mercredi 10 juillet 2013

Rejet royal


Courant juin, le président israélien a célébré son 90e anniversaire, en compagnie de nombreux dignitaires du monde entier. Comme l’exigeaient la nature de l’événement et le statut de Shimon Peres, le bureau présidentiel a travaillé d’arrache-pied pour parvenir à établir une liste d’invités spectaculaires, incluant l’ancien président américain Bill Clinton, l’ancien président russe Mikhaïl Gorbatchev et la star internationale Barbra Streisand. Mais au bout du compte, les paparazzis seront restés sur leur faim, puisque tous les invités escomptés ne sont pas venus.

Parmi les essais infructueux, le Jerusalem Post a appris tout récemment que la présidence avait engagé des discussions discrètes avec le bureau du duc et de la duchesse de Cambridge, à savoir le prince William – second dans l’ordre d’accession au trône britannique – et sa femme, la princesse Kate, dans l’espoir de compter le couple princier lors des festivités et d’apporter une touche de noblesse aux célébrations. Malheureusement, l’invitation a été poliment déclinée. Pour la raison officielle que l’événement avait lieu à quelques semaines à peine du terme de la grossesse de Kate. Mais en fait, les chances d’une visite du couple en Israël, qui n’aurait pas manqué d’être largement médiatisée, étaient minces. Car en 65 ans de relations diplomatiques entre l’Etat hébreu et le Royaume-Uni, aucun représentant de la monarchie britannique n’a encore effectué de visite officielle en Israël. Et si la reine Elizabeth II, qui va bientôt célébrer ses 60 ans de règne, a entrepris plus de voyages officiels à travers la planète que n’importe quel autre chef d’Etat de l’histoire anglaise, elle n’a jamais posé le pied en Terre promise. Certes, quelques membres de la royauté britannique ont bien effectué de rares séjours en Israël, mais tous ont été clairement présentés comme « des visites strictement personnelles ».
Et pourtant, la famille royale arpente le globe. L’an dernier, en l’honneur de ses noces de diamant, le nombre des visites à l’étranger de la reine a été publié : 261 visites officielles dans 116 pays depuis 1952. Elle a ainsi séjourné au Moyen- Orient plusieurs fois, de la Jordanie au Koweït, en passant par Bahreïn et l’Arabie Saoudite. D’autres membres de la famille royale ont effectué des dizaines de visites officielles pour la seule année dernière. Le fils aîné de la reine, le prince Charles, a lui aussi fréquenté la région plusieurs fois, seul ou en couple. Il s’est ainsi rendu au Qatar, à Bahreïn et en Arabie saoudite avec la princesse Diana, dans les années 1980, et plus récemment, en Jordanie, Arabie Saoudite, au Qatar et à Oman avec sa seconde épouse, Camilla.


« Ils ne me laisseront pas venir »

Depuis des années, les ambassadeurs israéliens basés à Londres tentent de vérifier, via des canaux de communication calmes et fiables, s’il serait possible d’envisager une visite officielle de la reine d’Angleterre en Israël. Ou du moins du prince Charles. Mais Peres lui-même, qui a été fait chevalier par la reine, lors d’une cérémonie majestueuse au palais de Buckingham, avait alors fait savoir qu’un déplacement de la reine était un événement très compliqué à gérer, qui nécessite 24 mois de préparation. Mais il avait toutefois précisé qu’il espérait que le prince Charles, puisse, lui, se rendre dans l’Etat hébreu dans un futur proche.
Eric Moonman, président de la Fédération sioniste de Grande-Bretagne, a ainsi déclaré l’an dernier que Charles était d’ailleurs très intéressé par les réalisations écologiques d’Israël, et qu’un séjour du prince était envisageable dans les trois années à venir. Mais la vérité – que Jérusalem et Londres connaissent bien –, c’est que tout cela ne dépend pas vraiment d’Elizabeth, Charles, William ou Kate. Selon les propres mots de Charles, murmurés à un membre du corps diplomatique, il y a quelques années : « ils ne me laisseront simplement pas venir ». Une réponse qui correspond à la position délivrée par Buckingham Palace: les visites officielles de la famille royale ne se font que sur ordre du gouvernement.
« Ce n’est pas que la reine boycotte Israël, mais elle suit les instructions du gouvernement à la lettre. L’Angleterre est une monarchie constitutionnelle, et sa majesté et sa famille ne feraient jamais rien qui contreviendrait à la politique gouvernementale », explique le professeur Jeffrey Alderman, spécialiste de l’histoire moderne anglaise et des relations judéo-britanniques.
«La reine ne fait que se conformer aux ordres du gouvernement », note-t-il, « et pour des raisons politiques et diplomatiques, chaque gouvernement depuis Churchill a recommandé de n’effectuer aucune visite officielle en Israël ».
Le ministère des Affaires étrangères sait très bien que la décision d’un séjour ne dépend pas du palais Windsor. Car pour l’heure, la position qui prévaut, c’est qu’un déplacement d’un membre de la famille royale ne sera possible qu’après la résolution du conflit israélo-palestinien. « La question clé, qui précédera tout voyage officiel, c’est la paix », confirme Simon McDonald, ambassadeur britannique en Israël en 2006.
Pourtant, pour certains officiels de premier plan, impliqués dans les relations israélo-britanniques, la raison du boycott royal serait un peu plus complexe. Et pourrait résulter de l’histoire entre les deux pays, toujours autant chargée émotionnellement.


