La comédie culte "les Aventures de Rabbi Jacob" est sortie en octobre 1973. Retour sur son histoire, avec une partie de l'équipe.......Interview et Vidéo intégrale du film.........
"Et maintenant, Rabbi Jacob, il va danser." Il y a 45 ans, le 18 octobre 1973, sortait le film qui allait marquer la dernière des quatre collaborations entre Gérard Oury et Louis de Funès.
Leur meilleure, osons-le dire. Sept millions trois cent mille entrées en salles et des dizaines de rediffusions télé triomphales plus tard, les mésaventures rocambolesques de Victor Pivert (de Funès), chef d’entreprise raciste confondu avec un rabbin orthodoxe new-yorkais de passage à Paris, et de Mohammed Larbi Slimane (Claude Giraud), dissident d’un pays arabe poursuivi par des tueurs (parmi lesquels un tout jeune Gérard Darmon), sont toujours aussi cultes.
La première édition du Festival CineComedies de Lille rendait hommage au film vendredi 28 septembre.
Nous en avons profité pour rencontrer Danièle Thompson, coscénariste et fille de Gérard Oury, Henri Guybet, l’interprète du chauffeur Salomon, et Ilan Zaoui, chorégraphe de l’inoubliable scène de danse dans la rue des Rosiers.
Comment est né "les Aventures de Rabbi Jacob" ?
Danièle Thompson. De la fascination qu’avait mon père pour ces personnages en costumes, papillotes et grands chapeaux qu’il apercevait rue des Rosiers. Mon père n’a pas été élevé religieusement.
Sa mère, ma grand-mère, était juive. Il était très conscient de son identité puisque, durant la guerre, il avait été obligé de fuir Paris. Bref, ces rabbins et leurs accoutrements paraissaient très incongrus aux yeux de mon père, dont les amis juifs étaient très différents.
Tout est parti de cette idée simple de sortir un personnage de cette communauté, de raconter ces gens au mode de vie très ascétique qui font la fête, boivent et dansent le jour de shabbat.
Cela faisait trois films qu’il travaillait avec Louis de Funès ["le Corniaud", "la Grande Vadrouille", "la Folie des grandeurs", NDLR], il s’est tout de suite imaginé la silhouette, la personnalité de De Funès dans le rôle. Enfin, il y avait l’idée de traiter de l’antisémitisme et du racisme.
A part ça, on est parti de rien. Si : une page avec marqué "usine de chewing-gum" qu'il avait sortie du dossier où il emmagasinait des notes, des idées de gags, des dessins humoristiques.
A l'origine de "Rabbi Jacob", il y a donc le personnage de rabbin et l’usine de chewing-gum, point [Rires]. La mécanique a été très difficile à mettre en place.
Henri Guybet, vous, Salomon, n’êtes pas juif ?
Henri Guybet. Et parfois, ça m’ennuie [Rires]. J’avais un ami très proche, aujourd’hui décédé, avec lequel j’ai débuté au cabaret, dont le père était juif polonais et communiste.
Il avait été arrêté à Drancy, s’était enfui avec sa sœur mais sa mère, elle, est morte à Auschwitz. Ce garçon avait gardé énormément d’humour par rapport à tout ça. Quand il m’a vu en Salomon, il m’a dit : "T’as eu de la chance, Henri, de faire le film à cette époque. En 1939, tu en serais mort"… J’avais beaucoup de copains juifs mais, dans la vie comme au boulot, on ne parle pas de ses origines.
Danièle Thompson. Surtout à l’époque. Quand j’étais à l’école, dans les années 1950, personne ne savait qui était quoi. On en parle plus aujourd’hui qu’avant.
La scène de la voiture, avec le fameux "Salomon, vous êtes juif !?", était-elle écrite telle quelle ?
Henri Guybet. Oui. On l’a répétée une fois avant, on a modifié deux, trois répliques puis on l’a tournée comme du bon pain. C’était très millimétré. Plus on faisait de prises, plus de Funès s’échauffait, meilleur il était.
De Funès avait la réputation d’être dur.
Henri Guybet. Les mauvais devaient l’énerver. Avec moi, cela s’est très bien passé. C’était un homme assez discret. Il était très méticuleux parce qu’il aimait son boulot.
Qu’est-ce que travailler avec lui vous a appris ?
