mercredi 23 mars 2016

La Belgique, épicentre du djihadisme européen





Considéré comme le lieu de formation de nombreux islamistes radicaux, le pays a été frappé durement par des attaques coordonnées. Retour sur les réseaux qui ont fait de Bruxelles le carrefour du terrorisme européen....

   



La Belgique, épicentre du jihadisme européen 

De base terroriste à cible ? La Belgique a subi ce mardi les pires attentats jamais commis sur son sol depuis 1945. Le bilan provisoire fait état d’au moins 26 morts et 130 blessés.
Les attaques, qui ont été revendiquées par l’Etat islamique, ne sont pourtant pas une surprise. Depuis plusieurs années, la Belgique se retrouve au centre de pratiquement toutes les enquêtes sur les réseaux terroristes jihadistes basés en Europe.
De Mehdi Nemmouche, principal suspect de la tuerie au musée juif de Bruxelles en mai 2014, aux attaques qui ont ensanglanté la capitale belge ce 22 mars 2016, les itinéraires des uns et des autres s’entremêlent et reviennent, souvent, dans les petites rues de Molenbeek, commune déshéritée de l’agglomération bruxelloise.
L’histoire s’est encore accélérée l’an passé. En janvier 2015, une semaine après les attentats de Paris, les forces de police belges lancent plusieurs opérations dans le royaume.
Elles visent notamment la ville de Verviers, où elles démantèlent une cellule prête à passer à l’acte. Le 21 août, Ayoub El-Khazzani, un Marocain de 26 ans qui a séjourné à Molenbeek, tente d’ouvrir le feu sur les passagers d’un Thalys Amsterdam-Paris. Il faut l’intervention de plusieurs voyageurs pour maîtriser l’individu et éviter un carnage.
Enfin, les attentats de Paris de novembre 2015 ont été préparés en grande partie dans la capitale belge. L’arrestation, il y a quatre jours à Bruxelles, de Salah Abdeslam, le dixième membre du commando du 13 novembre, devrait permettre aux enquêteurs d’obtenir de nouveaux indices sur la structuration de ce réseau particulièrement étoffé. La Belgique est en effet le pays européen qui, par rapport à sa population, a fourni le plus gros contingent de combattants à l’Etat islamique.
Selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur belge, près de 400 personnes sont parties en Syrie, dont 117 en sont revenues.


Du terrorisme propalestinien au jihad global


Le royaume entretient cependant une histoire plus ancienne avec le terrorisme. Dès 1969, date à laquelle une grenade blesse deux employés d’une compagnie d’aviation israélienne à Bruxelles, la Belgique fait pendant deux décennies les frais d’attaques de plus ou moins grande envergure, avec à chaque fois une connotation antisémite très marquée et l’implication récurrente de groupes terroristes propalestiniens.
Qu’il s’agisse d’une grenade lancée sur des enfants juifs à Anvers en 1980 (un ado de 15 ans tué), d’une voiture piégée explosant devant une synagogue de la même ville en 1981 (trois morts), d’une attaque au fusil-mitrailleur à l’entrée d’un lieu de culte juif à Bruxelles en 1982 ou bien de tirs ciblés sur des personnalités juives : un fonctionnaire de l’ambassade d’Israël blessé par balles en 1972 et le président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique assassiné en 1989.
L’aéroport Zaventem, touché ce mardi, avait quant à lui déjà été pris pour cible en 1979, là encore à la grenade, par trois terroristes palestiniens qui visaient les voyageurs débarquant d’un vol en provenance d’Israël - douze personnes avaient été blessées.
Après cette vague d’attentats, le pays est épargné par le terrorisme islamiste des années 90. Il sert néanmoins de base arrière aux combattants du GIA (groupe islamique armé) et du Front islamique du salut, dont certains y avaient obtenu l’asile politique.
Début 1995, le ministère de l’Intérieur belge recense «une petite centaine de militants actifs» de ces groupes sur son territoire. En mars 1995, les hommes de la cellule antiterroriste belge arrêtent une dizaine de personnes suspectées d’avoir mis en place un soutien logistique (armes, argent) destiné au réseau algérien et européen du GIA.
Leur procès en septembre 1995 prend une acuité particulière, alors qu’une vague d’attentats touche la France.


