Alors que les tensions aux Proche-Orient sont toujours vives entre judaïsme et islam, certaines communautés juives vivent dans des pays où l’islam est roi et les autres religions souvent considérées comme des croyances de seconde zone. Jean-Pierre Allali, spécialiste de la question, trace le portrait de communautés surprenantes, dont le seul point commun reste l’attachement à Israël.
Ils ne sont plus que les reliquats des dernières communautés qui peuplaient les pays musulmans. Ces juifs qui vivent dans le monde arabo-musulmans vivent par centaines, par dizaines parfois. Dans leurs communautés qui survivent depuis toujours, ces juifs vivent en communauté, tout en parvenant à s’insérer dans la cité. Pour Jean-Pierre Allali, spécialiste de la question, certaines communautés vivent comme par miracle.
Qui sont ces juifs qui vivent dans des pays à très grande majorité musulmane ? Comment sont-ils arrivés là ?
Jean-Pierre Allali : Depuis des millénaires, des communautés juives se sont installées dans le monde arabo-musulman. Ces derniers peuvent être les descendants des habitants de la terre d'Israël qui se sont dispersés dans le monde entier après la destruction du temple de Jérusalem ou encore des Berbères qui ont adopté la religion juive à une certaine période de leur histoire. D’autres communautés proviennent également de certaines populations qui se sont installées en Espagne et qui ont dû fuir durant l’inquisition. Elles se sont alors installées plus au sud, dans les pays musulmans.
Avons-nous une idée de leur nombre ?
Ces communautés ont été très nombreuses pendant une grande période de l’histoire. On en comptait par exemple 300 000 au Maroc au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, 100 000 en Égypte en 1947. Ils étaient quelques 120 000 en Tunisie à l'aube de l'indépendance en 1956. Puis la période des indépendances est survenue et ces communautés juives ont commencé à sentir l’inconfort de vivre au milieu de populations musulmanes. Un inconfort renouvelé avec les conséquences du conflit israélo-arabe qui se sont ensuite fait sentir. C’est à ce moment que les juifs ont commencé à quitter leurs pays d’adoption. Depuis, ces communautés ont été fortement amputées par l’émigration vers Israël, l’Europe, les États-Unis ou encore le Canada. Aujourd’hui, ils seraient entre 15 et 20 000 en Turquie, environ 20 000 en Iran. On en compte également 200 en Égypte, un millier en Tunisie. Pour ces communautés, la pratique de leur religion est un miracle permanent.
Qu’en est-il des juifs qui vivent sur la péninsule arabique ?
Il se passe des choses surprenantes dans cette région. L’une des communautés les plus étonnantes est sans aucun doute celle qui vit au Yémen. Ce pays était soumis à la dhimma qui implique que les non-musulmans, chrétiens comme juifs, soient soumis à un régime juridique particulier qui en fait des citoyens de seconde zone. Au Yémen, cette pratique a toujours été plus dure qu’ailleurs et dans les années 40, une grande partie de la communauté juive est revenue en Israël. Aujourd’hui, une communauté juive vit toujours au Yémen et leurs conditions de vie se sont nettement améliorées. On estime en revanche qu’il n’y a pas de personnes de confession juive en Arabie Saoudite, si ce n’est sur les bases américaines. Pourtant, du temps des prédications de Mahomet, l’Arabie Saoudite était peuplée par de nombreux juifs. Ailleurs sur la péninsule, on compte également une quarantaine de familles au Bahreïn.
Comment ces communautés sont-elles intégrées dans leurs pays ?
Là encore il y a des histoires surprenantes. Au Bahreïn par exemple, et alors que les juifs sont vraiment très peu nombreux, l’Émirat a choisi une juive comme ambassadrice aux États-Unis. Si la situation est par exemple plus dure en Irak ou en Iran, compte tenu de la difficulté des non-musulmans à vivre dans ces pays, l’Iran a tout de même au sein de son Parlement un député juif qui siège au nom de sa communauté. Même chose au Maroc où le roi Mohammed VI a toujours un conseiller juif dans son cabinet.
Qu’en est-il du comportement social de ces communautés ? Vivent-elles refermées sur elles-mêmes ?
Oui et non. Ces communautés vivent naturellement dans une forme de communautarisme dans la mesure où le judaïsme impose certaines obligations en termes de travail, d’alimentation etc. Pourtant, elles continuent néanmoins à jouer un rôle dans la cité.
Contrairement à certaines minorités chrétiennes, les communautés juives ne subissent donc pas de discriminations ?
La situation de certains chrétiens, notamment les Coptes d’Égypte ou les chrétiens d’Irak, est nettement différente. Dans leur cas, on peut parler de persécution. Si, il y a quelques années, pour différentes raisons, certaines communautés juives étaient persécutées, on ne peut plus le dire aujourd’hui. Il y a des incertitudes, des angoisses, mais plus de persécutions.
Qu’est-ce qui retient les communautés les plus petites dans leurs pays ? N’ont-elles pas envie de partir ?
En Tunisie, les juifs se considèrent par exemple comme les gardiens de la synagogue de Djerba, qui a été la cible d’un attentat en 2002. Beaucoup restent également pour des raisons commerciales, ou pour garder leurs biens. Puis il y a également des personnes âgées, qui souhaitent mourir là où elles ont vécu.
Quel est le rapport de ces communautés à l’État d’Israël ?
Dans le monde juif, il est très rare qu’une personne n’ait pas de contact en Israël puisqu’aujourd’hui, la population d'Israël est composée de juifs venant de plus de cent pays. Les juifs vivant dans le monde musulman doivent parfois cacher leur relation avec Israël, mais dans le fond, une proportion très importante se reconnaît en Israël puisque la création de cet État correspond à un vœu millénaire.
Source Crif