Question: Commençons par vérifier les faits. Est-ce exact que vous êtes un prince africain?
Gamedze: C’est exact. J’ai grandi au Swaziland jusquà l’age de huit ans. C’est un petit royaume sans accès à la mer, ayant des frontières communes avec l’Afrique du Sud et le Mozambique – sa superficie est à peu près celle d’Israël et il y a un peu plus d’un million d’habitants.
Question: Aviez-vous vous-même des droits sur la couronne?
Gamedze: Mon grand-père était roi. Mais les Britanniques, qui avaient colonisé l’Afrique du Sud, créèrent les Etats de Swaziland, de Bosutoland et de Bechuanaland. Ils ont tracé des frontières artificielles, en négligeant souvent de prendre en considération les répartitions ethniques. Par conséquent, en de nombreux endroits, des groupes ethniques différents ont été réunis dans un même Etat. C’est ce qui nous est arrivé. De plus, les Britanniques ont décidé de désigner une famille royale rivale pour régner au Swaziland.
Pour que notre famille accepte de coopérer, ils lui firent quelques concessions – telles que l’attribution de postes ministériels et une semi-autonomie à l’intérieur même du pays. Mon père a rempli les charges de ministre de l’éducation et d’ambassadeur auprès des pays du Marché commun. Aujourd’hui, il tient plus un rôle de chef suprême que de roi mais c’est eux qui exercent de toute façon le pouvoir.
Question: Quelles sont les langues que vous parlez?
Gamedze: Je parle treize langues: le français, l’allemand, l’italien, l’anglais, l’hébreu, l’afrikaans, le zoulou et d’autres langues africaines. Chacun dans ma famille parle au moins deux langues européennes; ma mère parle sept ou huit langues.
Question: Il est tout de même exceptionnel, c’est le moins qu’on puisse dire, qu’une personne vivant comme vous dans un tel milieu socio-culturel, trouve son chemin vers le judaïsme.
Gamedze: La religion, en tant que telle, ne m’avait vraiment jamais intéressé. Ce qui me préoccupait était ce qui se passait dans le monde. Quelle était notre raison d’être? D’accord, alors vous vous levez le matin, vous déjeunez, vous partez au travail, vous revenez chez vous, vous prenez une douche, vous regardez la télé, vous allez vous coucher, vous vous réveillez et recommencez tout cela encore une fois…Hé, mais j’ai fait ça hier!
J’ai eu le sentiment que c’était comme de vivre sur un tapis roulant et en fin de compte, on en descend. A quoi bon, me suis-je dit? Je ne fus plus alors en mesure de l’accepter.
Question: C’est une question existentielle.
Gamedze: Oui. En d’autres termes, je n’étais pas en train de chercher une signification à ma vie mais j’essayais plutôt de découvrir ce qui se passait, comme un détective. Je sentais qu’il se déroulait quelque chose dans le monde, derrière la scène et je voulais savoir ce que c’était.
Question: Puisque vous ne cherchiez pas ce qu’on appelle la religion, comment l’avez-vous trouvée?
Gamedze: J’assistais un jour à un cours de littérature vraiment assommant. Je pense que c’était sur D’Annunzio. Et que fait-on quand on s’ennuie, on regarde autour de soi. Je remarquais alors un gars qui était en train d’écrire de drôles de caractères de droite à gauche. Donc, après le cours, je lui ai demandé ce qu’il faisait. Il me dit qu’il faisait ses devoirs en hébreu. J’ai pensé: c’est vraiment intéressant. Imaginons que je puisse écrire aussi comme cela! Et puis, je n’y ai plus pensé. Mais quelque temps plus tard, j’eus besoin d’un complément de points pour obtenir mon diplôme. Je voulais prendre le russe mais cela ne collait pas avec mon emploi du temps. Je me souvins alors de l’hébreu. Ça marchait avec mes horaires et c’est ainsi je commençai à étudier cette langue.
