mercredi 12 février 2014

Le nouvel art juif

 

Le Judaïca est un art imprégné du judaïsme. Il développe la culture et les coutumes de la plus ancienne religion monothéiste. Les pièces de Judaïca ont très souvent une fonction religieuse, tout en étant esthétiques et décoratives. C’est le cas des mezouzot, des hanoukiot, ou des verres de Kiddoush. Les artistes apportent une touche stylisée à ces objets de culte, qui servent quotidiennement dans les maisons juives. La hanoukia en argent ou les bougeoirs en bronze constituent des classiques du genre.



Mais en Israël, certains artistes désormais mondialement renommés, ont imaginé et donné vie à une nouvelle forme de Judaïca. Ils se sont réapproprié les objets religieux, en intégrant des styles modernes et colorés, ainsi que des matériaux nouveaux comme l’acier ou le cristal.
Fini le temps où le chandelier à sept branches en argent noircissait : l’art juif se fait inventif et ludique. N’hésitant pas à marier design et mouvement, grâce à des mécanismes intelligents et dynamiques. Une hanoukia peut aujourd’hui être structurée en aluminium, et se transformer en bougeoirs de Shabbat grâce à des pièces qui se démontent et se réassemblent. Certaines peuvent même, une fois défaites, tenir dans une pochette de CD. Grâce à la créativité sans bornes et à la sensibilité particulière de ces artistes.
 
Une intériorité juive
Le Judaïca est un art très diversifié et assez difficile à définir. Parce qu’il est devenu moderne, il est aujourd’hui composé de plusieurs branches artistiques. Pascale Perez travaille depuis vingt-cinq ans dans des galeries d’art juif à Jérusalem. Cette franco-israélienne est responsable de la galerie Arta mais est également, depuis 2010, galeriste indépendante à l’Espace 10. Elle explique que le Judaïca « est un terme très vaste qui recouvre toutes les pièces représentant des thèmes juifs. Ce peut être également un très beau tableau peignant une thématique juive. Par exemple récemment, une artiste juive française a fait des photos du quartier juif ultraorthodoxe Meah Shéarim à Jérusalem : pour moi, c’est aussi de l’art juif ».

Pas besoin donc, pour les artistes, de se limiter aux objets classiques de rite juif. Le Judaïca comprend selon Pascale, toutes les approches juives de l’art.


 Une notion reste toutefois indispensable : la judéité de l’artiste qui créé ces pièces. Il s’agirait d’un art sacré et consacré par l’identité juive. Pascale Perez éclaire sur le statut des artistes : « Si un artiste non juif peint une scène biblique juive, beaucoup diraient qu’il ne s’agit pas de Judaïca, car le tableau n’est pas “sacré juif”.
Mais il existe beaucoup de chrétiens évangélistes très proches d’Israël qui pourraient être amenés à créer des pièces portant sur une thématique juive. Peut-on dire qu’il s’agit d’art juif, je ne sais pas, car cet art est produit depuis une intériorité. » C’est justement la sensibilité décrite comme juive des artistes, qui touche les amateurs et les collectionneurs. Une intériorité qui trouve sa source dans la lecture juive du monde par l’artiste. Le Judaïca est, comme tout art, créé depuis l’identité profonde de son auteur, qui provoque une émotion chez celui qui l’observe. L’intériorité marquée par le judaïsme serait ce qui donne un style si particulier au Judaïca. Sa patte, son empreinte.
Pour David Kessel, peintre et dessinateur français, la dimension juive donne tout son sens au Judaïca. Elevé dans une famille ashkénaze rescapée de la Shoah, le peintre fait partie de ce qu’on appelle la « seconde génération » : ces enfants de survivants. Son père Simon Kessel, membre du réseau Hector, a été arrêté par la milice, torturé par la Gestapo, et déporté à Auschwitz en 1942. La culture ashkénaze juive et agnostique marque son approche de la peinture. Devenu artiste très tôt, son art est imprégné aussi bien par le judaïsme que par l’histoire de sa famille. Il explique avant tout que « pour tout artiste juif, la question de peindre sa spécificité, a toujours été tentante. Je pense que la réalité est toute autre ».



« Le Judaïca existe depuis très longtemps, dans les figurines, des rituels, et beaucoup d’objets du Moyen Age. Ce qui est intéressant, c’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle début XXe siècle, l’Ecole de Paris, formée par des Juifs exilés, va créer un vrai art qui sort des principes religieux. Nombreux sont les artistes juifs qui ont développé des thématiques liées à leur environnement, à leur quotidien : Chagall, Mané Katz, Soutine. Modigliani en fait partie, mais il développe des thèmes plus généraux », analyse le peintre.Kessel ajoute que « l’art Judaïca est un langage avant tout. Une manière de toucher à notre histoire, à nos traditions », en prenant pour exemple Alain Kleinmann qui, toute sa vie durant, a peint la mémoire collective, « notre mémoire ». L’histoire personnelle de David Kessel l’a amené à créer en puisant dans son identité juive, mais non dans le sens religieux : « Mon éducation juive héritée de mes parents, d’origine russe et roumaine, et ayant vécu la Shoah, fut celle de valeurs sionistes et humanistes. Dans le respect de la différence de l’autre. Pas dans le rapport au religieux. Toute éducation nous amène à puiser dans cet héritage, et à grandir avec.
Peindre la judéité, c’est quelque part se transcender, se dépasser ». Et les artistes n’hésitent pas à le faire, en inventant des formes modernes de Judaïca, grâce à de nouvelles techniques et une créativité passionnée.
 