Myriade d’organisations extrémistes


La décennie suivante va confirmer ce rôle central de la Belgique. Il faut dire qu’un terreau particulièrement propice au radicalisme religieux s’y est développé. Dès les années 60, l’Arabie Saoudite entame un travail de prosélytisme à Bruxelles, en finançant une grande mosquée et un centre culturel islamique au parc du Cinquantenaire.
C’est dans ce contexte que commencent à prospérer une myriade d’organisations extrémistes, profitant à la fois de la place centrale de la Belgique dans la géographie européenne, d’une population immigrée socialement défavorisée, souvent reléguée dans les mêmes quartiers, et d’une certaine passivité des autorités.
Deux jours avant les attaques du 11 septembre 2001, un épisode remet la Belgique au centre du jihad mondial. Le commandant Massoud, principal ennemi des talibans en Afghanistan, est assassiné dans un attentat à la bombe. Ses deux meurtriers sont tunisiens.
Ils s’appellent Dahmane Abd El-Sattar et Bouraoui El-Ouaer et résidaient en Belgique. Le premier est marié à Malika el-Aroud, qui semble l’avoir fortement influencé et que l’on retrouvera au cœur des cercles jihadistes belges. Elle se remariera ainsi à Moez Garsallaoui, un Belgo-Tunisien qui fut l’une des têtes pensantes des filières acheminant des combattants d’Europe vers les zones tribales pakistanaises.
Garsallaoui aurait notamment formé Mohamed Merah, le tueur de Montauban et Toulouse, lors de son passage dans la région. El-Aroud est condamnée à huit ans de prison en 2010 pour avoir animé un forum jihadiste précurseur.


Les prédicateurs de Molenbeek


Dans les années 2000, des prédicateurs jihadistes prospèrent sur ce terreau. Il y a d’abord le Centre islamique belge (CIB), mosquée salafo-jihadiste animée par le «cheikh» Bassam Ayachi.
Ce Franco-Syrien semble avoir fait le lien entre les différentes générations de jihadistes belges. Il fut celui qui maria Malika el-Aroud à son premier conjoint, puis fut l’inspirateur de nombreux départs vers l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie, les destinations variant selon le jihad du moment, grâce à des chatrooms gérés par son fils et un converti français venu s’installer à Molenbeek, Raphaël Gendron.
Ces précurseurs du «cyber-jihad» mourront finalement les armes à la main en Syrie en 2013, un an après le démantèlement du groupuscule par la police belge.
Agé de 70 ans, Bassam Hayachi est quant à lui «le plus vieux jihadiste belge» en Syrie, à la tête de sa propre unité combattante, par ailleurs opposée à l’Etat islamique qui a tenté de l’assassiner en 2015. Depuis la fermeture du CIB, la mosquée clandestine Loqman de Molenbeek, fréquentée entre autres par Ayoub El-Khazzani, pourrait avoir pris la relève.
A la même époque, dans les rues de Molenbeek ou aux abords de la gare du Nord de Bruxelles où il distribue de la nourriture aux SDF, il n’est pas rare de croiser Jean-Louis «Le Soumis», converti volubile et propagandiste local, «héros» de plusieurs reportages télévisés (notamment celui de la RTBF où on le voit tracter contre… Saint-Nicolas).
Il sera condamné en janvier 2016 à dix ans de prison pour avoir «dirigé une filière terroriste» en incitant deux lycéens à se rendre en Syrie. Le tribunal note alors le «rôle néfaste de gourous autoproclamés tels que Jean-Louis Denis auprès de jeunes en quête de repères et qui ont une connaissance limitée de leur religion».
Un nouveau noyau salafiste s’impose à l’orée des années 2010 : Sharia4Belgium. Le groupuscule originaire d’Anvers fait les gros titres avec des manifestations coups-de-poing où ses membres demandent la fin de la démocratie, l’établissement de la charia et la peine de mort pour les homosexuels. Dirigés par Fouad Belkacem, ses militants provoquent une émeute devant le commissariat de Molenbeek en 2012 en réaction à l’interpellation d’une femme en niqab.
Passé dans la clandestinité en 2013 après sa dissolution, Sharia4Belgium aurait, selon la justice belge, fourni 10% des jihadistes du pays partis sur le front syrien. Belkacem, jugé en 2014 aux côtés de 46 autres membres, est condamné à douze ans de prison en février 2015 pour son rôle dans «l’organisation terroriste».
Abdelhamid Abbaoud, un des membres clés des commandos du 13 Novembre, est d’ailleurs passé par les rangs de l’organisation, incarnant la continuité de ces réseaux dans le jihadisme belge.

Sylvain Mouillard   , Guillaume Gendron   


Source Liberation