mardi 7 juin 2016

Le nazisme avant Hitler...




L’idéologie nazie n’est pas née du cerveau d’un petit caporal. Depuis la naissance du IIe Reich en 1871, un mouvement mêlant racisme, pangermanisme et esprit de revanche prépara l’arrivée d’un Führer. On a longtemps pris le nazisme pour une aberration ou un accident de l’Histoire, comme si Adolf Hitler était parvenu, par son seul charisme, à plonger dans l’extrémisme l’Allemagne toute entière...







Mais cette doctrine aux effets dévastateurs n’est pas sortie de nulle part. Elle est au contraire l’émanation d’un puissant mouvement : la pensée völkisch (Volk signifie le peuple), populisme de droite imprégné de racisme, qui naît au moment où l’Empire allemand se cristallise.
Puisant dans le romantisme et l’exaltation d’un passé glorieux, ses leaders se sont acharnés à sonder les mystères de la race, de la nature et de l’identité. Mais pour fédérer ce magma de pensées, encore manquait-il un Führer…
De la création de l’Empire en 1871 au tumulte des années 1920, retour sur les grandes étapes d’une mouvance en quête de chef.



1871 Bismarck mène son «combat pour la civilisation»


Le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le chancelier Bismarck proclame la création du IIe Reich sur la France vaincue de Napoléon III.
C’est l’enthousiasme. Le vieux roi Guillaume Ier de Prusse vient d’être proclamé empereur allemand. Désormais, la dynastie des Hohenzollern règne sur un Etat fédéral dont les vingt-cinq Etats souverains ont gardé leurs institutions et leurs lois propres, ainsi que leur pouvoir de décision dans de nombreux domaines (enseignement, affaires religieuses, finance, justice…).
Bismarck espère que la prospérité économique et l’attachement à l’empereur effaceront peu à peu les anciennes fidélités aux dynasties princières particulières.
Sept ans durant, il mène le Kulturkampf (combat pour la civilisation) par lequel il tente de confirmer l’unité spirituelle du nouveau Reich contre la Rome catholique – et contre les tendances sécessionnistes des catholiques du sud de l’Allemagne.
Puis il abandonne cette politique sans issue pour affronter le problème bien plus urgent de la montée du socialisme. Cependant, nombre d’intellectuels s’inquiètent d’un déclin culturel, d’un vide spirituel, de l’avenir d’une Allemagne dont l’unification, qui n’est «que» politique, n’a pas fait l’unité. Les anciens repères se désintègrent dans un pays bouleversé par la révolution industrielle, soumis à un régime semi-autoritaire, où une bourgeoisie sans pouvoir politique voit s’affronter les vieilles forces féodales et les nouvelles forces prolétariennes dans des villes enlaidies, enfumées par l’industrie, qui s’agrandissent démesurément.
Les réfractaires fustigent une modernité dont tous les termes leur paraissent antigermaniques, importés d’Occident : parlementarisme, libéralisme, laïcité, démocratie, rationalisme, matérialisme.
En revanche, «comme la nostalgie d’un passé médiéval avait joué un rôle cardinal dans le romantisme, les penseurs völkisch avaient tendance à opposer le Volk médiéval idyllique au présent moderne réel», écrit George L. Mosse dans un essai capital sur Les Racines intellectuelles du IIIe Reich (éd. Calmann- Lévy, 2006).

On rêve donc d’un IIIe Reich mythique et mystique, à l’image du prestigieux Saint-Empire du Moyen Age, où les oppositions seraient subsumées dans une synthèse supérieure et harmonieuse ; d’une collectivité étroitement unie qui remplacerait la société atomisée de l’Etat libéral ; d’une élite qui représenterait authentiquement la volonté d’un Volk enraciné dans sa terre, et par là ouvert au «cosmos»…
Tel est le paradoxal programme de la révolution conservatrice : revenir en arrière pour aller de l’avant. Comme l’écrit, dès les années 1870, son prophète vénéré Paul de Lagarde (1827-1891) : «Tandis que vous affrontez avec vos yeux et votre cœur un monde nouveau, je vis à tous moments dans un passé qui n’a jamais existé et qui est le seul avenir que je désire.»


