C’est un spécialiste du Talmud qui invente le SpeedDating, fin 1998, pour aider les jeunes célibataires juifs de Los Angeles à trouver l’âme-soeur. 7 hommes, 7 femmes, 7 minutes. Mais au moment-même où sa méthode se popularise… elle est trahie. Diplômé de l’université d’Harvard, Yaacov Deyo est ordonné rabbin en 1996. En 1998, il enseigne dans un centre d’éducation judaïque de Los Angeles....
Avec ses étudiants, il réfléchit à un moyen de faciliter et promouvoir le mariage au sein de la communauté. C’est de cette réflexion qu’émerge «le concept du SpeedDating : une forme unique de rencontre par tournante, au cours de laquelle chaque personne effectue sept rencontres de chacune sept minutes en une soirée.»
La première réunion, expérimentale, de Speed Dating a lieu en 1998 au Pete’s Café de Beverly Hills. Elle est exclusivement réservée aux membres de la communauté juive.
En moins d’un an, la méthode de «Rabbi Deyo» se répand à une cadence hebdomadaire dans vingt-cinq capitales du monde. Elle est plébiscitée par les médias américains : Le New York Times, People Magazine, le Early Morning Showde la chaîne CBS… Comment expliquer cet engouement ?
Une méthode inspirée d’un texte sacré
En 2001, dans le livre qu’il coécrit avec sa femme Sue Deyo, Yaacov affirme que le succès de sa méthode vient de ce qu’elle repose sur des «principes enracinés dans la tradition juive […] depuis des milliers d’années.»
Et pour cause : Yaacov se serait inspiré du Talmud : «En fait, le Talmud, un antique livre de droit juif, suggère une manière de sortir ensemble qui permet aux deux parties d’éliminer les candidats les moins faits pour eux.» Yaacov et sa femme n’auraient fait qu’adapter au monde contemporain une méthode traditionnelle.
Mais l’anthropologue Pierre-Yves Wauthier – qui consacre au SpeedDating un ouvrage passionnant, Mon partenaire en un éclair – émet de sérieux doutes sur le succès réel du concept : combien de personnes sont réellement concernées ? Et parmi celles qui sautent le pas, combien sont réellement célibataires ou désireuses de trouver l’amour ?
Sur des millions de célibataires… quel pourcentage de speed dateurs ?
Méthodique, Pierre-Yves Wauthier procède par étapes. Pour enquêter, il fait 6 expériences en tant que participant lambda, 7 en tant que «stewart» (membre du staff), 2 en tant qu’observateur. Parallèlement, il rencontre et interroge plus d’une dizaine de speed dateurs, plus ou moins expérimentés, avec lesquels il reste en contact plusieurs années de suite. Ses conclusions sont sans appel : «Bien que mondialement célèbre, le speed dating reste une pratique relativement marginale.
Comparé aux centaines de milliers d’utilisateurs de sites de rencontre en ligne ou aux millions de personnes qui pourraient se sentir concernées par la quête d’un partenaire, le speed dating touche peu de personnes.» Le succès de la méthode est donc avant tout médiatique. Tout le monde la connaît. Tous les journaux en ont parlé.
Malgré un taux de participation très bas, cette méthode «captive les esprits.» Pourquoi ? Parce que les gens trichent, répond Wauthier.
Les speeds dateurs aiment parler boulot. Quid du sexe ?
Cette méthode repose en effet sur 10 règles qui sont rarement respectées par les organisateurs de «rencontres rapides». La première règle est la suivante : «Interdiction de demander où habite la personne rencontrée ni quelle est sa profession».
N’étant autorisés à demander ni «Que fais-tu dans la vie ?», ni «Où habites-tu ?», les participants sont censés aller au cœur du sujet. Il s’agit d’éviter la tendance spontanée à parler boulot et de s’intéresser à l’autre, au-delà de ses raisons sociales.
Mais cette règle, qui est la règle numéro 1, personne n’en tient compte lors des soirées. Pourquoi ? Pierre-Yves Wauthier note que la plupart des speed dateurs qu’il rencontre (en Belgique) «osent rarement les questions directes et personnelles.»
Certains organisateurs interdisent même que les participants abordent des questions sexuelles. Trop intime. Dans la plupart des soirées organisées à travers le monde, les gens «font banalement connaissance» ou, pire, s’inventent des identités fictives pour se mettre en valeur.
Sommes-nous les papous de la méthode Deyo ?
«Dans l’esprit des Deyo, le SpeedDating est destiné à identifier un partenaire pour une union pérenne». Il s’agit de fonder un foyer, ce qui implique d’aller au cœur des choses lorsqu’on fait une rencontre. Dans la réalité, les speed dateurs ne veulent pas forcément se marier.
Certains même le sont déjà et se font passer pour célibataires parce qu’il s’agit avant tout d’une expérience amusante ou d’un exercice de séduction. Lorsque Pierre-Yves Wauthier découvre à quel point la méthode mise au point par le couple Deyo a été trahie et détournée de son sens original, il s’interroge : n’est-ce pas la raison même de son succès médiatique ?
Si ce n’est pas l’éthique judaïque qui la porte, «quelle force essaime le phénomène à travers les grandes villes du monde ?». Citant Claude Lévi-Strauss (La Pensée sauvage), il parle de ces papous qui, en Nouvelle-Guinée, ont réinventé le football pour l’adapter à leurs besoins.
SpeedDating version yaourt allégé
Chez les Gahuku-Gama, «les règles du football sont identiques aux nôtres à l’exception près que le match dure suffisamment longtemps [plusieurs jours, au besoin] pour que les deux équipes terminent à égalité.»
En Europe, les règles du SpeedDating ont elles aussi été changées. «Faut-il comprendre que, dans les sociétés à speed dating, les gens auraient plus envie de «passer une soirée agréable» ou «un moment de séduction» que de «trouver l’âme sœur?».
Wauthier insiste sur le fait que les médias ont rarement fait écho «à la pleine dimension du concept de Yaccov Deyo». Voilà pourquoi le SpeedDating s’est répandu sous cette forme «allégée», dit-il.
A force de mettre l’emphase sur les côtés sympathiques, attrayants et pratiques du concept original, ils ont fini par en faire une méthode fantasmatique pour draguer-malin. Et des petites entreprises commerciales cherchant à produire du bénéfice ont emboîté le pas aux médias en annonçant des soirées où l’on pourrait rencontrer non plus 7 personnes en 7 minutes, mais 8, 10, 20 personnes en une soirée, au rythme parfois stakhanoviste d’une inconnue toutes les trois minutes. Pourquoi se limiter au chiffre sacré ?
Source Liberation