mardi 25 février 2014

Ukraine : les barricades de Maïdan en Israël aussi


“Des événements très moches se déroulent en Ukraine”, explique Danny Shemtov après avoir parlé depuis chez lui à Haïfa avec sa famille à Dniepropetrovsk, dans le centre-est de l’Ukraine.
“Des bandits sont arrivés au pouvoir en Ukraine à cause de la faiblesse du président”. Le mot “bandits”, en passant, est le terme le plus poli employé par Shemtov pour décrire les manifestants qui applaudissent sur la place Meidan de Kiev.



Il utilise d’autres surnoms pour exprimer son opinion au sujet des récents événements qui se déroulent dans son ancienne patrie: “Fous nationalistes” et même “réincarnation des nazis en Allemagne juste avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir”.
Selon lui, la vieille élite est actuellement remplacée par une caste nouvelle et non moins dangereuse.
“J’ai servi comme officier dans l’Armée rouge dans cette région”, confie-t-il à i24News. Mes amis m’ont toujours mis en garde contre les gens de là-bas. Ces types-là détestent tout simplement tous ceux qui ne sont pas de purs Ukrainiens. Le peuple d’Ukraine est maintenant l’otage d’une guerre contre la Russie”, affirme-t-il.
“Le peuple ukrainien vient de vivre de grands événements”, déclare Alla Shianskaya, après avoir parlé depuis chez elle à Tel Aviv avec sa famille et ses amis de Dniepropetrovsk et à Kiev où elle a fait des études de science.
“Je ne suis pas aveugle au point de ne pas voir que certains courants sont affectés par le racisme et le nationalisme dans certaines franges de l’opposition ukrainienne. Mais cela reste une minorité. Nous avons également, en Israël, également ce genre de population. Mais je rends hommage à ceux qui ont mené une protestation aussi digne. Ils ont rejeté Ianoukovitch, digne de Ceaucescu, et ils aspirent à l’Europe. L’Ukraine est ma vieille patrie et je veux qu’elle jouisse d’une vie normale, pas comme celle du “royaume des miroirs déformés”, comme dit le proverbe.
Avant que tous deux ne s’installent en Israël, Shemtov et Shinskaya ont grandi dans la même rue de Dniepropetrovsk et allaient à la même école. Pourtant, ils se sont rencontrés pour la première fois sur la place Rabin à Tel Aviv, lorsque tous les deux, immigrants de fraîche date, participaient à une manifestation de la gauche israélienne. Ils partagaient les mêmes opinions et la même idéologie. Jusqu’à maintenant. Bizarrement, c’est l’actuelle révolution ukrainienne qui les a séparés. Ils se retrouvent maintenant face à face, des deux côtés des barricades. Ils ne sont pas seuls.
Toute la communauté russophone d’Israël, pas seulement d’origine ukrainienne, s’est impliquée dans les événements actuels d’une manière comme jamais. Israël compte un demi million de Juifs ukrainiens qui sont arrivés durant les 25 dernières années. Ils représentent la plus large concentration d’Ukrainiens vivant hors du territoire national. Et ils se font du souci. En partie parce qu’ils ont laissé là-bas de la famille et des amis; et aussi parce que les sentiments ne s’estompent pas.
Mais il n’y a pas qu’eux: des pans entiers de la communauté russophone d’Israël, originaires de toutes les anciennes républiques soviétiques, prennent une part active dans le débat houleux sur l’Ukraine
Une majorité d’entre eux est de tout coeur avec Maïdan. Toute autre opinion, en proie au doute ou se posant des questions quant à la nature de l’opposition, est balayée.
“Si je poste sur Facebook le moindre statut provocateur concernant Israël, comme par exemple ‘transfert de tous les Arabes’ ou au contraire ‘redonner toute la Palestine aux Palestiniens’, je ne recevrai jamais autant de commentaires que lorsque j’évoque l’Ukraine’, affirme David Aidelman, un commentateur politique russophone qui est très sceptique sur ce qui se passe actuellement en Ukraine.
Alors que les autorités israéliennes suivent de près les événements avec une inquiétude croissante, en raison de l’impact que les récents événements pourraient avoir sur les 200.000 Ukrainiens pouvant prétendre à faire leur Alyiah (immigration en Israël, ndlr), pour la communauté russophone, il s’agit de l’Ukraine et uniquement de l’Ukraine.
Vendredi dernier, quelques dizaines d’Israéliens russophones ont manifesté devant l’ambassade d’Ukraine à Tel Aviv. Jeunes, vieux, de gauche comme de droite, selon les critères israéliens, ils se sont réunis pour afficher leur soutien au peuple de la place Maïdan à Kiev et pleurer les morts. Ils portaient des brassards noirs, ont allumé des bougies et prononcé une prière juive à la mémoire des victimes.
Ils ont également chanté “Bénissons l’Ukraine, bénissons ses héros”, un refrain qui accompagnait la lutte nationaliste ukrainienne durant la Seconde Guerre mondiale et repris aujourd’hui par l’opposition ultra-nationaliste.
Les manifestants de Tel Aviv ont expliqué que pour eux, cela a une signification totalement différente, que le nationalisme ukrainien n’avait rien à voir avec les Juifs, mais concernait uniquement la Russie soviétique.
Cette explication peut aussi s’appliquer au soutien instinctif à la place Meidan.
Toute protestation sociale est conçue comme étant positive et justifiée.
Particulièrement lorsque, derrière elle, elle vise Vladimir Poutine, le président russe unanimement haï.

Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a cosigné un livre, "Le million qui a changé le Moyen-orient" sur l'immigration d'ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.

Source I24News