C’est une matière hautement inflammable, dont l’interprétation nécessite la plus grande prudence. La mesure des actes racistes commis en France est réalisée par le ministère de l’Intérieur, en collaboration notamment avec le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) et l’Observatoire national contre l’islamophobie...
Le niveau de ces statistiques est notoirement sous-évalué, puisqu’il repose uniquement sur les faits ayant donné lieu à une plainte ou d’une main courante auprès des services de police. En 2014, toutefois, les chiffres étaient implacables : 51 % des actes racistes recensés ont été dirigés contre des juifs, qui représentent moins de 1 % de la population française. Parmi les actes racistes, 8 % ont visé les musulmans.
Signification
L’année 2015 semble marquer une évolution notable. Si les actes antisémites restent à un niveau très élevé mais stable (719 actes de ce type ont été dénombrés au cours des dix premiers mois de l’année, contre 743 sur la même période en 2014), les actions et menaces visant les musulmans, eux, explosent : près de 400 en un an, trois fois plus qu’en 2014.
Les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher ont eu un effet dévastateur.
Sur ce seul mois, le ministère de l’Intérieur a comptabilisé pas moins de 178 actes antimusulmans. Si on manque encore de recul pour analyser ces données et leur signification, on peut en revanche se plonger avec quelques certitudes dans les études réalisées depuis vingt-cinq ans par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
Son sondage annuel mesure le rapport des Français au racisme, à la xénophobie et à l’antisémitisme.
La chercheuse Nonna Mayer a contribué au dernier opus, publié en avril 2015, et s’est notamment intéressée aux opinions sur les juifs. «De très loin, c’est la communauté qui a aujourd’hui la meilleure image en France», explique-t-elle. Ainsi, 27,4 % des personnes interrogées estimaient en 2014 que les juifs constituent «un groupe à part dans la société française», un indicateur en baisse assez régulière depuis 2003 (38,3 %).
D’autres communautés sont bien davantage vues comme «à part», comme les «asiatiques» (37,4 %), les «musulmans» (47,5 %) ou encore les «roms» (81,9 %). De la même manière, 85,2 % du panel affirmait que «les Français juifs sont des Français comme les autres», un niveau qui chutait à 66,4 % pour les Français de confession musulmane.
Stéréotypes
Les pratiques religieuses liées à l’islam (prière, régime alimentaire) sont d’ailleurs perçues comme dérangeantes par une proportion croissante de Français. Les juifs, eux, se voient plutôt associer un certain nombre de clichés. Ainsi, 65,2 % des personnes interrogées jugeaient qu’ils ont «un rapport particulier à l’argent».
En fait un stéréotype plutôt «positif», explique Nonna Mayer : «Les entretiens montrent qu’ils sont vus comme des gens qui travaillent, un modèle à suivre.» D’autres indicateurs témoignaient en revanche de la persistance de vieux clichés antisémites : 37,3 % des personnes interrogées affirmaient que les juifs ont «trop de pouvoir» en France.
Mais «ces stéréotypes ont considérablement baissé après l’attentat de janvier contre l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, comme si la compassion avait pris leur place», signale Nonna Mayer.
L’actualité, notamment en Israël et en Palestine, semble avoir une influence directe sur la vie des juifs français. La seconde intifada (2000), l’opération «Rempart» (2002), la mort de Cheikh Yassine (2004), la guerre de Gaza de 2008-2009, et enfin l’opération «Bordure protectrice» (2014) ont à chaque fois eu pour conséquence, en France, une augmentation des actes antisémites recensés.
«Les images hypermédiatisées de ces conflits montrent Israël comme l’oppresseur», note Nonna Mayer. L’année 2014, au cours de laquelle 851 actes de ce type ont été comptabilisés, avait aussi été marquée par l’interdiction des spectacles de Dieudonné et la manifestation «Jour de colère», qui avait vu une foule hétéroclite (organisations islamistes, ou d’extrême droite) scander des slogans tels que «Mort aux juifs !».
«Décentralisé»
Le 13 Novembre aura-t-il un effet sur les attitudes de rejet ? Nonna Mayer reste prudente : «Peut-être que le cadrage sécuritaire va faire augmenter l’intolérance. Peut-être aussi que le fait que les terroristes s’en prennent à tous entraînera un mouvement inverse de solidarité.»
A ses yeux, l’agression à Marseille contre un enseignant portant la kippa relève d’un «autre contexte» que celui à l’œuvre dans les réactions violentes à la politique d’Israël. «Il s’agit d’un terrorisme décentralisé, en lien avec la montée en puissance de l’Etat islamique, qui s’en prend à tout le monde : les "croisés", les mécréants, les policiers.
Les juifs sont aux premières loges, mais ne sont pas les seuls.» Elle note que la «logique d’imitation prime énormément» dans ce genre de cas : «La profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990 avait ainsi entraîné une centaine d’actes du même type.»
Sylvain Mouillard
Source Liberation