mardi 12 avril 2016

Soixante-dix ans après, Wallenberg est enfin déclaré mort !





Disparu en 1945 sur le chemin de négociations avec l’Armée rouge, le diplomate suédois qui a sauvé des milliers de Juifs hongrois à la fin de la Seconde Guerre mondiale n’a jamais été déclaré décédé. Le 17 janvier 1945, il est monté à bord d’une voiture conduite par son chauffeur, direction Debrecen, à 240 kilomètres de la capitale hongroise, Budapest, pour y rencontrer un commandant de l’Armée rouge...







Depuis, Raoul Wallenberg n’a plus donné signe de vie. Seul un diplomate allemand a témoigné avoir partagé sa cellule, début 1945, à la prison de Loubianka, tristement célèbre pour avoir abrité pendant des années le siège de la police politique soviétique. Selon la version officielle, c’est là qu’il aurait succombé, le 17 juillet 1947, à une crise cardiaque.


«Source d’inspiration»


Pendant soixante et onze ans, sa famille a tenté, avec le soutien tardif des autorités suédoises, d’obtenir la vérité sur le sort de l’homme qui a sauvé des dizaines de milliers de Juifs hongrois, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle vient de demander à ce qu’il soit enfin officiellement déclaré mort - un processus qui prend six mois en moyenne et devrait aboutir en octobre. «Cette reconnaissance est une façon d’affronter le traumatisme avec lequel nous avons vécu et d’avancer, explique la famille. Mais cela ne va pas affecter sa présence dans nos vies, ni la source d’inspiration qu’il représente pour nous et le reste du monde.»
Car si Raoul Wallenberg a connu un destin tragique, il n’en reste pas moins exceptionnel, au point que son nom soit souvent cité en Suède, depuis le début de la crise des réfugiés, comme un exemple à suivre.
«Ce qui constitue son essence, c’est le fait de ne pas avoir été seulement un diplomate, mais un homme d’action, de résultats, salue la journaliste Ingrid Carlberg, auteure d’une biographie de référence.
Ce qui lui importait était de sauver les Juifs sur place à Budapest, pas de se livrer à des tractations politiques. C’est tout le contraire de ce que fait l’Europe aujourd’hui.»
Quand il débarque à Budapest, le 9 juillet 1944, Raoul Wallenberg n’a que 31 ans et un patronyme qui le lie à une des dynasties les plus puissantes de Suède et à son empire industriel et financier, dont il n’est qu’un membre éloigné. Après son service militaire et des études aux Etats-Unis, couronnées par un diplôme d’architecte, il rentre à Stockholm, où il s’associe avec un commerçant juif hongrois, à la tête d’une entreprise d’import-export, multipliant les séjours à Budapest.
Le siège de sa compagnie se trouve dans le même bâtiment que l’ambassade américaine à Stockholm. Son nom est donc rapidement évoqué quand, en 1944, le War Refugee Board, l’agence américaine que vient de créer Roosevelt pour venir en aide aux victimes civiles des nazis et de leurs alliés, demande à la Suède d’organiser le sauvetage des 230 000 Juifs de Budapest, alors que l’armée nazie a envahi la Hongrie et déporté 430 000 Juifs vivant hors de la capitale.
Pour Stockholm, commente Ingrid Carlberg, «c’est une tentative désespérée de regagner en crédibilité auprès des Alliés après une attitude controversée à l’égard de l’Allemagne au début de la guerre».
Raoul Wallenberg, qui a noué des relations dans la capitale hongroise, n’hésite pas. Originaires de pays se revendiquant neutres, d’autres diplomates œuvrent déjà à Budapest, délivrant des passeports aux Juifs de la capitale, censés leur garantir une protection diplomatique.
Peu impressionné par le document fourni par la Suède, Raoul Wallenberg en dessine un nouveau, aux couleurs du pays, barré des trois couronnes du royaume.
Il en délivrera 9 000. La capitale hongroise compte alors deux ghettos : le «central» où s’entassent 70 000 Juifs dans des conditions épouvantables, et le «ghetto international», où 16 000 autres Juifs, confinés dans des maisons, disposent de cartes d’identité d’ambassades étrangères.
En quelques mois, Wallenberg bâtit une organisation de 350 employés, qui coordonne la vie dans le ghetto international de Budapest, créant un hôpital, des écoles, fournissant des repas…
Avec ses collègues diplomates, ils mettent en place des convois pour ramener les survivants des marches forcées d’Eichmann, convainquent le commandant du ghetto central de renoncer à l’exécution des 70 000 Juifs qui y vivent.


«Héros de la Shoah»


Le 17 janvier 1945, c’est pour négocier des vivres et de l’eau auprès de l’Armée rouge, qui vient de libérer la Hongrie, que Raoul Wallenberg part pour Debrecen. Quelques jours plus tard, Moscou informe Stockholm qu’il a été placé sous la protection de l’URSS, avant de démentir, laissant entendre qu’il a été tué par des fascistes hongrois.
A l’époque, rappelle Ingrid Carlberg, «la priorité de la diplomatie suédoise est de maintenir Staline de bonne humeur, de sorte que le dossier sera géré avec une prudence démesurée».
Ce n’est qu’en 1957 que la Suède exige enfin la libération de Raoul Wallenberg. Les Soviétiques le soupçonnaient d’être un capitaliste de la pire espèce, doublé d’un espion à la solde des Alliés.
Washington en fera un symbole, en pleine guerre froide, lui octroyant le titre rare de citoyen d’honneur américain en 1981.
«Il était le héros de la Shoah, qui avait lutté contre une tyrannie, pour succomber à une autre», indique Ingrid Carlberg, convaincue que la vérité sur sa mort se trouve cachée dans les archives de l’URSS.


Anne-Françoise Hivert Correspondante en Scandinavie


Source Liberation