Merav Zafary-Odiz. C’est le nom de la nouvelle ambassadrice israélienne à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de Vienne. Membre éminent de la Commission pour l’énergie nucléaire israélienne, la mission de Zafary-Odiz en Autriche sera triple. Tout d’abord, se faire les yeux et les oreilles de l’Etat hébreu à l’AIEA, où il se partage d’importantes informations sur le programme nucléaire iranien.
Ensuite, continuer de mobiliser la communauté internationale afin de maintenir la pression sur Téhéran et empêcher le régime islamiste d’obtenir la bombe atomique. Enfin, et c’est là sans doute sa tâche la plus délicate, contrer les appels qui vont croissants pour qu’Israël signe le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ainsi que les efforts diplomatiques pour établir un Proche-Orient dénucléarisé.
« Nous ne serons pas les premiers »
Sur fond de débat international, de plus en plus de commentateurs et analystes israéliens appellent à changer la politique nucléaire de l’Etat juif, largement connue sous le nom « d’ambiguïté nucléaire ». Une politique officiellement définie en avril 1963 par Shimon Peres, alors vice-directeur du ministère de la Défense et ce, 3 ans après que la France ait achevé de construire le réacteur nucléaire de Dimona.
En visite à la Maison Blanche, Peres est pris par surprise lorsque le président américain John Kennedy lui déclare être très inquiet du potentiel nucléaire israélien. Et l’Israélien de répondre du tac au tac : « Je peux clairement vous assurer que nous ne serons pas ceux qui introduiront les armes nucléaires dans la région. Nous ne serons pas les premiers à le faire », déclare-t-il alors. Face à ce coup de génie rhétorique, Kennedy recule.
La phrase est restée emblématique de l’approche israélienne depuis lors. Voilà en effet plus de 50 ans que Jérusalem s’en sert pour échapper à la pression internationale. Reste qu’en 1966, soit 3 ans après l’échange entre Kennedy et Peres, Israël fabrique sa première bombe atomique (selon les rapports étrangers).
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute pour la communauté internationale que l’Etat hébreu possède des armes nucléaires, entre 80 et 200 ogives selon les estimations. Mais les responsables israéliens s’entêtent à ne jamais confirmer ni infirmer ces rapports. Et dernièrement, il a même été estimé, d’après des documents issus des archives de l’Etat d’Israël, ainsi que d’anciens hauts gradés et des publications étrangères, qu’à deux reprises les dirigeants israéliens ont été à deux doigts de faire usage de « la bombe ».
Juin 1967
Hasard ou coïncidence, les progrès scientifiques et technologiques qui permettent à l’Etat hébreu de fabriquer une bombe atomique surviennent juste avant la guerre des Six Jours, en juin 1967. Date à laquelle le pays devient la 6e nation à posséder l’arme nucléaire, rejoignant le club très fermé des Etats-Unis, de l’Union soviétique, la France, la Grande-Bretagne et la Chine.
Ce statut informel de Jérusalem sera très près de jouer un rôle crucial lors des 3 semaines de crise qui précèdent la déclaration de guerre du 5 juin. L’expulsion des gardiens de la paix de la péninsule égyptienne du Sinaï inquiète alors beaucoup les dirigeants et généraux israéliens.
Il est également impossible d’ignorer la bruyante campagne menée par Le Caire, qui crie sur tous les toits que les armées arabes s’en vont écraser Tsahal et jeter les Juifs à la mer. La peur d’une nouvelle Shoah est d’autant plus alimentée que le régime égyptien vient de faire usage de la bombe dans la guerre civile au Yémen.
Au ministère de la Défense, la stratégie nucléaire est alors ouvertement débattue. Le premier Premier ministre israélien, David Ben Gourion, avait insisté pour fabriquer l’arme la plus dangereuse au monde, mais aucune politique définissant clairement son usage n’avait été adoptée. Plus de 46 ans plus tard, la conclusion de ces débats en 1967 reste classée et, selon des sources proches des participants, étonnamment vague. Il apparaît cependant que Rafael, l’entreprise qui a développé les armes de pointe, a mobilisé ses meilleurs ingénieurs et techniciens dans les semaines qui ont précédé le conflit.
