Des groupes israéliens produisent des chansons dont les paroles sont en arabe. Leur point commun ? Des origines dans des pays où l’arabe est la langue principale, et souvent celle de leurs grands-parents : Yémen, Irak ou Maghreb. Balade dans ce monde à l’envers....
Le samedi 18 juin, à Beyrouth, dans un bar de gauchistes du quartier de Hamra, résonnait « Jat Mahibati », du groupe Yemen Blues. Une heure après, le miracle beyrouthin avait eu lieu, je me retrouvais dans le quartier des branchés de droite à Mar Mikhael et « Habibi min Zaman » de Balkan Beat Box était jouée sur la platine.
À mon plus grand étonnement, d’un quartier à l’autre, tout le monde connaissait les deux chansons par cœur, mais ce qu’ils ne savaient pas, c’est que les deux groupes sont israéliens.
Une nuit sombre à Paris. Je rentre en voiture d’une énième soirée électro-épuisante lorsqu’un chant en arabe, chanté par trois divines voix, retentit sur Radio Nova. Je shazame1. C’est « Habib Galbi » chanté par A-Wa. Arrivé chez moi, curieux d’en savoir plus, je les google : ce sont trois sœurs israéliennes d’origine yéménite qui reprennent les chants traditionnels de leur grand-mère et les mêlent à des sonorités électros. Un savant mélange appelé « folk’n’beat yéménite ».
Des Israéliens qui chantent en arabe ? C’est le monde à l’envers, et pourtant ce n’est pas si nouveau. Ofra Haza, chanteuse d’origine juive yéménite elle aussi, a été la pionnière.
Représentante de son pays lors du concours Eurovision en 1983, elle a connu par la suite un succès fulgurant en Israël et à l’étranger. En 1984, avec son album Yemenite Song, elle réussit le pari fou de chanter dans sa langue d’origine dans un pays ou l’arabe était et est toujours considéré comme la langue de l’ennemi, voire comme une non-langue.
En Israël, l’arabe, on l’apprend généralement pour savoir hurler sur les Palestiniens aux checkpoints et non pour lire Mahmoud Darwich ou comprendre les paroles de Fairouz.
« Yémen blues »
Cinq ans plus tard, c’est Balkan Beat Box, un groupe formé de Tamir Muskat, Tomer Yosef et Ori Kaplan qui s’y colle. Leur musique est un savant mélange de musiques balkaniques, d’électro et de chants traditionnels orientaux.
Depuis 2005, ils font danser les jeunesses parisienne, londonienne, new-yorkaise, mais aussi telavivienne, beyrouthine ou même téhéranaise avec leurs quatre albums Balkan Beat Box, Nu Med, Blue Eyed Black Boy et Give. Je passais mon temps à écouter leur musique et n’avais jamais imaginé qu’ils pouvaient être israéliens.
C’est le jour où j’ai découvert A-Wa et le nom de leur producteur, Tomer Yosef, que je l’ai compris. Israélien, il est le lead singer de Balkan Beat Box. Né en 1975 à Kfar Saba, il se décrit dans la chanson « Look Them Act » comme « un Méditerranéen, un Yéménite arabo-israélien ».
Chez les juifs yéménites, la musique se transmet de père en fils et de mère en fille. Le chant est une histoire sérieuse. On l’apprend dès le plus jeune âge et jusqu’à la dernière respiration. Ravid Kahalani a grandi dans cette atmosphère et sa jeunesse a été bercée par les chants traditionnels et religieux de cette communauté. Né en 1978 en Israël, il a fondé le groupe Yemen Blues. Adolescent, il rejetait la musique orientale et s’était exilé dans le blues, la soul et l’afrojazz.
Pourtant, quelques années plus tard, lorsqu’il a commencé à composer et écrire, chanter en arabe lui est apparu « comme une évidence, un devoir ». Alors, il a appelé son père pour l’aider à écrire car à la maison ils le chantaient, mais ne l’avaient jamais parlé.
« Les juifs yéménites sont des juifs arabes et les musulmans yéménites sont des Arabes musulmans. Les Yéménites musulmans ne sont pas plus yéménites que les juifs yéménites, ce sont tous des Arabes issus d’un pays arabe ». Pour lui, la musique « peut tout changer », elle peut « rassembler quelles que soient la religion ou la nationalité »2.
Deux albums sont déjà téléchargeables, le premier Yemen Blues by Ravid Kahalani sorti en 2011 et le second Insaniya en 2016. Même le rappeur français Oxmo Puccino s’est invité dans la chanson Satisfaction.
« Quand les gens me voient, ils pensent que je suis Éthiopienne ». Pourtant, Shiran Karni est bel et bien Yéménite. Chanteuse du groupe Bint El Funk (la fille du funk), son prénom signifie « le chant de la joie ».
« Les parents yéménites ne donnent jamais de prénom au hasard à leurs enfants, j’étais donc destinée à être chanteuse » dit-elle à une interview au Jerusalem Post3.
Pourtant, ses parents ne la soutiennent pas dans son choix de carrière. « Vous savez comment sont les parents juifs — ils veulent juste voir leurs enfants avoir un métier normal, gagner de l’argent, se marier et faire des enfants. »4 Parents juifs, parents arabes, même combat ?
« Ma mère est venue une fois à mon show et s’est amusée. Mon père, par contre, ne comprend toujours pas mon métier. » Bint El-Funk est un groupe basé à Jérusalem et a sorti son premier album en 2016. Shiran aime définir le style de leurs morceaux chantés en arabe, hébreu et anglais comme « funk yéménite ».
« Les parents yéménites ne donnent jamais de prénom au hasard à leurs enfants, j’étais donc destinée à être chanteuse » dit-elle à une interview au Jerusalem Post3.
