est une voix céleste et on en a vu même qui s’engagent au repentir, du moins pour la demi-heure qui suit.
Il y a aussi Gershon, tout droit venu des années soixante-dix et de Woodstock, qui traîne dans sa tenue de hippie revue et corrigée, le chef couvert de la calotte multicolore des juifs de Boukhara.
Prunelles dansantes et barbiche tressautante, il caracole aux quatre vents comme un père Noël juif.
Et ce hassid de Breslav étique, tout de noir vêtu, qui fait les cent pas sous les portes des murs dans l’obscurité, récitant force psaumes en tortillant les quelques poils de sa barbe, en pleine méditation transcendentale. Et puis voilà Yehia, le Yéménite, qui approche.
Lui, c’est dans les atours de ses ancêtres qu’il a choisi de se vêtir: enturbanné, une djellaba plutôt crasseuse flottant au vent et, hiver comme été, des sandales. Il avait élu domicile dans les ruines de l’hospice allemand qui se dressent juste au-dessus du Mur, mais la police l’en a chassé.
C’est un grand bénisseur devant l’Eternel, Yehia: il distribue ses bénédictions comme d’autres leurs bonbons, sans vous demander votre avis. Avec un accent yéménite prononcé, il octroie consciencieusement, en les marmonnant d’une seule traite sur la tête baissés des heureux bénéficiaires, les bénédictions d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… jusqu’à ce qu’il trouve une autre âme en peine avide de son zèle sacré.
Du haut des marches, Amnon monte la garde. Jour et nuit, hiver comme été, il erre dans la Vieille Ville, dans son complet-veston gris, dûment cravaté et chapeauté. Il se tient là des heures, dans l’oisiveté la plus totale, se contentant de garder le mont du Temple dans son champ de mire. Attend-il le messie ? Fait-il pénitence ? Nul ne le sait, nul ne lui adresse jamais la parole, à Amnon. Il est tout simplement là, sentinelle muette de la mission mystérieuse qu’il s’est assignée.
Miriam est une “squat”. C’est une petite bonne femme enveloppée d’un châle qui fait des apparitions à toute heure au Mur, poussant devant elle une voiture d’enfant, traînant aussi parfois derrière elle un ou deux gamins. Elle, c’est l’astiqueuse des dalles de l’esplanade. Courtoisement, elle demande à ces dames de se tenir en retrait tandis qu’elle poursuit son dessein insurmontable de laver les dalles avec un chiffon de cuisine.
Les visiteurs non initiés, s’imaginant qu’elle est une employée des services de voirie de la municipalité, s’apitoient sur le sort de cette malheureuse obligée de travailler si dur en plein milieu de la nuit…
Autant de personnages hauts en couleur, qui ne sont conformes ni au canon ni aux Ecritures.
Mais, comme les générations qui les ont précédés, ils sont attirés vers le nombril de l’univers, le pivot des trois religions monothéistes. Ceux qui ont de graves problèmes personnels, des positions outrées ou certaines croyances en l’au-delà, vont immanquablement devenir la proie de ce phénomène unique et encore largement incompris qu’est le syndrome de Jérusalem.

Par Michèle Fingher

Source Israel Valley