Ancien patron de France 24, Franck Melloul a pris, ces dernières semaines, les fonctions de PDG de la nouvelle chaîne d’information israélienne qui s’est fixé pour objectif de mieux expliquer Israël à travers le monde. Cette chaîne, initiée par l’homme d’affaires franco-israélien Patrick Drahi, émettra d’Israël en trois langues (français, anglais et arabe) à partir du premier semestre de 2013. Alors que le lancement de ce média d’envergure se prépare activement à Tel-Aviv, Franck Melloul a accepté de répondre aux questions d’Hamodia.- Hamodia : Qu'est-ce qui pousse un homme comme vous à quitter une carrière « généraliste » bien entamée tant sur le plan diplomatique que dans les grands médias internationaux tels que France 24, pour vous engager sur le véritable champ de mines qu’est la création d’une chaîne d’information israélienne ?
- L’esprit de mission. Je pense qu’aujourd’hui, doter Israël d’un outil d’influence qui contribue à son rayonnement culturel et politique, c’est là un défi qui mérite d’être relevé. Patrick Drahi m’a convaincu d’accepter cette mission et je l’en remercie. Je crois que nous sommes aujourd’hui à un carrefour : c’est le moment opportun pour mettre en place un outil d’influence comme celui-là.
- Qu'est-ce qui a changé selon vous ?
- Jusqu'à présent, les dirigeants israéliens considéraient que la haine de leur pays à travers le monde était si puissante que c’était peine perdue de la combattre. Aujourd’hui, ils ont radicalement changé d’approche et sont conscients des dangers que peuvent représenter certains médias.
- Pourquoi investir tant de moyens dans une chaîne de télévision, alors que pour mieux expliquer Israël, il y a aujourd’hui des outils bien plus simples et peut-être tout aussi efficaces tels que les réseaux sociaux Facebook, Twitter, ou encore You Tube qui ont d’ailleurs été utilisés avec un certain succès lors de l’opération « Colonne de nuée » ?
- C’est plus nuancé que vous le dites. Je me félicite qu’Israël ait enfin compris qu’il fallait investir dans la communication extérieure, mais je considère qu’aujourd’hui la plus sérieuse menace pour Israël ce n’est pas le nucléaire iranien, mais la campagne de délégitimation qui est menée contre lui. Avec You Tube, Facebook et Twitter, les gens sont certes de mieux en mieux informés et pourtant ils sont de plus en plus nombreux à penser qu’Israël n’est pas légitime. /////Que l’on soit à Bagdad, Paris, Washington ou Tel-Aviv, ce sont aujourd'hui les mêmes images que l’on voit partout. Mais c’est la perception de ces images qui est différente. Car aujourd’hui dans leur manière de traiter l'actualité sur Israel, l'ensemble des chaines d'informations internationales envoient d'une certaine manière leur missiles médiatiques contre Israël. Et je considère que le rôle de notre chaîne sera justement d'être, la « Kipat Barzel » le dôme d’acier de la communication israélienne. Et pour ce faire, il faut que nous ayons un regard différent, mais qui soit crédible. Nous sommes à un instant-clé : la Russie a sa chaîne d’informations internationales, la Chine en a une également, les Iraniens et les Turques aussi. Pourquoi Israël n’aurait pas ce même droit ?
- Cette chaîne semble donc être destinée non pas aux inconditionnels d’Israël, mais plutôt aux hésitants ou même à ceux qui ont des préjugés anti-israéliens. Comment comptez-vous toucher le public que vous ciblez ?
- Vous avez raison. Ma mission n’est pas de faire une chaîne pour la communauté juive, mais pour ceux qui détestent Israël. Je pense que ceux-là nous regarderont ne serait-ce que par curiosité. Sans comprendre l’arabe, le monde regarde Al Djézira, car la force des images suffit. C’est à la fois dangereux, mais c’est là que cela se passe. En dehors de la guerre qu’Israël doit mener sur le terrain, il y a la guerre des images et la bataille des points de vue. Et pour nous il est essentiel de montrer le point de vue israélien dans le monde et sa complexité
- Comment obtenir cette crédibilité dont vous parlez ?