1879 La Ligue antisémite cible l’ennemi à abattre


Economiquement prospère, l’Empire allemand est moralement malade et historiquement frustré.
Si la race allemande a dégénéré, quelqu’un en est responsable, fulminent les penseurs völkisch.
Ce serpent qui ronge les racines de l’arbre du Volk, empêchant sa croissance naturelle et spontanée, c’est le juif. La flambée antisémite des années 1870 est proportionnelle à l’émancipation que connaissent les juifs depuis le milieu du siècle. Forts de leurs nouveaux droits civiques, ils se lancent – et excellent – dans ces domaines abhorrés par les conservateurs : le journalisme, le commerce et la finance.
Au même moment, un nombre croissant de juifs d’Europe orientale migre vers l’Allemagne. Il n’en faut pas plus pour que les Völkisch jugent les juifs globalement non allemands, même inassimilables. Et pour qu’antisémitisme, sous leur plume, rime avec anticapitalisme – surtout après le krach boursier de 1873.
En 1879, Wilhelm Marr, un journaliste qui a perdu son emploi à force d’attiser l’hostilité populaire contre le judaïsme, fonde la première organisation à porter un nom explicitement raciste, la Antisemiten Liga (la Ligue antisémite).

Cette année-là, un universitaire prestigieux, l’historien Heinrich von Treitschke, lui apporte sa caution en déclarant l’antisémitisme inévitable et nécessaire. Selon lui, la purge des juifs permettra à l’Allemagne de retrouver son identité, après des siècles d’influence étrangère, de chaos et de division. En 1880, un collectif d’étudiants et d’enseignants (dont Bernhard Förster, le beau-frère de Nietzsche) rédige une pétition réclamant l’exclusion des juifs des affaires publiques, des professions libérales et des emplois dans le gouvernement. Ils réunissent près de 300 000 signatures.
Même les quelques étudiants qui se prétendaient «libéraux» et qui se sont opposés à cette pétition discriminatoire, admettent qu’il existe une différence raciale entre les juifs, trop «arrivistes», et eux-mêmes. En 1893, l’exigence démocratique et l’antisémitisme se fondent dans la personne d’Otto Böckel (1859-1923), élu au Reichstag comme député antisémite indépendant. Le juif associé au matérialisme et à la modernité devient un élément déterminant du mouvement völkisch, son repoussoir idéal, son bouc émissaire : «Non pas une entité vague, mais un ennemi réel, tangible de la foi germanique», selon George L. Mosse. La lutte des races, sur des arguments pseudoscientifiques, supplante la lutte des classes.
C’est la promesse facile d’une révolution sans danger ni changement puisqu’il suffit, pour régénérer l’Allemagne, d’en chasser les juifs.


1885 Le pays rêve d’un empire colonial... à l’est


Bismarck gouverne l’Allemagne qui «gouverne» l’Europe. En 1884, le chancelier de fer a convoqué à Berlin les représentants des plus grandes nations. Il s’agit d’empêcher que la colonisation de l’Afrique ne dégénère en conflit européen. Fin diplomate, adepte de la Realpolitik, il s’emploie à rassurer l’Empire britannique, à apaiser l’esprit de revanche de la France – et profite de l’occasion pour offrir à l’Allemagne un empire colonial digne de la grande puissance qu’elle est devenue.
Ce seront le Sud-Ouest africain, le Togo, le Cameroun et l’Afrique orientale allemande. La popularité de cette cause coloniale a fini par vaincre les propres réticences de Bismarck, qu’il exprime cependant lors d’un entretien particulier avec Eugen Wolf, journaliste et explorateur enthousiaste : «Votre carte de l’Afrique est certes très belle, mais ma carte de l’Afrique se trouve en Europe. La Russie est là et la France ici […], et nous sommes au milieu ; voilà ma carte de l’Afrique.»
Les Völkisch ne pensent pas autrement, qui ne voient de salut pour l’Allemagne qu’en Europe, et plus précisément à l’est, dans ces vastes territoires mal gouvernés par une Autriche décrépite et une Russie méprisable. Cette expansion nécessaire soulagerait l’Allemagne surpeuplée et, selon eux, mettrait un terme à l’immigration vers l’Amérique, à ce déplorable melting-pot qui transforme de nobles Allemands en Américains vulgaires. Alors, l’Afrique et ses nègres…


