Fille d’immigrants russe et polonais, la réalisatrice avait 6 ans quand ses parents, des juifs communistes, ont divorcé. Un passé qu’elle revisite dans son film le plus personnel. Interview.
Diane Kurys n’en finit pas de raconter sa vie. Dans Pour une femme, son douzième film, elle réinvente l’histoire de ses parents.
Diane Kurys n’en finit pas de raconter sa vie. Dans Pour une femme, son douzième film, elle réinvente l’histoire de ses parents.
Pourquoi, au fond, ont-ils divorcé en 1955, quand elle avait 6 ans ? Ces gens qui avaient fui les barbares nazis, qui avaient échappé aux exterminateurs staliniens, qui avaient abandonné la Pologne et la Russie pour venir en France, pourquoi se sont-ils désunis ? La réalisatrice ouvre le tiroir aux secrets, avec délicatesse et émotion. Et découvre qu’un oncle est passé par là, le pistolet en main et le sourire aux lèvres… Depuis Diabolo menthe, en 1977, Diane Kurys bâtit une oeuvre en tonalité mineure, avec des personnages touchants, des évocations de souvenirs, des amours et des déchirements. Cinéaste en marge des modes et des courants, elle n’a jamais signé un polar, une comédie, une tragédie, mais mêle les genres, avec douceur. Je ne m’intéresse qu’au coeur humain », dit-elle.
De toute évidence, votre film est autobiographique. Quelle est la part de la fiction et de la réalité ? Diane Kurys Tout est vrai, tout est faux.
Mais encore ?J’ai romancé l’histoire de ma famille. Mes grands-parents sont originaires de Russie et de Pologne, mes parents sont nés en URSS et se sont rencontrés en France, dans un camp d’internement français. Cette histoire-là, bousculée par la grande histoire, on n’en parlait pas. Mais n’est-ce pas le parcours de beaucoup de familles juives de cette époque ? J’ai tout appris par bribes.
Mais cet oncle, qu’on croyait mort, et qui arrive dans la famille avec son secret, c’est quand même peu banal.
En effet. Mais il a existé : un jour, mon père a appris que son frère, donné pour disparu pendant la guerre, avait survécu en Union soviétique. J’ai appris cela trop tard : tout le monde était mort. Mais j’ai commencé à enquêter, à me demander qui étaient ces gens, et j’ai découvert que mes parents avaient leurs secrets à eux.
Vous avez été élevée dans la tradition juive ? Non. Mon père était communiste avant d’être juif. Le frère, en revanche, c’est le contraire. Le plus curieux, c’est que les traditions juives, chez nous, n’avaient pas cours. Je n’ai connu du judaïsme que la cuisine. La bouffe nous reliait au passé. C’est la seule chose que ma mère avait héritée de la tradition. Mon père, lui, était anticlérical, antireligieux. Le Parti communiste était son point de référence. Pendant quatre ans de guerre, mes parents s’étaient cachés, ils avaient survécu, et le PC était la garantie d’un contre-pouvoir efficace. Ils me racontaient parfois comment ils s’étaient échappés par les toits, devant les Allemands, puis comment ils avaient évité d’être déportés. Mon père, qui était dans la Légion étrangère, était au Maroc quand la guerre a éclaté. Il avait été démobilisé à Marseille, et il s’est retrouvé dans une ferme à Brive-la-Gaillarde. En novembre 1942, il s’est fait recenser, naïvement. On est venu l’arrêter, on l’a interné dans un camp. Mais là, le directeur du camp était un légionnaire : « Qu’est-ce que tu fais là, Kurys ? – Je suis juif. – T’es juif ? Faut pas rester là. Je vais te faire sortir. – Je peux sortir avec ma fiancée ? – Faut te marier. »
Il la connaissait, cette fiancée ?Non, mais il l’avait repérée dans le camp, puis il l’a épousée et sauvée. Ma mère avait dix ans de moins que mon père, et elle a suivi cet homme. Mais elle n’a pas eu d’histoire d’amour. Je suis née de là.
Votre père est resté communiste jusqu’au bout ?Absolument ! Pur et dur. Il y a cru jusqu’à son dernier souffle. Kravtchenko, dont je connais le fils, était un traître total, pour lui.
Vous piochez toujours dans votre biographie, pour vos films…C’est sans fond. Inépuisable. Pour une femme croise un peu la même histoire que Coup de foudre, mon film de 1983. Mais sous un éclairage différent. Je ne pratique pas le cinéma de genre.
Vous être à contre-courant de la mode actuelle ?Certainement. Et constamment. Même dans un film comme Sagan, je retrouve des traces de ma propre vie. Je règle les comptes avec mon passé.
C’est une façon de se soigner ?Non, c’est une façon de vibrer. Faire un film, c’est quand même beaucoup plus cher qu’une psychanalyse. Comme médicament, il y a moins coûteux. Je ne fais pas des films pour guérir, mais pour retrouver des émotions… Ainsi, en écrivant le scénario de Pour une femme, il y a des choses qui m’ont bouleversée.
De film en film, cependant, on sent qu’il y a un éloge des femmes…Oui. J’admire les femmes de cette époque. Elles nous ont légué un sentiment de liberté.Vous être à contre-courant de la mode actuelle ?Certainement. Et constamment. Même dans un film comme Sagan, je retrouve des traces de ma propre vie. Je règle les comptes avec mon passé.