- Pour ce faire, il faut créer une chaine d’information standard : sur notre chaine 70 % de l’actualité sera internationale et 30 % sera « régionale » dont Israël. Nous allons montrer ce qui rassemble et non ce qui divise. Et nous allons essayer de toucher ceux qui nous détestent, mais aussi ceux qui ont des doutes sur le droit d’Israël à se défendre et qui ne connaissent pas la nature du conflit israélo-palestinien. Et pour les sensibiliser, il faut d’abord que nous soyons indépendants : c'est pourquoi notre chaîne sera entièrement financée par des fonds privés. Ensuite, nous devrons montrer qu’Israël n’est pas un pays fermé sur lui-même, mais qu’il est aussi concerné par ce qui se passe à l’extérieur de ses frontières. Il faut connecter Israël au monde et connecter le monde à la réalité israélienne. C’est cela l’ambition de la chaîne. Et cela nous permettra ensuite d’expliquer pourquoi ceux qui d’ordinaire regardent Israël ne le font pas avec les « bonnes lunettes »
- Si votre chaîne avait existé au déclenchement de l’opération « Colonne de nuée » comment aurait-elle présenté la réalité sur le terrain ?
- Nous aurions d’emblée rappelé les provocations palestiniennes. Nous aurions insisté sur le drame vécu par la population israélienne du Sud ciblée par des centaines de missiles. Nous aurions eu plusieurs longueurs d’avance sur les chaînes d’information qui ne réagissent que lorsqu’il se passe quelque chose dans Gaza. Notre rôle sera d’offrir aux grandes chaînes d’informations internationales que je connais très bien des images qu’elles n’ont pas, de développer avec elles des partenariats pour qu’elles incluent ces images dans leurs journaux.
- Mais pourquoi seraient-elles partenaires d’une chaîne qui est basée à Tel-Aviv et qui se pose ouvertement dans la défense d’Israël ? Pourquoi par exemple France 24 irait-elle chercher des images d’une chaîne qui s’inscrit comme étant au service d’Israël ?
- Parce que j’entretiens des relations avec ces chaines qui sont suffisamment profondes pour les persuader. Et parce que je sens que nous répondons à une attente. Le Proche-Orient est une région passionnée et les médias rajoutent à cette passion. Nous voulons, sur notre chaîne, montrer qu’Israël est une société libre ouverte et le théâtre de débats permanents. Montrer qu’il y a des gens de gauche qui étaient favorables à l’entrée de Tsahal dans Gaza. Montrer la complexité de ce pays. Expliquer que rien n’est binaire dans ce conflit et que c’est justement pour cela qu’il n’est pas encore réglé.
- Dernière question : comment expliquer que l’idée de cette chaîne soit précisément venue d’un Français et pas, par exemple des « puissants » américains qui ont plus d’expérience en la matière ?
- L’idée a été celle de Patrick Drahi qui est franco-israélien et qui est le principal actionnaire de Hot, le bouquet israélien de chaines câblées. Mais il est vrai qu’il y a un savoir-faire en France en matière de chaînes internationales. On m’a demandé de venir, car j’ai été à l’origine de la stratégie de lancement de France 24 qui a réussi en un temps record à s’imposer alors que de prime abord personne ne s’intéressait vraiment à la position de la France sur des dossiers internationaux. Or, aujourd’hui cela intéresse beaucoup d’entendre le point de vue israélien. Et puis un simple rappel : combien de chaînes internationales parlent de la France chaque jour et combien parlent d’Israël au quotidien ? Voilà pourquoi cette chaîne est indispensable.
La chaîne internationale en français a déjà son directeur
La véritable cheville ouvrière de cette nouvelle chaîne en français sera Stéphane Calvo qui fut producteur d’émissions à succès sur plusieurs grandes chaines françaises (TF1, M6, Canal plus). En 2006, Stéphane Calvo a décidé de faire son alya et il s’est fait connaitre au sein de la communauté francophone en animant au cours des dernières années une émission hebdomadaire en français qui a fait le buzz sur la radio israélienne 90 FM. Il produit également des documentaires sur la société israélienne qui sont diffusés sur les chaînes françaises. Le dernier en date est d’ailleurs un documentaire consacré à la communauté orthodoxe en Israël.
Bio-express
Franck Melloul est né en 1973 à Fribourg (Suisse). Après des études de droit et de relations internationales à Genève, il entre au Quai d’Orsay comme chargé de mission auprès du directeur des Affaires Stratégiques, puis comme adjoint du porte-parole. Il sera ensuite conseiller de presse et de communication du Premier ministre Dominique de Villepin (2005-2007. En 2007 et 2008, il est nommé directeur de la Stratégie et du Développement de France 24. En 2009, il est directeur de cabinet du Secrétaire d’État aux Affaires européennes. En juin 2010, le secrétaire général de l’UMP Xavier Bertrand lui confie une mission sur le développement de l’influence de la France sur la scène internationale. Il est à l’initiative de la création d’un groupe de contact de stratèges des médias internationaux tels que la BBC et la Deutsche Welle. Durant l’automne 2012, Patrick Drahi lui confie la présidence d’une chaine d’information israélienne internationale