1890 Les pangermanistes exaltent l’Europe allemande


La très puissante et influente Alldeutscher Verband (la Ligue pangermaniste) se structure cette année-là en réaction à la cession de l’île d’Heligoland aux Anglais.
Elle comptera parmi ses membres des hommes aussi prestigieux que le sociologue Max Weber ou l’homme politique Gustav Stresemann. L’association se fonde sur la hantise, exprimée dès 1850 par Paul de Lagarde, de la faiblesse d’une Petite Allemagne (Kleindeutschland) et sur l’exigence d’une Grande Allemagne (Grossdeutschland) qui, après avoir annexé l’Autriche, étendrait son hégémonie sur toute la Mitteleuropa.
Son premier président, Ernst Hasse, appelle à une politique étrangère agressive et à l’arrêt de l’immigration juive dans le pays. Son deuxième président, Heinrich Class, préconise la colonisation et le repeuplement des territoires orientaux de la nation allemande.
En un mot, que n’hésitera pas à prononcer, un peu plus tard, l’historien et écrivain Arthur Moeller van den Bruck (1876-1925), le destin naturel de l’Allemagne est tout simplement de dominer l’Europe, et plus encore : de devenir synonyme de l’Europe.


1893 Des colonies rurales veulent revitaliser la «race»


L’aspiration de l’époque au retour à la terre, loin de la corruption des villes, se concrétise par la fondation de la colonie Eden à Oranienburg (Brandebourg), bientôt suivie d’autres colonies «anticapitalistes ».
On y prône l’agriculture, la vie en commun et le partage du profit. Il s’agit aussi de revitaliser la «race», de promouvoir une «aristocratie spirituelle de sang allemand», de protéger le Volk des hordes «asiatiques et galloises [françaises] pas seulement par l’épée mais également par la bêche», proclame, en 1911, Hermann Rosemann, organisateur de la colonie Siegfried.
Le plus extrémiste, aussi le plus influent (ardemment soutenu par les pangermanistes) est Willibald Hentschel qui, dans son utopie jamais réalisée de la colonie Mittgart, préconise une aryanité stricte, le nudisme, la polygamie et une régulation des naissances qui préfigure les futurs Lebensborn nazis. L’ironie de l’histoire veut – sans qu’aucun lien direct n’ait jamais pu être établi – que ces utopies rurales, qui firent long feu en Allemagne, aient connu leur seule et vraie réussite en Palestine avec les premiers kibboutz…


