C’est un très beau livre que Paul Amar nous a donné avec ses Blessures. Un livre à la fois secret et public, personnel et universel. Construit comme un journal intime, du reste, cet ouvrage égrène, chapitre après chapitre, les heurs et malheurs que son auteur a vécus...
Ce brillant journaliste nous fait partager les grands moments de sa vie professionnelle, que nous découvrons avec la passion d’aficionados enfin autorisés à franchir les barrières de l’arène. Notre goût pour le monde médiatique est né et a crû avec le medium et, hommes et femmes, tels des midinettes nous aimons à en découvrir les coulisses secrètes.
Mais ces chapitres successifs, rythmés et percutants, narrent dans le même temps l’histoire de notre époque, celle que mes contemporains et les siens ont vécue, ou dont ils sont les dépositaires. En effet, par le biais de son propre parcours public, c’est le nôtre, plus secret, qu’il révèle : celui des enfants de l’après-guerre, celui des enfants de survivants, celui des enfants de personnes déplacées par cette même grande Histoire.
En filigrane d’abord, et ensuite de plus en plus visible sur la trame de ce récit, se dégage la question fondamentale qui le hante depuis longtemps, et que nous sommes un certain nombre à nous être posée ces dernières années : pourquoi la haine du Juif a-t-elle pu renaître ainsi des cendres des victimes, qui, croyions-nous, auraient dû nous en protéger jusqu’à la fin des temps ? Pourquoi l’a-t-on attaqué, lui, en raison de sa judéité, et non en raison de supposés manquements professionnels, ou de ses opinions ?
Pour y répondre, Paul Amar s’embarque dans une démonstration qui tient du procès d’assises et du funambulisme. Prenant l’un après l’autre les principaux acteurs et ténors français du discours antisémite, il tente de démontrer leurs motivations profondes, leur raisonnement, pour faire la preuve de leur culpabilité. Cependant, la logique suffit-elle face à la haine ? Non. C’est là qu’intervient l’exercice de corde raide… Pourtant le lecteur impliqué qui suit page après page le fil de ce réquisitoire adhérera pleinement à sa thèse, qui débouchera in fine sur un constat effrayant, et très inquiétant pour l’avenir – même si dans le dernier chapitre on sent revivre chez l’auteur l’espoir humaniste que les enfants sauront être différents de leurs parents… À ce stade, cela ressemble fort à un rétablissement d’équilibriste !
Le livre de Paul Amar est sorti en août 2014 : ce qui n’était qu’une mise en garde a pris, depuis, une autre dimension. Son auteur effectue un tour de France ces temps-ci, pour expliquer, parler, échanger, y compris avec les plus jeunes, dans des zones « difficiles ». Le dialogue ne doit pas mourir, affirme-t-il. Avec lucidité, il tente également de tirer plus fort la sonnette d’alarme : nous sommes à nouveau les victimes désignées d’un totalitarisme haineux (que même notre Premier ministre désigne sous le terme d’islamo-fascisme), attaqués pour ce que nous sommes, pas pour ce que nous faisons, pensons ou disons. Tout en restant fidèles à nos valeurs humanistes, soyons vigilants, nous rappelle Paul Amar dans ce livre, comme lors de ses interventions publiques. À cause de nos blessures…
Le terme Blessures est bel et bien au cœur de cet ouvrage. Il est intéressant de le mettre en parallèle avec le titre du dernier livre de Boris Cyrulnik, Les âmes blessées. Le mot est trop récurrent pour être anodin. De fait, nous avons nié le fatalisme, et cru que l’antisémitisme était mort à Nuremberg. Nous pensions avoir pansé nos plaies, et par là même celles de nos parents. Nous avons avancé vers le 21ème siècle, les yeux fermés sur le passé, sans vouloir envisager qu’une menace similaire puisse jamais survenir et, pire, être suivie d’effets aussi sanglants.
Et patatras, voilà que la plaie se rouvre, elle saigne à nouveau, elle est douloureuse. Mais, en y regardant de plus près, nous nous apercevons (et c’est la pire des douleurs) que cette blessure-là n’avait jamais vraiment cicatrisé. Le remède n’a été qu’un cache-misère, un placebo inefficace, un soin palliatif, un onguent de charlatan. Un autre pansement sera nécessaire…
Des sentinelles telles que Paul Amar ou Boris Cyrulnik, tous deux victimes de la haine antisémite dans leur enfance, sont des guides précieux. Ils ont en commun d’être réticents face au dogmatisme, de se défier des raccourcis.
Il nous faudra savoir les entendre – les yeux grands ouverts cette fois et, pourquoi pas, offrir ces Blessures en cadeau à ceux de nos amis qui nous pensent hypersensibles ?
Par Cathie Fidler
Source JewPop