Bouc émissaire idéal

L’Etat d’Israël a vu le jour sur l’expiration du Mandat britannique dans la région. Les Anglais plieront bagage à la hâte, au terme d’une période conflictuelle où luttes politiques et militaires ont opposé l’armée britannique à la communauté juive. Au cours des premières années qui suivront sa création, la jeune nation israélienne nourrit un certain ressentiment et une suspicion envers la famille royale britannique qui privilégie alors des liens économiques, politiques et stratégiques avec les magnats du pétrole du golfe persique et de la péninsule arabique. C’est aussi l’époque où l’Angleterre restreint ses ventes d’armes à Israël. Le ministère des Affaires étrangères considère toujours qu’une des raisons du boycott britannique vient du fait que le Royaume-Uni désire éviter toute controverse avec ses alliés. « En général, la royauté européenne évite de se rendre dans des régions où les tensions sont vives, et Israël est considéré comme un endroit chaud », explique Moshé Raviv, ambassadeur d’Israël à Londres dans les années 1970. « Et c’est d’autant plus vrai pour la monarchie britannique, au regard de son héritage et de son histoire avec l’Etat hébreu. Aujourd’hui encore, les Anglais se sentent coupables pour leur départ précipité de Palestine, et responsables de ne pas avoir créé un Etat palestinien aux côtés de l’Etat juif. » Même si les tensions se sont apaisées dans les années 1950, les diplomates israéliens estiment que leurs homologues britanniques affichent toujours une inclinaison pro-arabe.
« Israël n’a que peu d’amis au sein des Affaires étrangères britanniques et des autres pays du Commonwealth », note Itzhak Shochet, rabbin londonien et leader juif britannique. « Certes, depuis le Printemps arabe, Londres affiche un nouveau regard et semble apprécier les bénéfices que constitue le fait d’avoir une démocratie comme Israël au Moyen-Orient. Mais cela ne devrait pas durer longtemps, car l’Etat hébreu fait systématiquement office de bouc émissaire idéal dans cette région tourmentée. La Syrie est engagée dans une guerre civile, l’Egypte est dépassée par les révoltes et Gaza croule sous le chaos. Rien de plus simple que de blâmer Israël pour tout cela. »


Quand la Dame de fer brave le boycott

Mais même si on laisse la reine de côté, le conflit israélo- palestinien a toujours donné du fil à retordre au Royaume- Uni où l’opinion publique s’est systématiquement opposée à la présence israélienne dans les territoires et à la construction d’implantations juives en Judée-Samarie. Et cette dernière décennie, la Grande-Bretagne est devenue un des fiefs des activités de délégitimation d’Israël à travers le monde. Dernier événement en date : le refus du scientifique Stephen Hawking de participer à la conférence du président Peres. Certes le 10 Downing Street – résidence du Premier ministre britannique – s’emploie à rappeler qu’il ne s’agit pas là de la politique officielle du gouvernement, mais les associations qui œuvrent pour le BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) de l’Etat hébreu en appelant à un boycott économique, culturel et académique du jeune Etat juif pour protester contre « l’occupation », gagnent du terrain. Jusqu’au milieu des années 1980, le boycott était également de rigueur parmi le gouvernement britannique et son Premier ministre. C’est la Dame de fer, Margaret Thatcher, qui sera la première à rompre avec la tradition, quand, en 1986, elle ignore les recommandations des Affaires étrangères et entreprend une visite officielle en Israël. Et pour la petite anecdote, une fois sur place, quand elle se verra demander si la reine en personne pourrait éventuellement effectuer un déplacement, elle répondra innocemment : « Mais je suis là ». Le séjour de Thatcher, puis le dégel temporaire entre Israéliens et Palestiniens qui allait suivre les accords d’Oslo conduiront à un adoucissement de la position diplomatique britannique. Ainsi, la première visite – personnelle – de sang bleu en Terre promise, aura lieu l’année suivante.
« Les membres de la famille royale consultent toujours les Affaires étrangères avant de voyager à l’étranger », avait alors fait savoir Buckingham Palace, par voie de communiqué, à propos du déplacement du prince Philip, le mari de la reine, en octobre 1994. « Et les Affaire étrangères ont décidé que le temps était venu pour une visite en Israël. » Philip, invité par Yad Vashem, rencontrera donc le Premier ministre de l’époque Itzhak Rabin et le président Ezer Weizman, mais sans les formalités inhérentes à une visite officielle ou gouvernementale.