Henri Guybet. Que si un jour j’arrivais aux chevilles de ce monsieur, j’aurais réussi ma carrière.
"Au départ, le scénario prévoyait que de Funès joue du violon". Ilan Zaoui, comment est née la cultissime danse des hassidiques ?
Ilan Zaoui. Je rentrais d’Israël et mon ami Alexandre Arcady m’a parlé d’une grosse production qui cherchait des musiciens pour un film intitulé "Rabbi Jacob".
Je suis allé voir Margot Capelier, la directrice de casting mythique du cinéma français, je lui ai parlé de ma compagnie et du spectacle que l’on donnait en banlieue. Spectacle qu’elle est venue voir avec Gérard Oury. S'y trouvait la chorégraphie qui a inspiré celle de "Rabbi Jacob".
Au départ, le scénario prévoyait que de Funès joue du violon mais ça ne satisfaisait pas Gérard.
Danièle Thompson. On ne savait pas très bien quoi faire de cette scène.
Ilan Zaoui. Quand il a vu notre spectacle, Gérard a eu le déclic. Il ne restait plus qu’à convaincre Louis de Funès. On a organisé une audition pour lui présenter la danse.
A la fin, de Funès m’a fait un signe, c’était OK. Pendant une dizaine de jours, on s’est retrouvés au studio de Boulogne-Billancourt, tous les matins, en bras de chemise, tricot de corps et chaussons, pour une heure et demie de répétitions.
Le premier jour, je suis arrivé avec un sac un peu pourri. En entrant dans la salle, une dizaine de personnes s’affairait autour de De Funès. Quelqu’un m’a demandé : "Ilan, comment voulez-vous commencer ?" J’ai répondu : "Vous sortez tous, vous me laissez avec Louis et le magnéto." Louis m’a jeté un regard approbateur. C’était gagné entre nous deux.
Louis était venu en chaussures de ville. Coup de bol, on avait la même pointure et je lui ai prêté de vieux chaussons troués à moi.
Le lendemain, on lui avait amené une quinzaine de paires de chaussons magnifiques et il m’a demandé discrètement : "Je peux garder vos chaussons ?" Cela a créé un lien entre nous.
De Funès avait 58-59 ans, il n’était déjà plus tout jeune…
Ilan Zaoui. Il avait une énergie folle. J’étais parfois aussi crevé que lui alors que j’avais 22 ans. Il en voulait et on a vraiment sympathisé. Il m’a confié que le film l’avait changé, qu’il avait fait progresser sa vision du judaïsme.
A-t-il ajouté sa touche à la chorégraphie ?
Ilan Zaoui. Bien sûr. Après quelques jours, il m’a dit : "Ilan, vous êtes un bon professeur." Je lui ai répondu : "Louis, vous êtes un très bon élève." Notre relation était très respectueuse, alors que j’étais un gamin. Il a proposé des choses mais on ne décidait jamais rien sans mon accord.
Pour adapter la chorégraphie au film, j’avais exagéré un peu les gestuelles. Louis s’amusait à en rajouter à sa manière avec les mains. Quand il a fait ça [il lève les mains au ciel, comme pour une prière, en les agitant et en se frottant le bout des doigts, NDLR], on l’a gardé.
Tout comme son regard hésitant au début de la scène.
D’où vient ce type de danse ?
Ilan Zaoui. Du hassidisme, un mouvement religieux, né à la fin du XVIe siècle en Pologne, qui exprime la religion juive à travers une certaine ferveur de la danse et de la musique.
La musique de Vladimir Cosma est totalement inspirée de cette tradition que l’on appelle aujourd’hui klezmer.
La scène a-t-elle été tournée rue des Rosiers ?
Danièle Thompson. Non, à Saint-Denis.
La sortie du film, en octobre 1973, a eu lieu dans un contexte difficile.
Danièle Thompson. Le hasard a voulu que "Rabbi Jacob" sorte en pleine guerre du Kippour.
Pendant que le conflit sévissait au Proche-Orient, Paris était tapissé d’affiches avec de Funès sous son grand chapeau et ses papillotes. On allait même les enlever la nuit par peur du scandale.
Et puis il y a eu ce tragique événement : la femme de Georges Cravenne [attaché de presse du film, NDLR] a fait une crise de schizophrénie aiguë : elle s’est persuadée que le film, qu’elle n’avait pas vu, était anti-palestinien et a pris un avion en otage pour empêcher sa sortie.