De la créativité à revendre
Nombreux sont les artistes qui font du judaïsme un art. Ils s’inspirent par exemple des sept espèces (en hébreu : שבעת המינים, shiv’at haminim) qui sont les signes donnés dans la Torah pour assurer la fertilité de la terre d’Israël. Une grande importance leur est donnée, notamment à l’occasion des fêtes juives de Tou Bishvat, Shavouot et Rosh Hashana. C’est Moïse qui aurait exposé au peuple hébreu les merveilles qu’ils découvriront en Eretz Israël : « Une terre de froment et d’orge, de raisin, de figue et de grenade, une terre d’olive huileuse et de miel ». L’Israélienne Ahouva Elany joue par exemple avec ces sept espèces pour concevoir ses créations, constituées de feuilles de cuivre méticuleusement peintes à la main.
Selon Pascale Perez, le sculpteur et peintre israélien David Gerstein est l’artiste le plus demandé. Il est, depuis le début des années 2000, le pionnier d’une nouvelle forme d’art, basée sur des tableaux à deux dimensions et des sculptures dynamiques. Son style coloré est très facilement reconnaissable, et l’artiste a su trouver sa place dans les appartements, les collections privées, ainsi que les espaces publics à travers le monde. Ses sculptures extérieures décorent les espaces ouverts, depuis le campus de l’Université hébraïque de Jérusalem jusqu’au quartier des affaires de Singapour. Pourtant, l’artiste a toujours refusé l’étiquette de Judaïca.



Profondément athée et anticlérical, Gerstein crée des personnages à vélo, joue avec le mouvement des papillons, sans jamais vouloir entendre parler d’aucune forme de représentation juive. Pour lui, sa fameuse Hamsa multicolore relie les trois religions monothéistes, puisque la main est un symbole du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam. Il fait pourtant partie des artistes israéliens de Judaïca les plus vendus à travers le monde, preuve s’il en est que cet art découle avant tout de l’identité juive de son auteur plutôt que des objets réalisés.
La légende raconte d’ailleurs que son frère jumeau serait devenu très religieux, au grand dam de l’artiste aux couleurs. Ce n’est que l’année dernière que Gerstein a accepté d’ajouter des hanoukiot à ses expositions.
 Ce sculpteur israélien a lancé un style particulier, qui a inspiré plusieurs autres œuvres. Les créations Tzuki utilisent les mêmes techniques de découpage au laser et de couleurs vives, avec une touche plus naïve et enfantine. Selon Pascale, « alors que Tzuki est idéal pour un cadeau de bar-mitsva ou décorer les chambres d’enfants, Gerstein a une approche plus profonde et mature, avec une idée derrière chaque sculpture ».
Emil Shenfeld, lui, s’est spécialisé dans le Judaïca moderne il y a déjà vingt ans. Ses créations n’ont rien à voir avec l’art juif classique, puisqu’elles sont faites d’acier et d’aluminium, offrant des géométries complexes, dans un style très moderne et élégant.
Plusieurs matériaux et techniques sont utilisés dans cet art revisité. Les pierres Swarovski, l’acier, le cuir, le verre, le plaqué or, en sont des exemples. Certains manient le bois et la laque pour créer des tableaux dans lesquels Jérusalem apparaît comme une ville flamboyante.
Côté acheteurs, l’art juif serait apprécié différemment selon les origines des personnes et les motifs d’acquisition. Entre étrangers et Israéliens, la différence est non négligeable. Pascale Perez explique que dans la galerie Arta, 80 % de la clientèle est constituée de touristes étrangers, qui ont un goût plutôt classique et conservateur. Ils recherchent surtout des cadeaux utiles à offrir pour l’intérieur, du made in Israel, et des souvenirs de leur voyage. Dans la galerie Espace 10 par contre, qui se veut plus moderne dans sa vision du Judaïca, ce sont 80 % d’Israéliens qui sont à l’origine des achats. Ils ont une « approche plus libre et moderne de l’art juif, et promeuvent des artistes non commerciaux », avec un budget plus conséquent car envisagent l’achat comme un réel investissement, selon Perez.
La plupart de ces artistes israéliens habitent à Jérusalem. Selon la tradition kabbalistique, les quatre villes saintes du Judaïsme – Jerusalem, Tibériade, Hebron, Safed – sont associées chacune à un élément de la Nature. Jérusalem représente celui de la Terre, celui qui constituerait le socle d’Israël et du peuple juif. Des artistes, somme toute, ancrés dans une Terre sainte pour créer un art imprégné de judaïsme. 


Source JerusalemPost