Fils de Juste

Invité par Yad Vashem, car si le duc d’Edimbourg a des racines au sein des familles royales danoises, grecques et britanniques, il peut également s’enorgueillir d’un lien particulier avec le peuple juif et Israël par sa mère, la princesse Alice.
Alice von Battenberg, née Victoria Alice Elizabeth Julia Marie a grandi dans les cours royales de Londres et Paris, avant de convoler en justes noces avec Andréas, prince de Grèce. Pendant la seconde guerre mondiale, elle habite le palais de la famille de son époux dans la ville d’Athènes, alors occupée par les nazis. Elle s’engage pour la Croix-Rouge et se porte volontaire pour différentes soupes populaires. La nuit, elle se consacre à 6 Juifs grecs, qu’elle cache. Pendant plus d’un an, elle abritera Haimki Cohen et sa famille dans son palais du centre d’Athènes. Cohen était un ancien membre du Parlement grec qui entretenait des relations chaleureuses avec la famille royale grecque.
Bien qu’interrogée à plusieurs reprises par la Gestapo, Alice protégera la famille juive et prendra soin personnellement de leurs besoins jusqu’à ce que la Grèce se libère du joug nazi. Après la guerre, elle formera un ordre de nonnes infirmières grec orthodoxe, avant de passer les dernières années de sa vie auprès de son fils, à Buckingham Palace, jusqu’à son décès, en 1969. Elle sera enterrée au château de Windsor. Avant sa mort, Alice avait formulé un vœu : être inhumée dans les jardins de l’église Marie-Madeleine, au mont des Oliviers de Jérusalem, auprès de sa tante, la Grande-Duchesse de Russie, Elizabeth Fyodorovna, tuée lors de la Révolution bolchévique, en 1918. Vingt ans après sa mort, la dernière volonté d’Alice sera exaucée. Sa dépouille sera transportée en Israël et mise en terre à Jérusalem, au cours d’une cérémonie qui aura exigé d’Israël et du Royaume-Uni une coordination religieuse et diplomatique avec les Eglises russe et grecque orthodoxe.


Visites uniquement privées

Lors du transfert du cercueil d’Alice en Israël, en 1988, les Affaires étrangères britanniques conseilleront au prince Philip de ne pas être du voyage. Mais l’événement mettra en lumière la dimension historique de la princesse Alice et son rôle dans le sauvetage de la famille Cohen, qui transcenderont les considérations diplomatiques. Ainsi, en 1994, quand Yad Vashem reconnaît Alice comme Juste parmi les Nations, le prince Philip sera autorisé à se rendre à Jérusalem pour planter un arbre en l’honneur de sa mère, et à se recueillir sur sa sépulture. « La Shoah a été la plus grande tragédie de l’histoire du peuple juif, et restera à jamais dans la mémoire collective juive. Pour cette raison, il s’agit d’un hommage lourd de sens que celui rendu à ces milliers de non-Juifs, qui, comme ma mère, ses ont identifiés à votre souffrance et ont fait le peu qu’ils ont pu pour alléger les horreurs », a déclaré Philip lors des cérémonies.
Un an plus tard, un autre représentant de la famille royale se rendra en Terre promise : la reine Elizabeth enverra le prince Charles à l’enterrement du Premier ministre Itzhak Rabin, là encore, à titre personnel. Puis la même année, la sœur de la reine, la princesse Margaret, résidera quelques jours sur les rives du lac de Tibériade, lors d’un voyage privé en Jordanie. La décennie suivante se déroulera sans aucune visite de sang bleu. Jusqu’en septembre 2007, quand le plus jeune fils d’Elizabeth, le prince Edward, se rendra en Israël pour un séjour de 4 jours. Edward, comte de Wessex, était invité par une association de jeunes Juifs et Arabes. Son emploi du temps chargé inclura une cérémonie d’inauguration à l’université de Haïfa, une levée de fonds avec l’homme d’affaires Nochi Dankner, un repas de Shabbat avec le Grand Rabbin Yona Metzger, et bien sûr, une visite de Yad Vashem et une plantation d’arbre en mémoire de sa grand-mère. Mais encore une fois, aucune rencontre avec le Premier ministre ou le président.
Une fois de plus, Buckingham Palace, mettra les choses au clair, précisant qu’il s’agit uniquement d’une « visite privée. Les visites officielles se font sur demande des Affaires étrangères ».