1894 Le nouveau parti Deutschbund exclut les juifs


Persuadé que «la Kultur allemande est la source directe de l’intellect humain» et que «chacune des étapes de la germanisation concerne l’humanité en tant que telle et l’avenir de l’espèce», Friedrich Lange, l’un des porte-parole de l’antisémitisme, fonde le Deutschbund (la Ligue allemande). Il s’agit d’une «communauté d’adultes» ouverte à tous, à l’exception des juifs, qui vise à promouvoir ce qui est purement germanique dans le pays et à l’étranger. Ses chefs sont des hommes instruits.
Ses membres, qui se disent également «frères», appartiennent aux classes moyennes, vivent dans les grandes villes et se considèrent comme une élite raciale vouée à approfondir le caractère national allemand.
Ils se réunissent en sociétés secrètes qui communiquent entre elles par les très influentes Deutschbund Blätter (Feuilles du Deutschbund) et par la promotion d’écrits völkisch célèbres comme le Rembrandt de l’historien d’art Julius Langbehn, paru en 1890.
Ils se placent très vite en tête du mouvement völkisch. Après 1918, leur chef de file, Max Robert Gerstenhauer, s’active pour se rapprocher des nazis qui, en 1934, reconnaissent son mouvement comme une sorte d’ancêtre. Que le Deutschbund n’ait pas connu la même fortune tient sans doute à l’élitisme de ses membres, mais aussi à la prospérité économique de l’Empire allemand, à une législation sociale unique au monde (assurances maladie, accident, vieillesse, invalidité), voulue et imposée par Bismarck pour barrer l’avancée du socialisme dans la classe ouvrière et qui, de fait, préserva l’Allemagne de tous les troubles révolutionnaires jusqu’en 1914.
Or, remarque George L. Mosse, «dans l’histoire du mouvement völkisch, ce ne fut jamais la taille réelle des groupes qui compta, mais plutôt les institutions qu’ils contaminèrent et l’esprit qu’ils diffusèrent et entretinrent jusqu’au moment propice». Le Deutschbund, grand frère du NSDAP, ne sera dissous qu’en 1945 par les Alliés.


1898 Les écoles Heimat prônent le retour aux valeurs


Pour Hermann Lietz (1868-1919), la Heimat (patrie) et le Volk (peuple) sont les deux piliers sur lesquels repose toute culture. C’est pourquoi cet éducateur fonde en 1898, à Ilsenburg, en Saxe, une première école d’un genre nouveau, stratégiquement située à la campagne, à proximité immédiate d’un village, des champs et des paysans.
Selon lui, «l’éducation à la vie» doit réparer les dommages causés par la modernité en mettant l’accent sur le germanisme, la nature, l’artisanat et les coutumes. Le succès de ces «internats ruraux » consacre la Heimatkunde (connaissance de la patrie) qu’on enseigne déjà dans tous les établissements scolaires, qui consiste dans l’étude, non seulement des auteurs classiques allemands, mais aussi des légendes sur les héros germaniques et des contes de fées – bref, à ancrer la foi germanique dans la nation allemande.
Des incidents surviennent comme en 1907, à Posen, où un directeur d’école soutient devant ses collègues du corps enseignant que les élèves juifs devraient être exclus de ces cours, puisqu’on ne peut attendre d’eux qu’ils les comprennent et en apprécient le message.


1901 La jeunesse nationaliste devient un mouvement


Le grand Mouvement de jeunesse (Jugendbewegung) qui soulève l’Allemagne à l’aube du nouveau siècle se présente d’abord comme une association de randonnées pour les écoliers de la banlieue berlinoise de Steglitz. Leur premier chef, Karl Fischer, se veut un Führer que ses disciples saluent d’un Heil enthousiaste.
En 1911, les Wandervögel (Oiseaux migrateurs) revendiquent 15 000 membres et marchent dans toute l’Allemagne. Ce sont, dit Karl Fischer, «les jeunes entre eux», opposés à l’esprit bourgeois de leurs parents. Fervents nationalistes, mais rejetant tout patriotisme d’Etat, ils adhèrent à la foi germanique, à la tradition, à l’héroïsme et cultivent toutes les qualités esthétiques de l’homme nordique. On se lance dans des «randonnées révolutionnaires» à la rencontre des minorités allemandes opprimées de Pologne et d’Autriche.
Le groupe, autour d’un leader charismatique, compte plus que l’individu. On pratique le chant folklorique, la gymnastique et les baignades nus.
On célèbre le solstice d’été en sautant au-dessus d’un grand feu, dans un lieu romantique, plein du dynamisme contenu dans cette devise : «Se maintenir en dépit de tous les pouvoirs constitués.»
Ce mouvement sans précédent va perdurer jusque dans les années 1930, sous l’œil bienveillant et intéressé des représentants de la droite, comme de ceux de la gauche.