Question: A quel moment s’est déclenchée votre prise de conscience?
Gamedze: Le premier texte que nous avons étudié, c’était le sacrifice d’Isaac. Ayant reçu une éducation chrétienne, quoique modérée, cela me parut familier mais je fus surpris de voir combien l’hébreu semblait rendre le sens du texte plus que toute autre langue au monde. Je ne n’arrivais pas à comprendre pourquoi.
Et de plus, je ne pouvais me détacher de la pensée que quelque chose au sujet de moi-même m’était suggéré. C’était comme découvrir une dimension intérieure dont, peut-être, beaucoup de gens ignorent l’existence. Ce n’était pas comme un archéologue qui fait une enquête, par exemple, sur les Incas, problème qui ne le concerne pas personnellement. Là, au contraire, j’ai senti que quelque chose se disait à mon propos. Je pensais que cela avait trait à la langue elle-même. Je ne savais pas à cet instant qu’il s’agissait de la dimension religieuse.
Question: Et comment est-ce arrivé?
Gamedze: Je commençais à découvrir la beauté du Judaïsme. J’étais intéressé en particulier par le livre de Maïmonide, Mishné Tora. J’avais l’habitude de l’emporter avec moi pour le lire et pour en parler à mes amis juifs, qui sont devenus par la suite pratiquants. C’était quand même un peu étrange que ce soit un non-juif qui les ait rapprochés du Judaïsme.
Mais c’était frustrant. Je n’étais pas capable de saisir pourquoi j’avais une telle soif et un tel amour pour le Judaïsme alors que je n’étais pas juif. Et pourtant, il y avait là des Juifs qui s’en moquaient, me semblait-t-il. Et de plus, quand ils se décidèrent à s’y intéresser, cela ne leur posa aucune difficulté. L’occasion était devant moi, à portée de main. Je me suis interrogé: Pourquoi suis-je mis sur la touche? Je pouvais pas comprendre pourquoi D.ieu me jouait un tel tour.
A ce point, j’ai pensé que la meilleure solution était que je sorte de cet imbroglio juif. Je partis donc pour Rome afin d’étudier. Je visitais la basilique de Saint-Pierre et ses œuvres d’art. Je suis un grand fan de la littérature et de l’art italiens. Mais pendant tout mon séjour à Rome, ce qui occupait mes pensées n’était autre que la souffrance que les Chrétiens firent subir aux Juifs. Il n’y avait vraiment pas de quoi se réjouir…
Question: En quelque sorte, des vacances romaines ruinées…
Gamedze: Oui, en effet. J’étais venu à Rome pour m’échapper de tout cela – Rome est probablement l’endroit au monde le “moins juif”. Et voilà que dans ma chambre d’hôtel, je ne pensais – à quoi d’autre? - qu’aux Juifs. Je voyais en pensée tout particulièrement comment un Juif dit “Chema Israël” avant de se sacrifier pour sa foi.
A ce stade, je n’avais encore pratiqué aucune observance juive. Mais je décidai de réciter “Chema Israël”, là, dans ma chambre d’hôtel, à côté de Saint-Pierre. C’est alors que je ressentis un énorme afflux d’énergie. Tout en disant ces mots, j’avais l’impression que tous ceux qui avaient donné leur vie pour le Judaïsme, les prononçaient avec moi. C’était comme si j’étais le canal par lequel ils disaient le Chema. Même maintenant, je suis incapable d’expliquer ce qui est arrivé. Ce fut une expérience terrifiante et puissante.
Je me souviens qu’une fois, je suis descendu prendre mon petit-déjeuner. Je m’assis et ne pus rien avaler. Et poutant, j’avais faim, vous pensez. Qu’est-ce qui m’arrivait? A cette époque, j’avais déjà suivi des conférences sur le Judaïsme pendant un séjour que j’avais fait en Israël; je me souvins alors qu’il y avait un jour dans l’année, Yom Kipour, pendant lequel les Juifs jeûnaient. Je vérifiai le calendrier et, bien entendu, ce jour-là, c’était Yom Kipour! Ce fut pour moi un vrai choc.
