« Hillary Clinton sera élue présidente des États-Unis par défaut, », estime l’expert en politique américaine. Je me suis entretenu avec notre collaborateur spécial, Guy Milliere. Selon ce dernier, ce qui retient l’attention dans les courses aux investitures démocrate et républicaine est la popularité des candidats anti-establishment : Bernie Sanders et Donald Trump. Par contre, M. Milliere estime qu’ils ont très peu de chance d’accéder à la Maison-Blanche...
Q : Depuis quelques semaines, Donald Trump a fait des déclarations controversées sur les femmes, les musulmans et l’immigration clandestine. Il demeure en tête dans la course à l’investiture du GOP. Comment expliquez-vous cela?
R : Nombre des déclarations controversées reprochées à Donald Trump ont été montées en épingle de façon caricaturale aux fins de lui faire dire ce qu’il n’a pas dit. Il a tenu des propos outranciers concernant une femme, gauchiste, qui l’avait insulté : ce n’était pas élégant de sa part, mais ce n’était pas une attaque contre les femmes en général.
Il a eu une controverse avec la journaliste Megyn Kelly de Fox News : c’était une controverse avec une femme, pas avec toutes les femmes. Pour ce qui concerne les musulmans, il a effectivement dit qu’il fallait suspendre l’entrée aux États Unis de tous les musulmans jusqu’à ce que des contrôles plus précis puissent être mis en place : c’était excessif, mais il a tenu ces propos au moment où Barack Obama voulait faire entrer sans contrôle des milliers de réfugiés venus du Proche-Orient.
Nombre d’Américains pensent que, quand bien même seule une minorité de musulmans glissent vers le djihad, le fait que, par définition, tous les djhadistes sont musulmans, devrait impliquer des contrôles plus stricts concernant les musulmans.
Il en va de même pour l’immigration clandestine : oui les immigrants clandestins ne sont pas criminels, mais une nette proportion d’entre eux se livrent à des activités criminelles, et nombre d’Américains voudraient des contrôles plus stricts concernant les immigrants clandestins. Certaines femmes ont pu se sentir blessées par les propos de Trump adressés à Rosie O’Donnell ou à Megyn Kelly.
Nombre de femmes n’en ont pas tiré de généralisations. Les musulmans et les immigrants clandestins aux États Unis ont pu se sentir blessés par les propos de Trump : les musulmans sont une petite minorité aux États Unis, les immigrants clandestins ne votent pas. Nombre d’immigrants clandestins étant hispaniques, les hispaniques ont pu se sentir blessés par Trump. Il risque d’avoir un déficit de voix de ce côté là.
Ce déficit est compensé par un soutien fort de la classe moyenne, des employés, des ouvriers, des petits patrons, qui se reconnaissent dans le discours de Trump, et pensent que Trump ose dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas.
Q : Selon vous, est-ce que Donald Trump va remporter l’investiture du Parti républicain?
R : Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. On en saura davantage après les votes en Iowa et dans le New Hampshire. Si Trump l’emporte dans ces deux États, il deviendra très difficile à arrêter, et il peut l’emporter dans ces deux États. Si Cruz gagne en Iowa et si Trump gagne dans le New Hampshire, Cruz gardera une chance de rester dans la course. La situation va devenir, en tout cas, très difficile pour plusieurs candidats après les élections primaires dans le New Hampshire.
Devraient rester dans la course outre Trump et Cruz, Marco Rubio, John Kasich et Jeb Bush. C’est tout. Seuls Trump et Cruz paraissent avoir désormais de réelles chances.
C’est un désaveu cinglant pour l’establishment républicain : Trump et Cruz incarnent tout ce que l’establishment républicain déteste. Je constate, cela dit, que nombre de gens de l’establishment républicain se résignent peu à peu à l’idée d’une possible candidature Trump.
Entre Cruz et Trump, ils choisiront, plutôt, Trump, s’ils ont à se prononcer. Cruz les a dénoncés publiquement dans l’enceinte du Sénat, et ils lui en veulent beaucoup.
Q : Bernie Sanders mène dans les sondages en Iowa et au New Hampshire. Comment expliquez-vous les difficultés d’Hillary Clinton dans cette course à l’investiture démocrate?
R : Bernie Sanders, socialiste avoué, est là parce que la longue marche de la gauche dans les institutions, la culture et les médias aux États Unis a produit ses effets.
Un socialiste il y a vingt ans n’aurait eu aucune chance aux États Unis et ses positions sont si extrêmes qu’il ruinerait les États Unis en quelques mois. Bernie Sanders est là, aussi, parce que le rejet de l’establishment est aussi fort chez les démocrates que chez les républicains.
Les démocrates ne veulent pas d’Hillary Clinton et ne voteraient pour elle que pour faire barrage à un républicain. Une majorité d’entre eux la considèrent comme menteuse et corrompue, et ils n’ont pas tort. Qu’ils envisagent quand même de voter pour une femme qu’ils estiment menteuse et corrompue en dit long sur un délitement moral dans une frange des États Unis.