1907 Les Aryens ressuscitent les mythes nordiques


Si Dieu est mort, comme le prétend Nietzsche, la voie est libre pour toutes sortes d’autres dieux, notamment pour un retour en force des divinités païennes.
Ernst Wachler (1871-1945), romancier et dramaturge, ami d’Elisabeth Förster-Nietzsche, la sœur du philosophe, rêve d’une «Renaissance nordique» et voue un culte aux anciens Germains.
En 1907, il fonde dans les montagnes du Harz un théâtre en plein air, le premier du genre. Il y ressuscite, avec un succès retentissant, le Thing germanique, un sanctuaire où les anciens Germains adoraient leurs dieux et promulguaient leurs lois. Les spectateurs, assis sur des gradins en amphithéâtre, fixent un décor de runes (caractères des anciens alphabets germaniques et scandinaves) et de croix gammées, obscur symbole multi-millénaire, soi-disant d’origine indienne, de la bonne fortune des Aryens.
Sur la scène se déploient non pas des pièces traditionnelles mais des reconstitutions de rites et des évocations d’un passé légendaire. Ces performances inspireront les nazis dans la mise en scène de leurs rassemblements de masse : retraites aux flambeaux, discours pathétiques, confessions de foi et serments d’allégeance.
Dès leur arrivée au pouvoir, ils firent construire une quarantaine de Thing-platz sur le modèle de théâtres grecs, dont les plus imposants sont ceux d’Heidelberg ou de Wollseifen.


1912 Le néoromantisme imprègne la pensée völkisch


Geist, terme intraduisible en français, est le mot clé du renouveau romantique des dernières années du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Quelque chose comme «esprit », ou plus que cela, «aspiration de l’âme à l’unité». Eugen Diederichs, l’un des plus importants éditeurs du début du siècle, voit la consécration de son mouvement néoromantique, en devenant, en 1912, le rédacteur en chef de la revue Die Tat.
Il œuvre contre le plat positivisme de la vie scientifique, industrielle et politique allemande, pour un retour à une réalité supérieure, intuitive, «transcendantale »… Aussi excentrique qu’énergique, il pratique les sciences occultes et préside dans sa maison d’Iéna son «cercle Sera» en portant un pantalon en peau de zèbre et un turban turc.
Ces réunions se transforment en fêtes grecques où l’on célèbre la nature de la vie en se livrant à un doux abandon dionysiaque. A Munich, un autre personnage, Stefan George, règne sur un cercle d’initiés qui rejettent la science et la raison au profit de la poésie, placée au-dessus des recherches mathématiques.
Ces deux «mages», dans leurs cercles respectifs, étroits mais influents, annoncent la venue d’un «empereur secret» qui saura donner à l’Allemagne son unité interne, plus profonde que l’unification superficielle à laquelle s’est arrêté Bismarck.


