mercredi 28 septembre 2016

Le mariage du Hafets Haïm






Au moment où Eliézer proposa à Lavan et Béthouel l’union entre Its’hak et Rivka, ceux-ci s’exclamèrent : « La chose émane de D.ieu Lui-même ! ». Comme quoi même les personnages les plus abjects peuvent être parfois illuminés d’une étincelle de clairvoyance…
 




De fait, la vérité énoncée ici par ces deux mécréants est tellement palpable, que chacun de nous, si l’on y prête attention, peut la pointer du doigt. En témoigne cette remarquable histoire, entendue par le rav Chlomo Bloch, élève du ‘Hafets ‘Haïm, de la bouche même de son maître.
A peine âgé de seize ans, rav Israël Meïr Kagan – qui devait devenir plus tard le célèbre ‘Hafets ‘Haïm – avait déjà la renommée d’un jeune Ilouy [génie] à l’avenir très prometteur.
Quelques années plus tôt, son père, un brillant disciple de rav ‘Haïm de Volozhin, était brusquement décédé. Peu après, sa mère s’était remariée avec un homme de la petite ville de Radin, lequel, contrairement au père de rav Israël Meïr, était un homme simple, à l’érudition très modeste.
A cette époque, le jeune homme séjournait à Vilna, où il poursuivait son étude de la Torah avec une assiduité peu commune. Un jour, il décida de rendre visite à sa mère à Radin, et par la même occasion, de rencontrer pour la première fois reb Chimon, son nouveau beau-père.
 Pendant ce séjour, ce dernier put effectivement faire plus ample connaissance avec le futur maître de la génération, pour qui il éprouva une vive affection. En vérité, il fut tellement enchanté par ce jeune Ilouy qu’après quelques jours seulement, il prit la décision de l’élire en tant que gendre !

Cet homme avait en effet une fille d’un premier mariage, qui serait à ses dires l’épouse idéale pour son nouveau protégé. Mais tout n’était pas aussi rose qu’il voulait bien le croire : hormis le fait qu’elle ait grandi dans une famille aux conditions fort modestes – tant matériellement que spirituellement –, la jeune fille était en outre bien plus âgée que le jeune homme : elle allait déjà sur ses vingt-six ans… Ces différents éléments incitèrent la mère de rav Israël Meïr à s’opposer vigoureusement à cette union.
Malheureusement, le père de la jeune fille accepta difficilement ce refus, et ne comprenait pas l’affront fait à sa fille. Aucun des conjoints n’étant prêt à céder, les choses s’envenimèrent tant et si bien que leur propre mariage fut remis en cause : pour préserver son fils, la mère du jeune homme pensait déjà à se séparer de son second mari…
Lorsque rav Israël Meïr réalisa qu’à cause de lui, le mariage et le bonheur de sa mère étaient menacés, il décida de s’impliquer directement dans l’affaire. Prenant sa mère à part, il lui annonça qu’il comptait accepter cette proposition, et il la pria instamment de se rallier à sa décision. Puisque telle était la volonté de son enfant, celle-ci ne tarda pas à s’y plier, et c’est ainsi que la date des Tenaïm [cérémonie par laquelle les deux parties s’astreignent à honorer leurs engagements] fut fixée.
Mais lorsque rav Aharon Kagan, le frère du futur marié, apprit « l’heureuse » nouvelle, il loua sur-le-champ une calèche, et se rua sur la route de Radin pour tenter d’empêcher cette union. En tant que frère aîné de l’orphelin, rav Aharon considérait que le jeune Ilouy méritait un mariage bien plus décent : à ses yeux, le bonheur de son jeune frère se trouverait chez une jeune fille de bonne famille, et dont les ressources financières lui assureraient une tranquillité d’esprit pour pouvoir s’adonner pleinement à son étude.
 Mais peu avant d’arriver à Radin, une roue de la calèche se brisa, et le véhicule manqua se renverser.