C’est une façon de se soigner ?Non, c’est une façon de vibrer. Faire un film, c’est quand même beaucoup plus cher qu’une psychanalyse. Comme médicament, il y a moins coûteux. Je ne fais pas des films pour guérir, mais pour retrouver des émotions… Ainsi, en écrivant le scénario de Pour une femme, il y a des choses qui m’ont bouleversée.
et qu’il y a une impossibilité de pardon, quant à la Shoah.Pas de pardon, en effet. Ca ne part pas. Ca ne partira jamais.
C’est votre moteur de cinéaste, ce passé ?Pas forcément. Au départ, je ne pensais pas devenir cinéaste. Dans mon adolescence, je suis partie en kibboutz, en Israël, je vivais pleinement l’idéal socialiste. J’ai rencontré Alexandre Arcady, et nous avons eu un fils. J’ai cueilli des oranges et j’ai appris l’hébreu dans un cours, où il y avait Michel Leeb. Puis j’ai voulu être comédienne. J’ai déchanté très vite. Je n’étais pas capable de me lâcher, comme actrice. J’avais envie d’être aimée, reconnue, regardée. Rien ne me prédestinait à ça. Mon meilleur moment a été de jouer dans Casanova, de Fellini. Je joue une petite pute qui apparaît trente secondes, et qui refile la vérole à Casanova.
Pourquoi passer à la réalisation ?Par frustration. Travailler avec Fellini, c’était horrible et magnifique. Il faisait des grimaces derrière la caméra, qu’il fallait reproduire. On passait un temps fou. Le gâchis était immense. J’étais malheureuse d’être actrice. Je me suis mise à peindre, puis à écrire. J’ai couché un début de roman, et Arcady m’a dit : « C’est un scénario. » J’ai écrit la suite en trois semaines.
C’était « Diabolo menthe », en 1977 ?Exactement. Une année scolaire d’une jeune fille, avec émois amoureux, prise de conscience politique, gâteau d’anniversaire, tout. Je ne savais pas ce qu’était une caméra, une salle de montage, je ne connaissais rien. J’avais une trouille incroyable. Et quand le chef opérateur m’a mis l’oeil à l’objectif, j’ai appris les éléments de base. Quand j’ai vu les premiers rushes, je me suis dit : « C’est moi qui ai fait ça ? »
Et puis le film a été un succès incroyable.Oui, c’est devenu un événement sociologique, notamment grâce à un article du « Nouvel Obs ». J’ai cru que ce serait tout le temps comme ça. Or, le deuxième film, Cocktail Molotov, en 1980, a été un flop. Faut dire que je n’avais pas assez travaillé le scénario. Je ne l’ai jamais revu.
Vous êtes revenue à votre histoire personnelle avec « Coup de foudre »…Là, j’étais plus à l’aise. Il y a eu un gros débat, à l’époque, pour savoir si ces deux femmes – dont l’une est ma mère – ont une histoire homosexuelle entre elles. Moi, je ne tranche pas. En Amérique, je suis devenue une icône gay. J’ai quand même demandé à ma mère si… Elle m’a répondu : « 0n a essayé une fois, mais c’était pour rigoler. »
Vous avez ensuite été sélectionnée pour le Festival de Cannes avec votre film suivant, Un homme amoureux.
Oui, avec Peter Coyote et Greta Scacchi. Difficile.
Pourquoi ?Parce que Peter Coyote avait un fond de violence en lui, et que Greta Scacchi, qui était une femme superbe, était frigorifiée dès que la caméra tournait. Elle n’aimait pas ce métier. Et elle se trouvait moche.
Après, il y a eu La Baule-les-Pins, Après l’amour, Je reste !Oui, j’ai du mal à me décrocher de la veine biographique. Même quand je tourne les Enfants du siècle, l’histoire d’amour entre George Sand et Alfred de Musset, je suis proche des personnages, je m’identifie à eux, en partie. C’est la leçon de Fellini : il était tous les personnages à la fois, masculins et féminins, moches ou beaux, pauvres ou riches. Peut-être était-il même le bateau d’Amarcord, qui sait… ?
Vous avez renoué avec le succès avec Sagan.Oui. C’est un film que j’ai eu énormément de plaisir à faire. Sylvie Testud est très agréable, et talentueuse. Malgré tout, malgré ce plaisir, à chaque film, je me dis que je vais arrêter, que je ne vais pas repartir, l’angoisse est trop forte. Faire un film, c’est dur. Faire un film aujourd’hui, c’est de plus en plus dur.
Dans « Pour une femme », il y a des résonances très actuelles, aussi.Quand mon père et ma mère ont obtenu leurs papiers de citoyenneté française, quelle joie ! On ne s’imagine pas ce que ça pouvait représenter, ces papiers-là, pour des gens qui avaient été chassés de leur pays. Aujourd’hui, quand on débat sur l’identité, sur l’intégration, il faut se souvenir de ces choses-là.
Quel est votre fil directeur, dans la vie et au cinéma ?Les sentiments humains. J’aime le réalisme, mais c’est un réalisme un peu truqué, un peu repeint. C’est un réalisme irréaliste, au fond.
Source Judaicine