Alors que le Tribunal de Jérusalem vient de déclarer Hadassah en cessation de paiements, le voile se lève sur les comptes financiers de l’hôpital. Hadassah est placé sous la protection judiciaire de ses créanciers pendant 90 jours ; ainsi en ont décidé les juges de Jérusalem qui ont entériné la demande de la direction du centre hospitalier. A l’occasion des débats devant le tribunal, les chiffres qui ont conduit l’hôpital privé à la faillite ont été révélés : un mélange de gestion hasardeuse, de crise financière internationale et d’abus de la médecine privée. Revue de détails.
DES ERREURS DE GESTION – En cinq ans, le déficit d’Hadassah a été multiplié par 3,5 : il est passé de 376 millions de shekels en 2008, à 1,3 milliard de shekels en 2013 (270 millions d’euros). La direction, qui a laissé filer ce déficit, en est la première responsable : au lieu de couper dans les dépenses, elle a préféré fermer les yeux, s’en remettant à la générosité de l’organisation sioniste américaine de femmes Hadassah (the Women’s Zionist Organization of America) qui est le propriétaire des lieux. Résultat : la direction a gonflé le salaire des médecins, alors qu’elle perdait le contrôle sur la médecine privée qui fleurit dans les locaux d’Hadassah. Sans compter que comme hôpital privé, sa direction n’a pas de compte à rendre au gouvernement israélien.
LA FAUTE À MADOFF – Hadassah est soutenu financièrement par les dons collectés par l’organisation américaine de Femmes Hadassah. Or la crise financière mondiale, déclenchée en 2008 par « l’affaire Madoff », a fait chuter les dons de l’étranger. A partir de 2009, les apports des Femmes d’Hadassah ont été coupés en deux, passant de 160 à 80 millions de shekels. Le principal ballon d’oxygène de l’hôpital s’est donc tari.
DES RISTOURNES AUX CAISSES DE MALADIE – Comme hôpital privé, Hadassah ne reçoit aucune subvention de l’Etat. Ses principales ressources proviennent de la vente de services aux caisses de maladie : en 2013, 60% des ressources de l’hôpital (1,2 milliard de shekels) provenaient de la vente de services aux quatre caisses de maladie israéliennes. Or pour attirer les malades, Hadassah offrent aux caisses des réductions allant jusqu’à 40% ; ces ristournes sont à l’origine d’un manque-à-gagner de 300 millions de shekels par an, soit le montant du déficit annuel d’Hadassah. Le Trésor, qui approuve et encourage ces tarifs préférentiels, a aussi sa responsabilité dans le déficit d’Hadassah.
LE SCANDALE DES SALAIRES EXHORBITANTS – Certes, les médecins "millionnaires, qui perçoivent des salaires énormes d’Hadassah, ne sont pas nombreux. Mais en période de crise budgétaire, un chirurgien qui perçoit un salaire de 600.000 shekels par mois (130.000 euros bruts) est une situation difficilement acceptable ; même les salaires variant entre 200.000 et 500.000 shekels par mois ne sont pas compatibles avec l’équilibre financier de l’établissement. De plus, le paiement d’heures supplémentaires « globales » serait devenu une pratique courante qui coûte cher à l’établissement sans que celui-ci n’en reçoive de contrepartie.
LES ABUS DE LA MÉDECINE PRIVÉE – Pour accroître ses rentrées financières, Hadassah s’est lancé dans les soins privés, permettant ainsi aux médecins d’arrondir leurs fins de mois. Seulement voilà : seuls les médecins en profitent (en travaillant à titre privé dans les locaux même de l’hôpital), alors que le centre hospitalier n’en tire qu’un bénéfice marginal. C’est ainsi qu’en 2013, la médecine privée a fait entrer 254 millions de shekels dans les caisses d’Hadassah : 214 millions ont atterri dans la poche des médecins (85%), alors que seulement 40 millions (15%) sont restés dans les caisses de l’hôpital. Certains médecins perçoivent aussi une double rémunération pour les mêmes heures de travail : le salaire d’Hadassah ainsi que le revenu pour les soins privés.
LA FOLIE DES GRANDEURS – En pleine crise financière, la direction d’Hadassah a poursuivi ses dépenses somptueuses qui vont alourdir le déficit de l’hôpital, comme la Tour Davidson à Ein Kerem inaugurée en 2012. Cette imposante tour de 14 étages, qui a une capacité de 500 lits et 20 salles d’opération, le tout équipé d’installations ultramodernes, aurait coûté 350 millions de dollars. Son fonctionnement courant coûterait, à lui seul, plusieurs millions de shekels par an.
DES SIGNES D’OPTIMISME – Malgré ses déboires financiers, l’organisation Hadassah reste à la tête d’un important patrimoine foncier dispersé entre Jérusalem, Tel Aviv et Hadera. A Jérusalem, Hadassah possède le bâtiment situé à la rue Strauss qui abrite un dispensaire bien connu des hiérosolymitains ; toujours dans la capitale israélienne, Hadassah détient des locaux sis dans les rues Guatemala et Etsel qui lui fournissent de confortables loyers. D’autres biens immobiliers, terrains et bâtiments, sont détenus par Hadassah à Jaffa, Tel Aviv, Bet Shemesh et Hadera.
Reste qu’Hadassah est un des plus importants hôpitaux du pays et peut-être le plus grand centre hospitalier du Proche-Orient ; avec 1.000 lits, 31 salles d’opération et 9 salles d’urgence, il emploie 6.000 salariés dont 1.200 médecins et 2.000 infirmières qui lui permettent, chaque année, de soigner un million de malades. Un hôpital de cette taille ne peut assurer son développement en se basant uniquement sur la générosité des donateurs étrangers. Les gestionnaires qui se sont penchés à son chevet sont tous arrivés à la même conclusion : sans l’injection de fonds publics, Hadassah ne pourra retrouver les chemins de l’équilibre financier. A moins de trouver un repreneur privé.
Jacques Bendelac (Jérusalem)
Source Israel Valley