En Israël, on ne plaisante pas avec « habitakhonn », la sécurité. Miroir d'un traumatisme juif collectif autant que ciment national, elle s'ingère dans la plupart des débats politiques ou identitaires et prévaut en principe sur toute autre considération lorsqu'un gouvernement doit prendre des décisions d'envergure.
Depuis au moins 2003, date à laquelle l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) avait lancé l'alerte sur le processus d'enrichissement iranien d'uranium, l'angoisse sécuritaire primordiale des Israéliens se focalise sur ce programme nucléaire.
Inquiétude justifiée à la fois par la géographie – l'exiguïté du pays impliquerait son anéantissement dès la première frappe, et la proximité de l'Iran permet à ses missiles d'englober dans leur rayon d'action tout l'Etat juif –, et par les discours hallucinés d'un Mahmoud Ahmadinejad multipliant les outrances antisionistes et négationnistes dès son arrivée à la présidence en 2005. Ses menaces d'extermination indifféraient les Iraniens – peuple dépourvu de tradition antisémite – mais pas les Israéliens.
Le péril venu d’Iran
Ainsi, dans la perspective des législatives de janvier, le candidat à sa propre réélection au poste de premier ministre, Benjamin Netanyahu, avait axé sa campagne sur le péril venu d'Iran, présentant son croquis de bombe iranienne à la tribune des Nations unies en 2012 et menaçant Téhéran lors de chaque discours de campagne jusqu'à la veille du scrutin.
Posture électoraliste ? Sans doute, mais pas seulement. Car dans les faits, tous les gouvernements hébreux ont renforcé le dispositif face à l'épouvantail : exercices de défense passive à grande échelle, développement accéléré du programme anti-missile "Dôme de fer", guerre informatique, acquisition de bombes GBU perforantes destinées à des cibles enterrées.
Dès l'annonce de l'élection de Hassan Rohani au poste de président iranien, le 14 juin, M. Netanyahu affirma que cela ne changeait rien. C'est à la fois vrai et faux. Vrai, car le président iranien ne dispose pas des prérogatives liées à la défense et aux affaires étrangères ; en dernier ressort, c'est le Guide qui tranche.
Autrement dit, qu'un présumé modéré remplace à ce poste un authentique fanatique permettra peut-être des évolutions sociales ou économiques, mais pas géopolitiques. Faux, car il convient d'inverser le postulat : le triomphe du candidat Rohani élu dès le premier tour face à plusieurs candidats n'est-elle pas le signe que l'ayatollah Ali Khamenei a décidé d'infléchir la ligne dure qui est la sienne depuis une dizaine d'années ?
L'hypothèse est d'autant plus crédible que le Guide a déjà laissé entendre ces derniers mois, par le truchement de ses proches, qu'il envisagerait favorablement la reprise des pourparlers sur le dossier nucléaire interrompus en 2005.
Or le nouveau président Hassan Rohani fut justement ce haut responsable qui, en 2003, était admis par les Occidentaux comme un responsable pragmatique avec lequel on pouvait négocier, avant d'être bien entendu limogé en 2005 par M. Ahmadinejad !
Éviter une explosion sociale
Pourquoi le Guide aurait-il décidé cette inflexion majeure ? Pour deux raisons. D'abord, à l'intérieur, il s'agirait d'éviter une explosion sociale susceptible de menacer le régime jusque dans ses tréfonds ; les sanctions internationales, fixées puis renforcées à trois reprises depuis 2007 par tous les membres permanents du Conseil de sécurité – Russie et Chine comprises –, étranglent une économie à bout de souffle et grèvent le pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires.
Ensuite, à l'extérieur, Téhéran préférera soutenir coûte que coûte l'allié syrien Assad tout en évitant d'humiliantes frappes américaines ou israéliennes préventives, quitte à se contenter d'atteindre l'état du seuil plutôt que la bombe elle-même.
En attendant, Israël parle haut et montre ses muscles. Ce qui ne signifie pas qu'à Jérusalem on est moins pragmatique qu'à Téhéran. M. Netanyahu, malgré ses discours enflammés, a déjà repoussé deux fois son ultimatum en moins d'un an.
A n'en pas douter, celui-ci sera de nouveau reporté, le temps d'étudier les propositions que fera aux Etats-Unis et à la troïka européenne (France, Grande-Bretagne, Allemagne) le nouveau président iranien sous l'égide et l'impulsion de son supérieur direct, mais aussi de scruter les garanties concrètes que présentera un pouvoir jusque-là volontiers dissimulateur.
Nul ne peut prédire quand et comment s'opérera la sortie de crise. Mais un fait historique demeure, parfaitement connu des dirigeants hébreux : contrairement à la plupart des régimes arabes nationalistes laïques, jamais la République islamique d'Iran n'a pas fait la guerre à l'Etat juif.
Source Crif