Respecter le statu quo

En novembre 2007, deux mois après ce dernier voyage, il devenait clair qu’Israël ne devait pas espérer d’autres déplacements, suite à l’embarrassant échange de mails entre deux assistants séniors du prince Charles, rendu public à la presse. Plus tôt dans l’année, l’ambassadeur israélien Zvi Hefetz avait invité le secrétaire personnel du prince, Michael Pate, et son assistant, Clive Alderton, pour un voyage de 4 jours en Israël, au nom de la Knesset. Apparemment, les deux hommes avaient accepté. Mais des fuites parvenues au journal britannique Jewish Chronicle qui les publiera laissent entendre le contraire.
« Est-il raisonnable de penser qu’il puisse réellement y avoir une possibilité pour que cette visite ait lieu ? », écrivait l’assistant du secrétaire à son supérieur, avant de se plaindre des incessantes demandes du ministère israélien pour un tel déplacement. Selon lui, une telle visite n’aurait pour but que de préparer le terrain pour un séjour du prince couronné. «Accepter cette invitation permettra à Israël d’utiliser sa relation avec Charles pour améliorer son image internationale. Trouvons une façon pour revoir à la baisse leurs attentes », disait encore le mail. Le bureau du prince ne contestera pas avoir émis ce message, et se contentera de l’habituelle réponse laconique : « Toutes les visites du prince de Galles sont planifiées sur ordre du gouvernement ».
Mais que sait-on des opinions personnelles de la reine ? Très peu de choses. Au cours de ses six décennies de règne, Elizabeth n’a quasiment jamais exprimé son point de vue sur des questions publiques ou politiques, et n’a que très rarement accordé d’interviews. Celle qui préfère passer son temps à regarder des courses de chevaux ou de chiens jouit d’une cote de popularité relativement stable au sein de l’opinion publique anglaise et peut même s’enorgueillir du soutien des leaders de la communauté juive, qui, tout au long de l’histoire, ont toujours entretenu des liens étroits avec la famille royale. Chaque Shabbat, dans toutes les synagogues du pays, les fidèles juifs du royaume prient pour la santé de la reine. Les membres de la famille royale participent fréquemment aux conférences et autres événements juifs et nombre d’entre eux affichent également des relations chaleureuses avec des représentants de premier plan de la communauté. Le systématisme élégant avec lequel la reine Elizabeth ignore les invitations de l’Etat juif constitue la seule source de critiques, mais la communauté juive préfère éviter le sujet pour ne pas éveiller les tensions. « Comme la reine qui n’exprime pas ses convictions personnelles, la communauté en fait de même », note un de ses leaders. « Par le passé, certains représentants ont bien tenté d’évaluer les possibilités d’une visite en Israël, mais cela a été fait en toute discrétion ».


Ce que reine veut, Dieu le veut

La question d’un déplacement royal ne fait désormais plus partie de la routine diplomatique entre Israël et le Royaume- Uni, a fait savoir le ministère des Affaires étrangères israélien qui se déclare sceptique quant à un déplacement officiel dans un futur à court ou moyen terme. Pour autant, cela n’affecte pas les relations entre les deux pays, les échanges diplomatiques et commerciaux restent au beau fixe.
Mais le boycott royal continue d’alimenter les conversations de ceux qui estiment que si elle le voulait vraiment, la reine aurait déjà fait le déplacement et accepté une des nombreuses invitations officielles qui lui ont été faites de se rendre en Israël.
Pour David Landau, ancien rédacteur en chef d’Haaretz, et accessoirement d’origine britannique, pour beaucoup d’officiels anglais, la position de la reine du « quand il y aura la paix » est tout simplement inacceptable. « Je suis sûr qu’il nous manque un bout de l’histoire », affirme-t-il, « parce qu’ils font tant d’efforts pour ne pas venir. Cela doit provenir de réminiscences de l’hostilité britannique envers Israël et ils refusent cet acte symbolique de reconnaissance et de légitimation du pays ».
Dans un article de l’an dernier, Landau avait d’ailleurs écrit que la « formidable, étonnante et dévouée reine de 86 ans n’est la marionnette de personne. Si elle voulait vraiment visiter l‘Etat juif, elle insisterait pour le faire, et elle le ferait ». Il l’avait ainsi enjoint à « mettre fin à ces délais fétides et un terme au boycott ».
Pour Landau, un séjour royal constituerait un pas significatif dans la lutte contre le boycott et la délégitimation d’Israël qui se joue en Angleterre. « La reine n’aurait même pas besoin de se déplacer en personne, un des princes couronnés, Charles ou William, seraient également les bienvenus. » Mais comme l’entourage de Peres a pu le constater, même la plus grande fête de la ville ne suffit pas pour faire faire une exception à la famille de Windsor.


Source JerusalemPost