mercredi 9 mars 2016

Léon Blum, le Juif d’Etat



Léon Blum était-il un personnage belliqueux, efféminé, incapable de courage ? Son arrivée au pouvoir en 1936 a-t-elle précipité la France vers le chaos ? Ou était-il au contraire un fervent patriote, qui a donné un souffle au socialisme, et dont la fidélité à la patrie a été absolue ? Si l’on en croit Pierre Birnbaum, le président du Conseil correspond à la seconde description...



Dans une biographie qui vient de paraître aux éditions du Seuil (Léon Blum – Un portrait), l’historien démontre que le disciple de Jaurès n’était pas seulement un dandy binoclard, un lettré fou de l’œuvre de Stendhal, il s’est aussi battu en duel pour défendre son honneur, a rédigé une œuvre avant-gardiste pour l’émancipation des femmes (Du Mariage, 1907). Le président du Front populaire s’est engagé pour que le projet sioniste aboutisse lorsqu’il fallait que la France reconnaisse l’Etat d’Israël, en 1948. Et puis, Léon Blum était aussi et surtout, un « Juif d’Etat ».
Un archétype de ce cercle restreint de personnages politiques auxquels M. Birnbaum a déjà consacré plusieurs ouvrages. Pour cause, son parcours de vie est typique : Léon Blum nait dans un milieu juif traditionnel qu’il ne renie jamais et s’engage sa vie durant au service de sa patrie.
Comme les autres Juifs d’Etat, Léon Blum bénéficie des valeurs méritocratiques héritées de la Révolution, qui permet au fils de commerçant qu’il est, d’intégrer l’Ecole normale supérieure et de gravir les échelons jusqu’au plus haut sommet de la chose publique.
Pour Pierre Birnbaum « C’est grâce à un Etat fort, qui se distingue du religieux, que les Juifs d’Etat ont pu exister ». La sécularisation inouïe de l’appareil politique français a permis aux minorités, dont les Juifs, de faire corps avec la nation.
Si le pays de Marianne a vu émerger tant de Juifs d’Etat, c’est parce que c’est en son sein que l’émancipation des Juifs a été la plus aboutie.
En accroche de nombre de ses discours publics, le dirigeant socialiste se proclamait « français, socialiste et juif », y compris durant son procès organisé par Vichy, dont l’Allemagne demandera l’arrêt tant il se défendra avec fougue. Le disciple indéfectible de Jaurès ne rêve pas seulement d’un idéal, il lutte pour, et sa passion pour la patrie ne recule devant rien.
Tandis que les rues de Paris sont occupées par la gestapo, Vincent Auriol le supplie de rejoindre l’Afrique du nord par bateau, ce que Blum refuse catégoriquement.
Mais sa fidélité à la France ne le protège pas pour autant de l’antisémitisme qui sévit. Si pour Sartre, le juif est un homme que les autres hommes tiennent pour juif, Blum est éminemment juif.
La violence qui se déchaîne à son encontre dès le début de sa carrière politique est d’une intensité inouïe. La hargne dans la presse (l’Action française en tête) est telle, que le Grand Rabbin de Paris le prie de ne pas prendre la présidence du Conseil, allant jusqu’à lui promettre une pension à vie, équivalente à celle de son statut de fonctionnaire pour ne pas occuper ces responsabilités. La communauté craint que la haine antijuive ne s’aggrave avec son accession au pouvoir…
Le judaïsme de Léon Blum ne se résume donc pas à un héritage familial, comme cela avait été le cas par exemple, pour Benjamin Disraeli, nommé deux fois premier ministre du Royaume-Uni.
Il y a chez Blum plus qu’un désir de filiation car si Dieu n’apparaît nulle part, le judaïsme lui, traverse sa vie.
C’est donc le portrait remarquablement brossé d’un patriote juif ou d’un juif patriote que ce livre met au jour. Un parcours exceptionnel qui s’inscrit dans l’histoire d’une intégration exemplaire des Juifs en France et dont la lecture s’avère plus que jamais salutaire, à l’heure où la question de l’intégration des minorités est d’une actualité brulante.


Pierre Birnbaum, Léon Blum, un portrait, Seuil, 4 février 2016, 272 pages


Source La regle du jeu