Le GIGN est intervenu et lui a mis une balle dans la tête... Au final, "Rabbi Jacob" a été un énorme succès partout, même dans les pays arabes.
Quand on voit où on en est sur la question des religions, le succès intergénérationnel de "Rabbi Jacob" ne paraît-il pas un peu vain ?
Danièle Thompson. Non. D’abord, le film sert de référence en termes de liberté humoristique.
Il y avait, à l’époque, sur ces sujets, une forme de liberté, de légèreté, de naïveté, de premier degré, des notions plus du tout actuelles. Parce que l’on est aujourd’hui conscient de la susceptibilité communautaire, en particulier celle des musulmans. Nous savions que nous touchions des choses délicates, nous avions peur de heurter la sensibilité de la communauté juive.
La communauté musulmane, on n’y pensait même pas, c’est vous dire combien les temps ont changé.
Quand on voit la désinvolture avec laquelle on parle des "maramouches", "avec leurs petits yeux huileux". Ça ne posait pas de problème ; aujourd’hui, on n’irait pas là-dedans. La comédie, les artistes, le public ont évolué, on ne fait plus des films comme ceux de Chaplin.
Henri Guybet. Et puis on sortait de 1968, d’un mouvement très libérateur. Les gens avaient l’esprit plus ouvert. Maintenant, on vit avec des interdits, on ne peut plus parler de ceci, de cela. Le mariage pour tous fait un scandale ; les religions, pas touche, sous peine de se prendre une fatwa...
L’an dernier, "Coexister", la comédie de Fabrice Eboué qui réunissait un prêtre, un imam et un rabbin, n’a pas très bien marché. Vous l’avez vue ?
Danièle Thompson. Oui. Je crois qu’une des raisons pour lesquelles le succès de "Rabbi Jacob" perdure, c’est son côté film d’aventure qui le rapproche du divertissement américain.
C’est une course-poursuite. Ajoutez-y le charme de la musique de Vladimir Cosma, le casting assez miraculeux. Si on se trompe sur un acteur pour le rôle de Salomon, pour celui de la femme de De Funès, que joue Suzy Delair, ou pour celui du vrai rabbin, interprété par Dalio, c’est très grave.
Mon père me racontait qu’il avait demandé à Henri s’il était juif au moment du casting. L’important n’était pas qu’il le soit – on ne va pas forcément demander à un acteur juif de jouer un juif…
Henri Guybet. Comme je devais parler hébreu, il voulait savoir si j’avais fait ma bar-mitsva et si cela me serait facile. Un an après "Rabbi Jacob", je tournais "le Retour du Grand Blond" au Brésil, je me promenais dans les rues de Rio avec mon épouse quand une femme s’est approchée de moi et m'a demandé : "Sorry, sir, are you Salomon ?" ("Excusez-moi, monsieur, êtes-vous Salomon ?"). Elle avait vu le film deux semaines avant à New York, elle m’a emmené dans sa famille et j’ai rencontré toute la communauté juive de Rio. La diaspora, ce n’est pas de la plaisanterie !
Danièle Thompson. Le film a eu une merveilleuse critique et a bien marché en Amérique.
Henri, vous n’avez pas tourné d’autres films avec de Funès !?
Henri Guybet. Jamais. Des années plus tard, il a interprété et réalisé une adaptation de "l’Avare" avec mon copain Bernard Ménez dans le rôle de La Flèche. Un jour, je demande à Bernard : "Comment t’as fait pour jouer dans le film de De Funès ?" Il m’a répondu : "Je suis allé le voir et je lui ai dit que j’aimerais bien tourner dans son film." Putain, pourquoi je ne l’ai pas fait !?
Danièle, il était question d’une suite contemporaine à "Rabbi Jacob" : "Rabbi Jacqueline" ! C’en est où ?
Danièle Thompson. Il en est toujours question mais on en est très loin. On écrit, on ne sait pas si on va y arriver. Si c’est le cas, Henri en sera.
Henri Guybet. Ah ! Je crois qu’à Paris, il y a une femme rabbin.
Danièle Thompson. Oui, mais je te rappelle que Rabbi Jacob n’est pas rabbin. Rabbi Jacqueline ne le sera pas non plus.
Propos recueillis par Nicolas Schaller
Source L'Obs
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