1919 Le «Diktat» de Versailles attise le désir de revanche


L’Allemagne a perdu la guerre. Le Juni-Klub (Club de juin), fondé cette année-là, rappelle par son nom l’odieux traité qui vient d’être signé à Versailles. Il s’agit d’une sorte de holding regroupant toutes les organisations ayant une même orientation conservatrice : «Ceux qui viennent de la droite et ceux qui viennent de la gauche se rencontreront dans la camaraderie d’un troisième point de vue, que nous considérons comme celui de l’avenir», déclare son chef de file et maître à penser, Arthur Moeller van den Bruck.
Autour de lui se pressent des hommes comme Heinrich Brüning (1885-1970), le futur chancelier, et Otto Strasser (1897-1974), qui passera au nazisme. Leurs idées fortes ?
Le corporatisme, un socialisme national et un grand dégoût de l’Occident. Ces hommes politiques se nomment également Front de la jeunesse, non qu’ils soient très jeunes, mais ils estiment appartenir à un peuple jeune, en lutte contre les vieux peuples déclinants de l’Ouest qui, jaloux de l’évidente supériorité de l’Allemagne, ont réussi à retourner contre elle une Amérique crédule.
Quant à la jeunesse proprement dite, elle s’oriente massivement à droite et se dit révolutionnaire par dégoût de la faiblesse et de la désunion de la République de Weimar. Le phénomène marquant de cet après-guerre est qu’une grande partie manifeste sa rébellion non pas contre, mais pour l’autorité.
Garçons et filles ont été formés dans des lycées devenus, déplore le journal juif Mitteilungen, le «bastion de l’esprit nationaliste allemand», où les professeurs sont «à une majorité écrasante» entièrement de droite et où l’antisémitisme est tel qu’on peut voir, dans les cours des écoles, des enfants jouer non plus aux gendarmes et aux voleurs ou aux cow-boys et aux Indiens, mais au jeu «des Aryens et des Juifs».
 Ces mouvements de jeunesse, très populaires (40 % des adolescents, soit 3,5 millions d’Allemands, en font partie dans les années 1920) prendront ensuite une tournure plus militaire.

Ils ouvriront la voie aux Jeunesses hitlériennes, qui deviendront le seul mouvement de jeunesse autorisé, puis obligatoire, en 1938.


1920 Les réactionnaires échouent à renverser la République


La guerre et la défaite ont accéléré et comme déboussolé l’Histoire. Ce qui avant 1914 était du domaine de la théorie, de l’idéologie ou de l’excentricité semble avoir gagné la réalité.
La mode est à l’activisme. Le Kaiser déchu s’est exilé aux Pays-Bas. La République est proclamée par les sociaux-démocrates. Mais ils sont contraints de réprimer sur leur gauche, en novembre 1918, la tentative de révolution communiste des spartakistes, qui estiment bourgeoises ces nouvelles institutions et qui prennent pour modèle la Révolution russe. Ce désordre accrédite la thèse empoisonnée, défendue par les militaires, du «coup de poignard dans le dos» qui aurait contraint l’Allemagne à capituler. Mais la sanglante répression effectuée par le régime ne l’empêche pas d’être considéré par les conservateurs comme une émanation des «rouges».
En mars 1920, un haut fonctionnaire völkisch, Wolfgang Kapp (1858-1922), renverse la République et prend le pouvoir à Berlin mais se heurte aux ouvriers et syndicats qui déclenchent une grève générale. C’est la confusion. Kapp s’enfuit en Suède.
Son putsch aura duré cinq jours (13-17 mars) et son échec révèle à la droite qu’un coup d’Etat élitiste n’a aucune chance d’aboutir en Allemagne. Il faut à ses leaders, s’ils veulent le pouvoir, le soutien de la population. Ils doivent en passer par la voie parlementaire.


1921 A Munich, un Führer se détache en fin


En juillet 1921, Adolf Hitler, entré au parti pour le compte de l’armée qui avait besoin d’un mouchard, est élu à l’unanimité président du NSDAP, le parti national-socialiste, à Munich.
Il ne manque plus que l’effondrement économique de 1929 et la peur du communisme pour ouvrir la voie à Hitler et que soit porté au sommet celui dont l’historien Moeller van den Bruck dénonçait pourtant le «primitivisme grossier». La plupart des leaders völkisch se rallieront au nazisme, certains seront liquidés lors de la Nuit des longs couteaux (30 juin 1934), d’autres se retireront de la vie politique pour assister, atterrés, à ce qui leur semblera la déformation de leurs idéaux par le régime totalitaire et meurtrier qu’ils auront cependant contribué à mettre en place.
«Etre allemand, c’est avoir de la clarté», leur avait rétorqué Hitler.


Source Geo