J’avais averti mes amis que je n’envisagerais de me convertir au Judaïsme que si je ne pouvais plus dormir la nuit. J’étais arrivé à ce stade. Je décidai donc de me convertir.
Question: Est-ce que votre décision a été une des choses les plus difficiles ou les plus faciles que vous ayez vécues?
Gamedze: Je savais que le chemin serait extrêmement difficile. Chaque fois que je me trouverai dans un groupe de Juifs, je serai comme le vilain petit canard - le seul type noir dans la pièce. Je n’ai jamais aimé être au premier plan et voilà que maintenant, lorsque que je pénétrais dans une synagogue, on pouvait entendre: “Est-ce vraiment un prince africain?” C’est terrible. Mais je devais m’entretenir avec D.ieu et Lui dire: “D’accord, si c’est Ta volonté, que cela soit ainsi.”
L’être humain a parfois des hauts et des bas dans sa vie et il n’est pas certain de toujours bien agir. Et souvent, c’est vraiment le cas. Quant à moi, j’étais sûr que ce que je faisais, c’était ce qu’il fallait faire. Cela vous est d’un fier soutien.
Question: Avez-vous réussi jamais à comprendre pourquoi D.ieu vous jouait ce “tour” – pourquoi votre parcours devait être si dur?
Gamedze: Je n’ai trouvé la réponse il n’y a que quelques mois. J’enseignais l’histoire de Jetro, le beau-père de Moïse et essayais de transmettre à mes élèves quel genre particulier de personnalité il était. Et je me rappelai les propos du Rabbin Moshe Carlebach, que j’avais entendus il y a longtemps, disant que la première fois que dans la bible apparaît la phrase Barou’h Hashem (Sois-Tu béni D.ieu) est lorsque Jetro, un converti, loue D.ieu d’avoir sauvé les Juifs des Egyptiens.
C’est dans Barou’h Hashem, c’est-à-dire en rendant une gloire supplémentaire à D.ieu que réside toute la conception que peut avoir un converti du Judaïsme. C’est pourquoi le nom de Yitro (Jetro) vient de la racine hébraïque yeter qui veut dire “ajout”. Parce que celui qui vient de l’extérieur de peuple juif, et par conséquent a choisi d’y appartenir, voudra ajouter de la gloire à D.ieu, non pas qu’Il en manque mais parce que nous en voyons plus.
C’es en expliquant ces choses à la classe que j’entendis une voix me disant, et alors? Maintenant tu sais pourquoi tu dois souffrir tout cela – pour apporter un supplément de gloire. Mon histoire, ce n’est pas de savoir si je me sens bien mais comment je magnifie D.ieu. C’est pourquoi je dois me sentir différent car seul celui qui vient de l’extérieur et qui acquiert le Judaïsme avec difficultés, peut apporter cet unique tribut. J’ai enfin trouvé la réponse à la question qui m’a déconcerté et blessé pendant tant d’années.
Question: Pourtant c’est encore difficile, n’est-ce pas?
Gamedze: Oui, mais je le vois d’une tout autre façon maintenant. Ce monde est à D.ieu, après tout, et nous sommes Ses créatures. Quand on regarde ce qui se passe, on croirait presque voir un film, avec ses décors et ses arrière-plans fantaisistes. D.ieu Se dit à Lui-même: “Comment pourrait-on faire pour qu’ils s’intéressent au Judaïsme?” Alors, Il s’arrange pour qu’un prince africain s’engage dans cette voie, pour que les gens prêtent attention à certaines choses et les méditent. Oui, cela m’est difficile. Mais ce qui compte, c’est ce que D.ieu veut et non pas ce que je veux.
Source lamed.fr