jeudi 30 juin 2016

Autistes, ils sont agents du renseignement en Israël






Il y a quelques mois, il paniquait à l'idée de discuter avec des inconnus. Aujourd'hui, quand Moshe (1), 21 ans, descend du bus et marche vers la base militaire de Glilot, à 10 km de Tel Aviv, il salue les soldats croisés sur son chemin...






En ce premier mercredi de juin, il est 9 h et le soleil chauffe déjà le bitume qui mène au check-point. À côté d'un grand bâtiment blanc, une maisonnée entourée d'eucalyptus et d'oliviers accueille une salle exiguë éclairée d'une seule fenêtre. Douze écrans d'ordinateurs - deux pour chaque soldat - y trônent côte à côte.
Moshe s'installe à sa table pour une journée de collecte de données classifiées. Comme les cinq autres membres de son unité, le grand gaillard moustachu présente un « trouble du spectre de l'autisme de haut niveau » : il a des difficultés de communication et de socialisation, mais est en revanche doté d'une excellente mémoire et d'étonnantes facultés, un peu comme le personnage joué par Dustin Hoffman dans le film Rain Man.
Ces handicaps les exemptent normalement du service militaire obligatoire classique en Israël, trois ans pour les hommes, deux pour les femmes. Mais, en 2013, l'armée israélienne, Tsahal, a lancé le programme Roim Rachok (« voir au-delà de l'horizon »), intégrant une cinquantaine de personnes autistes volontaires dans des unités comme celles de l'interprétation d'images satellites, la création de programmes et la collecte de données.
Moshe porte l'uniforme kaki de l'armée israélienne depuis août 2015. Son nom et son visage doivent être protégés car il traite d'informations utilisées par les services de renseignement.
« J'ai eu longtemps des problèmes d'interactions sociales. À l'école, on ne peut pas dire que j'étais brutalisé, mais je n'ai jamais ressenti que je pourrai être ami avec qui que ce soit, retrace Moshe, en dessinant des ronds autour de ses phalanges avec ses doigts. Le programme m'a aidé à avoir une vie sociale. »
Dans le bureau partagé de l'unité, des dessins de pandas et de fleurs sont accrochés aux murs écrus.
Même s'ils ont souvent un casque sur les oreilles pour se concentrer - Moshe écoute du heavy metal ou du swing - les soldats n'hésitent pas à s'entraider quand ils butent sur certaines données.
« Les études montrent que les personnes autistes de haut niveau sont très efficaces sur les recherches visuelles et qu'ils ont aussi une très grande sensibilité aux détails », pointe Yoram Bonneh, chercheur en neurosciences et en optométrie à l'université de Bar-Ilan, à Ramat Gan, lui-même père d'un enfant autiste.

« Devenir soldat en douceur »

Avant d'intégrer cette unité de renseignement, Moshe et ses collègues ont passé des entretiens, puis suivi des cours d'adaptation de trois mois à l'université partenaire Ono Academic College.

« Nous avons travaillé avec des psychologues sur nos prises de paroles, sur notre socialisation : parler de la pluie et du beau temps, s'adresser à la hiérarchie, gérer son emploi du temps, détaille David (1), 21 ans, bouc brun et lunettes aux branches noires, en butant sur certains mots. Depuis que je suis ici, j'ai, j'ai… appris à condenser mes propos. »
David voulait entrer dans l'armée depuis ses 16 ans, comme volontaire, mais il craignait de s'y perdre. « Roim Rachok nous a permis de devenir soldat en douceur et, en plus, nous sommes dans une unité technologique, ce qui est considéré comme un point puissant sur un CV », assure David dans un débit accéléré, sa kippa bleu nuit tachetée fixée sur la tête. Le secret qui plane sur ses activités l'amuse.
« Ça énerve un peu mes parents quand je rentre à la maison et que je reste muet quand ils me demandent : comment s'est passée ta journée ? Qu'as-tu fait aujourd'hui ?
Mais ils sont très heureux pour moi », sourit David qui habite Efrat, à 90 km au sud de Glilot. Il ne rechigne pas à passer cinq heures par jour dans les transports.
Chaque semaine, David et ses collègues continuent d'être suivis par des psychologues. « On les fait participer à beaucoup d'événements pour qu'ils soient bien socialisés », précise Esther (1), leur commandante, une jeune femme de 20 ans aux longs cheveux de jais, qui n'a reçu aucune formation avant son affectation à ce poste.
« Je connaissais un peu l'autisme car mon cousin est atteint du syndrome d'Asperger, mais une formation serait bel et bien nécessaire pour les encadrants. »
Pour David et Moshe, être soldat constitue un premier travail régulier après le lycée. Le programme dure au minimum un an et peut se prolonger jusqu'à deux ans et huit mois. Chacun touche 900 shekels (200 €) par mois. « Ce n'est pas un salaire très important », note David.
Le balèze Moshe l'interrompt : « Je me dois de mentionner que c'est le revenu standard de tout soldat volontaire non-combattant. »
D'ici à quelques mois, six autres jeunes autistes viendront renforcer leur unité. Alors que Moshe bâille bruyamment, David souligne : « Ça fait du bien de pouvoir porter l'uniforme que la plupart des gens de notre âge portent dans le pays. »


(1) Prénoms d'emprunt.


Source Ouest France