jeudi 11 juillet 2013

Les soldats haredim, "ennemis" des juifs ultraorthodoxes d'Israël


Le subterfuge est devenu, pour certains, une nécessité vitale : se cacher dans des toilettes publiques une fois sortis de la base militaire, retirer l'uniforme pour enfiler aussitôt le traditionnel costume noir des ultraorthodoxes. Impensable pour de nombreux soldats haredim (les "craignant Dieu" en hébreu) de porter les attributs de l'armée israélienne lorsqu'ils rentrent chez eux, dans les quartiers ultraorthodoxes de Jérusalem, Bnei Brak (banlieue de Tel-Aviv) ou encore Beit Shemesh.

Pour ceux qui s'y risquent, la sanction est sévère. Dans la soirée du mardi 9 juillet, un soldat ultraorthodoxe, en uniforme, a échappé de justesse à un lynchage en règle par une centaine de haredim regroupés dans le quartier de Mea Shearim, le sanctuaire des "hommes en noir" à Jérusalem.
Agressions, insultes, crachats, jets de pierre... Les exactions se multiplient à l'encontre des "porteurs de haillons" militaires, devenus des traîtres aux yeux de leur propre communauté. Le phénomène a pris une telle ampleur que l'armée israélienne a mis en place un numéro d'appel d'urgence pour les soldats ultraorthodoxes "en détresse".
 
" Chasse ouverte aux collabos de l interieur  "
Les tensions ne risquent pas de s'apaiser. Dimanche 7 juillet, le gouvernement israélien a approuvé un projet de loi mettant fin au système d'exemptions militaires dont bénéficiaient, jusqu'à présent, les haredim. A l'horizon 2017, l'écrasante majorité des jeunes ultraorthodoxes sera tenue d'effectuer un service militaire ou civil, sous peine de poursuites judiciaires. A ce jour, près de 7 000 jeunes haredim échappaient, chaque année, à la conscription pour étudier à plein temps la Torah. Ce privilège garanti par la loi Tal, adoptée en 2002, mais jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême dix ans plus tard, a ravivé l'affrontement entre un Etat construit autour de son armée et un monde ultraorthodoxe qui ne reconnaît qu'une patrie divine.
Mais, derrière l'appel à la révolte de la communauté ultraorthodoxe contre le "service militaire pour tous", se joue également une redoutable guerre culturelle interne à la communauté haredim. Entre ceux, définitivement opposés à toute participation dans l'Etat israélien, et ceux qui présentent des velléités d'intégration : "Cet affrontement a une intensité inédite. Le noyau dur ultraorthodoxe fait aujourd'hui une chasse ouverte aux 'collabos' de l'intérieur qui pactisent avec l'ennemi, l'armée", analyse Yaïr Ettinger, journaliste au quotidien israélien Haaretz.
Ces "ennemis de l'intérieur", qui endossent l'uniforme israélien, ont reçu un surnom : les "hardakim", un sobriquet très péjoratif formé à partir des mots haredim et harakim (insectes) : "Ces soldats, portant barbe et papillotes, sont perçus comme un véritable cancer par le leadership ultraorthodoxe, car ils sapent les fondations du seul modèle de vie qu'il revendique : la société de l'étude ", explique Yaacov Lupo, sociologue israélien, spécialiste des ultraorthodoxes.
Pourtant, le modèle se fissure : "On estime que 20 % à 30 % des jeunes haredim ne désirent plus étudier la Torah toute leur vie. Ils aspirent à faire l'armée et à trouver un travail pour échapper à la pauvreté. Mais la pression sociale est si forte que peu d'entre eux se risquent à sauter le pas, de peur de discréditer leurs familles", explique Yaacov Lupo. Néanmoins, les multiples appels du pied de l'armée ont créé une brèche dans l'édifice ultraorthodoxe.

Des parasites qu'il faut éradiquer

En 1999, le bataillon Netzah Yehuda a été fondé pour répondre spécifiquement aux besoins des soldats haredim : nourriture casher, étude de la Torah, absence d'éléments féminins, respect strict du shabbat... Un autre programme militaire, intitulé "Shahar", assouplit également les contraintes du service militaire pour attirer les haredim. En conséquence, le nombre de conscrits au sein de la communauté ultraorthodoxe s'est accru d'année en année. Près de 1 500 haredim se sont engagés en 2012, 12,5 % de plus qu'en 2011.
Le projet de loi coercitif, porté par le ministre des finances, Yaïr Lapid (Yesh Atid, parti centriste laïque), ne risque-t-il pas de ruiner les patients efforts de l'armée israélienne ? On le redoute au sein de l'état-major. Surtout que l'étau social ultraorthodoxe s'est encore resserré, dernièrement, sur les "brebis égarées" qui pourraient être tentées par l'uniforme militaire.
Les ultras ont lancé une campagne d'affichage virulente contre les soldats "hardakim". Représentés avec une barbe rousse – symbole très péjoratif –, ils sont associés à l'image du parasite qu'il faut éradiquer : "Zone nettoyée de hardakim", peut-on lire sur certains murs des quartiers haredim.

Source Le Monde