dimanche 23 décembre 2012

Pourquoi le régime s'en prend aux Palestiniens ?






Les réfugiés palestiniens du camp de Yarmouk, situé dans un quartier de Damas en proie aux affrontements, se retrouvent au coeur du conflit syrien depuis que l'armée l'a bombardé ces derniers jours. Quelque 100.000 des 150.000 habitants ont fui le camp selon l'agence de l'ONU pour l'aide aux réfugiés de Palestine (UNRWA). Des négociations sont en cours pour tenir le camp à l'écart de la guerre en Syrie. Pour tenter de comprendre se qui se joue au sein de la population palestinienne de Syrie -450.000 habitants-, L'Express a interrogé Majed Kayali, écrivain palestinien de Syrie, qui a quitté Damas depuis un an mais qui a toujours vécu entre Alep et la capitale. 

Quel est le sentiment de la population palestinienne de Syrie à l'égard du régime?
On ne peut pas parler d'un point de vue unique des Palestiniens de Syrie, y compris dans leur appréhension du régime. Reste que, à l'instar des Syriens eux-mêmes, la majorité d'entre eux ont considéré le régime comme un "fait accompli".  
Les Palestiniens ont toujours vécu dans la crainte que telle ou telle initiative ne provoque une réaction des autorités à leur égard. Ils ont en effet souffert, tout comme les Syriens eux-mêmes, des redoutables pratiques des services de sécurité syriens: humiliation, répression, autoritarisme. Il faut ajouter que le nationalisme palestinien est historiquement représenté par le Fatah, qui, à plusieurs reprises, a affronté les foudres du régime Assad. De leur côté, les autorités syriennes ont toujours tenté d'utiliser la cause palestinienne pour renforcer leur légitimité à l'intérieur du pays, mais aussi sur le plan régional et international.  

A la différence des réfugiés dans d'autres pays de la région, les droits des Palestiniens en Syrie sont quasiment identiques à ceux des citoyens syriens?
C'est une réalité, si l'on fait exception des droits en termes d'activités politiques et de participation électorale. Mais les autres droits n'ont pas été offerts aux Palestiniens par le parti Baas. Ils leur ont été accordés antérieurement à l'arrivée du clan Assad au pouvoir en 1970. Pourtant, on observe, ces dernières années, un recul de ces droits. Le droit de propriété, par exemple, a été restreint. On exige une autorisation du ministère de l'Intérieur; on demande que le futur propriétaire soit un père de famille. De même, les Palestiniens ne peuvent plus prétendre à des postes dans la haute fonction publique, ni dans les académies militaires. Ces pratiques ont lieu en dehors de tout cadre légal. Mais elles s'apparentent à celles que connaissent les Syriens depuis plusieurs années: un rétrécissement continuel des fonctions étatiques à un clan toujours plus restreint autour des Assad. 

Quels est le poids des groupes palestiniens pro-régime comme le Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG)?
Le FPLP-CG d'Ahmad Jibril est une toute petite formation, sans base populaire et avec un très faible soutien au sein de la population palestinienne. Il n'existe que par son alliance avec le régime syrien. Tout au long de son histoire d'ailleurs, le FPLP-CG a combattu aux côtés des forces syriennes au Liban, notamment contre l'OLP et la Gauche libanaise dans les années 70, puis contre le Fatah pendant les "guerres des camps" à partir de 1983. Il a toujours été l'ombre du régime syrien sur la scène palestinienne.  

Quel est l'influence du Fatah et du Hamas en Syrie?
Dans leur grande majorité, les Palestiniens de Syrie ne sont plus encadrés par des partis. Leur sympathie va cependant toujours au Fatah qui reste populaire parce qu'il est considéré comme le représentant national des Palestiniens et parce que son leader Yasser Arafat était le Zaïm (chef) du peuple palestinien. Mais le Hamas est sans aucun doute le mouvement dont l'influence est la plus forte après le Fatah, et il concurrence désormais ce dernier.  

L'attitude du régime a-t-elle changé à l'égard des Palestiniens après le départ de Syrie de la direction du Hamas l'hiver dernier?
Non, pas vraiment, et ceci pour deux raisons. D'abord parce qu'il était trop occupé à combattre la révolution. Mais aussi parce que le Hamas n'a pas une présence aussi visible qu'à Gaza ou en Cisjordanie, voire en Jordanie. Il faut rappeler que le mouvement des Frères musulmans a toujours été interdit en Syrie et que le Hamas en est issu. Le Mouvement de la résistance islamique a donc peu développé sa structure politique et a privilégié les actions médiatiques, caritatives, et sociales.  

La situation des Palestiniens a-t-elle changé depuis le début de la contestation ? Quelle est leur positionnement dans le contexte de la révolution?
Depuis le début de la révolution, à deux exceptions près, le FPLP-CG et la Saïqa, la branche palestinienne du parti Baas, la plupart des formations politiques palestiniennes ont prêché la neutralité, ce qui a permis de maintenir le calme dans les camps de réfugiés.  
Malgré cette neutralité officielle, de nombreux Palestiniens se sentent proches de l'esprit de la révolution. Le calme relatif des camps de réfugiés et la sympathie pour l'opposition se sont traduits, depuis cet été, par l'accueil de réfugiés syriens chassés par les combats de leurs quartiers. Un paradoxe qu'il faut souligner: des réfugiés de Palestine accueillant des réfugiés syriens dans leur propre pays.  
Mécontent de cette évolution, le régime a, par le biais du FPLP-CG et de la Saïqa, tenté de mobiliser des partisans dans les camps, armé certains jeunes, et utilisé ces camps pour tirer contre les rebelles installés dans les quartiers ou villes avoisinantes. L'armée syrienne elle-même a essayé de passer par les camps lors des affrontements avec les rebelles de l'Armée syrienne libre. Ceci a poussé une partie de la population à manifester contre le régime et ses alliés. 

Certains Palestiniens ont par ailleurs rejoint l'opposition, à titre individuel, notamment dans les manifestations de rue et l'activisme médiatique. On estime qu'au moins 700 Palestiniens ont perdu la vie dans la répression contre les manifestations, ou à cause des bombardements de l'armée.  

D'une façon générale, les Palestiniens, qui sont eux-mêmes en quête de liberté et de dignité, ne pouvaient qu'être choqués par la barbarie dont a fait preuve le régime contre la contestation. D'ailleurs, une partie de la nouvelle génération des Palestiniens se sent concernée au premier plan par cette révolution, et ne fait pas de distinction entre citoyens palestiniens et syriens. 


Source L' express.Fr