Selon le général-lieutenant Tzvi Tzour, ancien chef d’état-major de Tsahal et conseiller spécial du ministère de la Défense au moment des faits, ces hommes et femmes ont « travaillé jour et nuit, frôlant l’effondrement total », afin de fabriquer la première arme nucléaire israélienne.
A peu près au même moment, le lieutenant-colonel Dov Tamari, commandant de l’unité d’élite Sayeret Matkal, est convoqué aux quartiers généraux pour rencontrer un haut gradé. On lui ordonne de préparer une équipe de soldats qui seront envoyés par hélicoptère dans le Sinaï. « Ils transporteront quelque chose », indique le général, sans plus de précisions.
Objectif de la mission : positionner la première bombe atomique israélienne sur le mont Sinaï, sommet où, selon la Torah, Moïse a reçu les Dix Commandements, et qui a peut-être été choisi pour sa portée symbolique. Si l’armée égyptienne, massée dans le désert, s’avise à franchir la frontière israélienne et à menacer les grandes villes de l’Etat hébreu, Tsahal se tient prêt à la réduire en miettes et, avec elle, le désert tout entier. Le plan est abandonné, principalement parce qu’Israël gagne aisément la guerre.
Octobre 1973
La seconde occasion se présente quelques années plus tard, lors de la guerre de Kippour. L’Egypte et la Syrie, dans une attaque coordonnée sur deux fronts séparés, prennent l’armée israélienne par surprise, cette armée fêtée de toutes parts et si sûre d’elle-même. Le légendaire Moshé Dayan, alors ministre de la Défense, est saisi de panique. L’élu, diront plus tard certains hauts gradés, entrevoit la possibilité de perdre la guerre. Une défaite qui signerait à coup sûr l’arrêt de mort d’Israël. Pour lui, « la fin du Troisième Temple » est proche.
40 ans plus tard, la récente publication de documents classés montre que Dayan et le général de division Rehavam Zeevi font tous deux allusion à l’usage nécessaire « d’armes stratégiques ». Si le terme n’apparaît jamais clairement, il est évident que l’idée est d’avoir recours à une arme restée secrète jusque lors, afin d’arrêter l’invasion ennemie qui progresse de jour en jour. Heureusement, le Premier ministre Golda Méïr et le chef d’état-major David Elazar rejettent l’idée de dégainer « les armes stratégiques ».
« Ni vu, ni connu »
Il n’en demeure pas moins aujourd’hui que mettre un terme à l’ambiguïté israélienne en matière de nucléaire ne serait pas sage. Cela pourrait grandement nuire aux intérêts nationaux, en particulier à l’heure où l’Etat juif et la communauté internationale veulent forcer l’Iran à démanteler son programme nucléaire. Qu’Israël se déclare comme une puissance nucléaire en cette délicate période et Téhéran se montrera d’autant plus obstiné à obtenir la bombe.
L’ambiguïté nucléaire est une des stratégies les plus intelligentes, sophistiquées et imaginatives jamais conçues dans l’Etat hébreu. Elle a permis à Jérusalem de développer une force de dissuasion face à ses ennemis, amoindrissant leurs désirs d’annihiler l’Etat juif tout en les forçant à reconnaître qu’ils n’y parviendraient probablement jamais.
De façon tout aussi importante, cette politique contribue à maintenir l’alliance stratégique unique avec les Etats-Unis. Après tant de rencontres entre dirigeants israéliens et américains, Jérusalem a passé de nombreux accords tacites et verbaux avec Washington. Une entente qui peut se résumer en seule phrase : « ni vu, ni connu ». Qu’Israël n’évoque pas ses capacités nucléaires, et les Etats-Unis ne poseront pas de question.
Dans les faits, aujourd’hui, Washington ne pousse pas Jérusalem à rejoindre le TNP, n’enjoint pas non plus aux Israéliens de démanteler leur arsenal nucléaire et empêche la communauté internationale de se montrer trop pressante. Un soutien précieux dont il serait fort peu judicieux de se priver.
Source JerusalemPost