jeudi 30 juin 2016

Les Israéliens précurseurs de l’hypersécurité aérienne






Souvent jugée excessive par les Européens, la protection de l’aéroport de Tel-Aviv est désormais vue d’un autre œil. L’aéroport international Ben Gourion de Tel-Aviv est considéré comme le plus sûr du monde. Ce qui explique pourquoi prendre l’avion en Israël ressemble un peu à un parcours du combattant....







Et pourquoi les voyageurs sont priés de se présenter sur le site au moins trois heures avant l’embarquement. Première épreuve : tous les véhicules (voitures privées, taxis, autocars) franchissent un barrage filtrant situé à environ 3 kilomètres des bâtiments.
Là, de jeunes gens armés vous adressent un amical «bonne journée». Courtoisie ? Non, c’est un test.
Quiconque répond avec un accent arabe ou montre des signes de nervosité est aussitôt prié de se ranger sur le côté. Contrôle d’identité, interrogatoire, fouille du véhicule : le grand jeu.
Les installations de l’aéroport font plus penser à un bunker hypersécurisé qu’à un lieu public puisque toutes les verrières sont tournées vers un jardin intérieur et vers les pistes. Rien vers l’extérieur. En outre, les vitres sont blindées.


Vitres sans tain

Pour pénétrer dans le hall d’embarquement, il faut passer un portique de sécurité où un garde examine minutieusement chaque passager. «Ça va ?» lance-t-il à ceux qui lui semblent suspects.
Si les passagers ne répondent pas ou le font avec un accent arabe, nouvelle fouille. Tout ça pour aboutir devant un troisième cercle de sécurité où des «profileurs» contrôlent passeports et titres de transport en multipliant les questions sur l’origine des passagers, les personnes rencontrées en Israël, les cadeaux échangés.
«Vous avez fait vos valises chez vous ? Vous en êtes-vous occupé personnellement ?» demandent-ils.
A priori, ces jeunes gens ressemblent à des étudiants engagés pour un job temporaire. Ce n’est pas le cas. Il s’agit surtout d’anciens des unités spéciales de Tsahal (l’armée israélienne) ou des Renseignements militaires. Et ils ont suivi une formation censée leur permettre de détecter un voyageur suspect. Celui-ci subira alors un interrogatoire approfondi, voire une fouille.
Le profilage n’étant pas une science exacte, les erreurs sont nombreuses. De toute façon, tout Arabe est soumis à une fouille complète, bagages compris.
Grosso modo, chaque passager embarquant à Tel-Aviv subit onze contrôles différents.
Parfois sans s’en rendre compte puisqu’au sous-sol, les valises sont examinées par un scanner spécialement développé par Siemens pour le compte de la sécurité aéroportuaire de l’Etat hébreu. Capacité ? «Au moins 5 000 valises à l’heure», nous déclare un responsable.
Les installations aéroportuaires israéliennes sont également surveillées vingt-quatre heures sur vingt-quatre par des patrouilles motorisées, des réseaux de caméras, ainsi que par des postes d’observation aux vitres sans tain derrière lesquelles des experts se livrent au «screening de foule» dans les halls de départ et d’arrivée.
A cela s’ajoutent les agents chargés de détecter les objets suspects dans les poubelles et les valises abandonnées.


Obsession

Pour plus de sécurité encore, le Shabak (la sûreté générale) et la police organisent plusieurs fois par an des exercices au cours desquels de faux terroristes tentent d’introduire dans l’aéroport une bombe factice, une fausse valise piégée ou une arme démilitarisée.
S’ils y parviennent, la société prestataire des services de contrôle est priée de renforcer ses procédures, voire de renvoyer sur le champ les employés fautifs. Si les erreurs ne sont pas corrigées rapidement, son contrat est résilié sans indemnités.
Jusqu’à ces dernières semaines, ce dispositif particulièrement lourd était souvent qualifié de paranoïaque.
D’autant que certaines des mesures de sécurité israéliennes s’appliquent aussi aux aéroports étrangers.
A Roissy et à Orly par exemple, les compagnies aériennes de l’Etat hébreu disposent d’un espace réservé dans lequel un personnel spécialisé envoyé par Tel-Aviv procède à ses propres contrôles.
Ces agents séjournent à l’étranger pour une durée de six mois et certains sont également affectés à la sécurité des bureaux de la compagnie israélienne El Al. Ils y croisent parfois les «marshals» armés qui voyagent incognito parmi les passagers de certaines lignes sensibles.
Les attentats du 22 mars à Bruxelles ont changé la perception européenne de l’obsession sécuritaire israélienne.
Ces dernières semaines, de nombreux responsables sécuritaires européens ont fait le voyage à l’aéroport Ben Gourion. Le 14 mai, le ministre belge de l’Intérieur a ainsi eu droit à une visite privée des installations les plus sensibles. Quelques heures à peine après l’attentat de l’aéroport Atatürk d’Istanbul, mardi soir, il se disait à Tel-Aviv que la collaboration sécuritaire avec la Turquie allait reprendre d’autant plus rapidement que les deux pays viennent de mettre fin à leur brouille de six ans.
En la matière, Israël dispose de plus de quarante ans d’avance sur le reste du monde. Le pays a commencé à élaborer ses propres procédures dans les années 70, alors que les organisations palestiniennes détournaient ou attaquaient les avions de El Al.
En 1972, après la tuerie perpétrée par un commando de l’Armée rouge japonaise à l’aéroport Ben Gourion, qui avait fait 26 morts, la Première ministre Golda Meir avait ordonné la mise en place de mesures de sécurité beaucoup plus poussées.
Plus récemment, lorsqu’Al-Qaeda a revendiqué en 2002 le tir de deux missiles sur un avion israélien survolant le Kenya, Ariel Sharon a décidé que l’Etat financerait la pose de systèmes antimissiles laser sur les appareils des quatre compagnies civiles israéliennes.
«Le système israélien de protection est global parce que le terrorisme l’est tout autant, souligne un consultant en sécurité. Puisque les coups peuvent tomber de n’importe où, on essaye de parer à tout en envisageant toujours le pire du pire. Pendant longtemps, les Européens n’ont pas voulu le comprendre, ils ont changé d’avis lorsque ça leur est aussi tombé dessus.»


Nissim Behar   


Source Liberation