Pourtant, ses parents ne la soutiennent pas dans son choix de carrière. « Vous savez comment sont les parents juifs — ils veulent juste voir leurs enfants avoir un métier normal, gagner de l’argent, se marier et faire des enfants. »4 Parents juifs, parents arabes, même combat ?
« Ma mère est venue une fois à mon show et s’est amusée. Mon père, par contre, ne comprend toujours pas mon métier. » Bint El-Funk est un groupe basé à Jérusalem et a sorti son premier album en 2016. Shiran aime définir le style de leurs morceaux chantés en arabe, hébreu et anglais comme « funk yéménite ».
De l’Irak au Maghreb
Mais il n’y a pas que les Yéménites qui chantent en arabe en Israël. Rock star dans son pays, Dudu Tassa n’est pas moins que le petit-fils de Daoud Al-Kuwaiti, membre fondateur du groupe irakien des années 1930 Al-Kuwaiti Brothers, formé par lui et son frère Saleh.
Rattrapé par ses origines, Dudu Tassa décide, après six albums rock chantés en hébreu, de reprendre les anciennes chansons de son grand-père et réalise deux albums de reprises, tout en y expérimentant des samples mêlant des sons actuels et de vieux morceaux.
Pari osé, il ose même reprendre en collaboration avec le DJ producteur Borgore la célèbre « Wayak » de Farid El Atrache. Dans le documentaire Iraq n’ roll réalisé par Gili Gaon, on entre dans l’intimité de Dudu Tassa et de son expérience musicale et identitaire poignante.
Rattrapé par ses origines, Dudu Tassa décide, après six albums rock chantés en hébreu, de reprendre les anciennes chansons de son grand-père et réalise deux albums de reprises, tout en y expérimentant des samples mêlant des sons actuels et de vieux morceaux.
Pari osé, il ose même reprendre en collaboration avec le DJ producteur Borgore la célèbre « Wayak » de Farid El Atrache. Dans le documentaire Iraq n’ roll réalisé par Gili Gaon, on entre dans l’intimité de Dudu Tassa et de son expérience musicale et identitaire poignante.
Riff, Riff Cohen. Dans un article des Inrocks daté du 17 juin 2013, Stéphane Deschamps écrit que la chanteuse ne connaît qu’une autre personne prénommée Riff, et c’est un garçon.
Née en 1984 en Israël, Riff aime se décrire comme « juive israélienne avec des origines nord-africaines ». Son style ? Le rock oriental trash. Comme une destinée, son prénom, abrévation du mot « refrain » en anglais, est employé pour nommer un court motif musical de deux ou quatre mesures, répété rythmiquement pour accompagner une mélodie.
À son compteur, deux albums dont un premier qui a eu un franc succès hors Israël et particulièrement en France. Ses deux singles, « J’aime » et « À Paris », chantés en français ont « accompagné le retour d’un printemps qui n’est jamais venu » pour reprendre les mots du journaliste. De l’anglais à l’arabe en passant par l’hébreu et le français, Riff Cohen nous balade dans son quartier, où « on laisse les armes à l’entrée. Les radins, les mondains, les malins, les pressés, les blasés, non, n’ont pas l’accès ».
Cynique ? Pas du tout, répond-elle. Ses paroles sont sincères, même si elle affirme que son quartier « reste à inventer ».
Née en 1984 en Israël, Riff aime se décrire comme « juive israélienne avec des origines nord-africaines ». Son style ? Le rock oriental trash. Comme une destinée, son prénom, abrévation du mot « refrain » en anglais, est employé pour nommer un court motif musical de deux ou quatre mesures, répété rythmiquement pour accompagner une mélodie.
À son compteur, deux albums dont un premier qui a eu un franc succès hors Israël et particulièrement en France. Ses deux singles, « J’aime » et « À Paris », chantés en français ont « accompagné le retour d’un printemps qui n’est jamais venu » pour reprendre les mots du journaliste. De l’anglais à l’arabe en passant par l’hébreu et le français, Riff Cohen nous balade dans son quartier, où « on laisse les armes à l’entrée. Les radins, les mondains, les malins, les pressés, les blasés, non, n’ont pas l’accès ».
Cynique ? Pas du tout, répond-elle. Ses paroles sont sincères, même si elle affirme que son quartier « reste à inventer ».
Ces groupes sont souvent mis en avant et primés par le gouvernement et les médias israéliens. Ils s’en servent pour redorer leur image. « Regardez, nous n’avons rien contre les Arabes, la preuve : nous chantons dans leur langue. » C’est indéniable, mais après tout, en tant qu’amateur de musique arabe, je ne peux pas non plus fermer les yeux devant cette évolution artistique. L’occupation des territoires palestiniens reste cependant un cauchemar. Pourtant, imaginons : je suis invité à un festival de musiques d’une radio parisienne et j’y vais les yeux fermés.
À mon plus grand étonnement, l’un de ces groupes israéliens se met à jouer sur scène et par erreur — décidément ! —, j’esquisse un pas de danse… Aurais-je alors vendu mon âme au diable ?
À mon plus grand étonnement, l’un de ces groupes israéliens se met à jouer sur scène et par erreur — décidément ! —, j’esquisse un pas de danse… Aurais-je alors vendu mon âme au diable ?
1NDLR. Shazam est une application qui permet de trouver des informations sur une musique diffusée en streaming en capturant un échantillon grâce au micro d’un téléphone.
3Interview de Shiran Karni par Barry Davis, « Funk the Yemenite Way », The Jerusalem Post, 30 mars 2014.
4Ibid
Source Orient XXI