Malgré les vives exhortations de rav Aharon, le charretier prit plusieurs heures à réparer la roue et à reprendre le chemin. Ce qui fit qu’ils arrivèrent à Radin bien après que la cérémonie se soit achevée…
Bien des années plus tard, le ‘Hafets ‘Haïm raconta la suite de ces événements : « Lorsque je repartis ensuite à Vilna, je racontai mes dernières péripéties à mon compagnon d’étude. Mais celui-ci me répondit sans ménage : ‘Qu’as-tu donc fait d’agir sur un tel coup de tête ? Si ton beau-père est incapable de t’aider financièrement, combien de temps pourras-tu continuer à étudier après ton mariage ?
Car rapidement, tu devras subvenir aux besoins du foyer. Et alors, tu n’auras plus guère le loisir de t’adonner à l’étude !’.
Ces sages paroles me pénétrèrent le cœur : je pris alors conscience de mon erreur, et je décidai de mettre un terme à cette union. Reprenant sur-le-champ la route de Radin, j’étais déterminé à aller voir la jeune fille, et à la prier de bien vouloir me pardonner ; après tout, j’étais sur le point de briser ses rêves…
En arrivant en ville, je trouvais un grand rassemblement au beau milieu de la rue principale.

Curieux, je m’approchais et je vis qu’au centre du groupe, un homme épileptique était en train de subir une crise convulsive. Il était étendu là, à même le sol, tordu par les spasmes et la douleur. Lorsque la crise prit fin, il se leva, maculé de boue de la tête aux pieds et visiblement très gêné d’avoir été ainsi surpris dans sa souffrance.
 Pour ma part, cette anecdote m’interpella. De nombreuses pensées me traversèrent l’esprit : ‘Le monde est rempli de tant de souffrances, de chagrin et d’humiliations. Lorsque D.ieu décide de rabaisser un homme, Il a tellement de moyens de le faire.

Or voici que moi, je m’apprête à cause une terrible honte à une jeune fille qui ne la mérite en rien !’. A cet instant, la décision s’affermit dans mon cœur et sur-le-champ, je rebroussai chemin et repartis pour Vilna ».
Peu avant le mariage, la situation financière du père de la mariée se dégrada encore plus.
De nouveaux décrets s’abattirent sur les Juifs de la région, et reb Chimon perdit jusqu’au dernier de ses sous. A nouveau, la famille du jeune marié trouva prétexte pour intervenir, mais lui s’en tint fermement à sa décision.
 Lorsque la date du mariage arriva enfin, reb Chimon était dans un tel état de dénuement qu’il n’avait pas même les moyens de couvrir les frais les plus élémentaires du mariage. Par chance, on réussit à trouver un vieux sac de blé, à moitié dévoré par les rats. La veille du mariage, la mariée et ses proches trièrent les grains de blé comestibles, les envoyèrent au moulin, et c’est ainsi que le « repas » de mariage put être célébré !
 Avec le temps, le ‘Hafets ‘Haïm apprit à découvrir les qualités de sa jeune épouse, et plus particulièrement son dévouement et son abnégation. Il affirma que jamais une jeune fille issue d’une famille aisée de l’aurait laissé s’adonner à son étude comme elle le fit, au mépris de la plus grande pauvreté.
 Son compagnon d’étude, pour sa part, fut fidèle à ses exhortations, et choisit pour épouse la fille d’un riche personnage. Et effectivement, pendant les premières années de son mariage, il put étudier la Torah avec assiduité et en toute quiétude.

Mais six ans plus tard, son beau-père vint le trouver et lui annonça : « Jeune homme, c’est à présent ton tour de prendre en main la charge de ton foyer ! ». Or évidemment, ajouta le ‘Hafets ‘Haïm, la réussite dans les affaires n’est pas donnée à tout le monde…
Son épouse quant à elle, sut toute sa vie apprécier l’importance de la Torah, et jamais elle n’exigea de son mari plus que le strict nécessaire.



(Extrait de l’ouvrage : Le ‘Hafets ‘Haïm – ‘hayav oupaolo).


Yonathan Bendennoune


Source Chiourim