Au vu de l’affaire Benghazi, ravivée par la sortie du film « Treize heures » de Michael Bay, et au vu des dossiers accumulés par le FBI concernant la divulgations d’éléments classés « secret défense » par les e-mails envoyés depuis un serveur non protégé par Hillary Clinton, celle-ci devrait être en prison. Obama peut la faire envoyer en prison à chaque instant : il ne le fait pas, car il abuse de ses pouvoirs et fait pression sur la justice pour que ce ne soit pas le cas.
Il se conduit comme le président d’une république bananière, pas comme le président d’un pays régi par la constitution des États Unis.
Q : Si jamais Trump remporte l’investiture républicaine, croyez-vous qu’il aurait une chance de battre Mme Clinton et devenir le 45e président américain en novembre prochain?
R : La situation d’ensemble est inédite à tous points de vue. Si Trump est le candidat, ce sera contre la volonté de ceux qui tiennent le parti républicain, et pour certains, mieux vaudrait l’élection d’Hillary Clinton, car l’élection de Trump impliquerait une révolution chez les républicains. Trump ne pourrait gagner, s’il est le candidat, que par un immense élan populaire de rejet de tout ce qu’incarne Washington : ce n’est pas impossible, mais ce sera très difficile. Si Hillary Clinton est la candidate démocrate et évite la prison, ce sera l’élection d’une femme dont chacun sait qu’elle est menteuse et corrompue, à vendre et déjà achetée.
Elle sera élue par rejet de son opposant, pas par adhésion à ce qu’elle est et à son programme. Si Trump est élu, la tâche qui l’attendra sera gigantesque, et il fera face d’emblée à une hostilité vive de la gauche américaine et de nombre de dirigeants du monde. Il héritera d’une situation catastrophique. Si Hillary Clinton est élue, elle parachèvera le désastre Obama, terrible situation d’ensemble.
Q : Le mois dernier, les dirigeants du régime saoudien ont exécuté un leader chiite (un opposant du régime). L’Iran a farouchement dénoncé ce geste. Est-ce qu’une guerre pourrait éclater entre les deux pays?
R : L’opposant exécuté était un agitateur chiite dont le but était de faire tomber le régime saoudien : il avait des liens avec l’Iran. Il est logique que l’Arabie saoudite ait fait un geste fort en un moment où la volonté de l’Iran de déstabiliser le régime saoudien s’accentue.
Je ne pense pas qu’une guerre directe Iran-Arabie saoudite aura lieu, car cela deviendrait vite une guerre régionale, voire davantage. Mais l’Iran et l’Arabie saoudite sont déjà en guerre, par pays ou mouvements interposés. Le renversement de Moubarak et son remplacement par Mohamed Morsi ont affaibli l’Arabie saoudite, puissance du statu quo sunnite : quand Morsi et les Frères musulmans se sont rapprochés de l’Iran, les Saoud ont financé l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al Sissi.
L’Iran a contribué au soulèvement qui a chassé Ali Abdallah Saleh au Yemen, et les Saoud y ont vu une tentative de cerner l’Arabie saoudite et de s’emparer du Bab El Mandeb, ils ont financé al Qaida au Yemen. L’Iran a financé les milices Houthi pour qu’elles prennent le pouvoir à Sanaa. La guerre dure toujours. En Syrie, pour affaiblir l’Iran, les Saoud ont aussi soutenu al Qaida, y compris au début, la faction devenue ISIS, aux fins de renverser Assad. Celui-ci est resté appuyé par l’Iran et la Russie, alliée de l’Iran.
L’Iran veut s’assurer une hégémonie régionale et avance dans cette direction grâce à l’appui de la Russie et de l’administration Obama. Son objectif est de tenir, outre le Bab El Mandeb, le détroit d’Ormuz, et de faire tomber le régime des Saoud.
Celui-ci ne peut pas compter sur les États Unis d’Obama, qui appuient l’autre camp, ne peut guère compter sur l’Europe, qui veut des contrats avec l’Iran, et compte sur la Russie pour infléchir les positions iraniennes. Les Saoud, en ces circonstances, se rapprochent d’Israël et soutiennent en Syrie des factions qui combattent ISIS, devenu État islamique, et qui combattent aussi le régime Assad : principalement le Front al Nosra.
L’Arabie saoudite vient de faire savoir qu’elle comptait sur l’arme atomique pakistanaise, qu’elle a financé. Le chaos au Proche-Orient va continuer. Aucune des parties en présence n’a intérêt à un affrontement direct Iran-Arabie saoudite : il est possible, mais peu probable. En cas de guerre, d’autres pays, déjà partiellement impliqués, le seraient davantage : l’Irak chiite, qui, grâce au retrait des troupes américaines décidé par Obama est devenu un protectorat iranien, et a une frontière commune avec le Koweit, allié des Saoud, la Turquie islamiste d’Erdogan qui soutient l’État islamique et le renversement d’Assad et est lié aux Saoud, qui ont incité Erdogan à se rapprocher d’Israël.
Le gouvernement israélien ferait tout pour rester en retrait, mais ne pourrait pas assister sans rien dire à la chute des Saoud et des pétromonarchies du Golfe.
Source Prince Arthur Herald