mardi 18 février 2014

Ida Tak

 
 
Avec Ida, son premier film tourné en Pologne, Pawel Pawlikowski, de retour dans son pays natal après 40 ans d’exil, a réalisé une œuvre unique et bouleversante, d’un esthétisme rare dans le cinéma contemporain. L’histoire de cette jeune fille sur le point de prononcer ses voeux de nonne dans la Pologne communiste de 1962, et qui part à la découverte du passé de sa famille juive, laisse le spectateur en état de choc.




Un couvent polonais hors du temps, baigné d’un clair-obscur cotonneux, ouvre le film de Pawlikowski. Ida, orpheline et jeune novice, s’y prépare à prononcer ses vœux, mais la mère supérieure exige qu’elle aille rencontrer le seul membre de sa famille encore en vie, une tante qu’elle n’a jamais vue et qui a refusé de la retrouver. La jeune fille débarque chez Wanda, la sœur de sa mère, qui lui apprend qu’elle est juive, et que ses parents sont morts pendant la guerre. Ida veut voir leur tombe, la tante cède et les deux femmes partent dans cette quête éprouvante.


Habité par deux actrices extraordinaires, Agata Kulesza, dans le rôle de Wanda, comédienne de théâtre réputée en Pologne, et Agata Trzebuchowska, lumineuse Ida, le film déroule une suite d’images en noir et blanc somptueuses, magnifiées par le format carré du cadre. Un esthétisme presque forcené pour cette histoire à la fois glaçante, comme l’est l’antisémitisme polonais viscéral, et d’une beauté inouïe, comme son héroïne Ida. Dans une passionnante interview accordée à Télérama, le réalisateur confie que ses images lui rappellent un peu les photos noir et blanc de son album de famille, son père juif et sa grand-mère disparue à Auschwitz. S’il souligne qu’il lui aurait fallu « écrire un énorme livre pour expliquer les rapports des Polonais avec les Juifs », il explique que les personnages de son film sont « contradictoires, délicats » et « pas là pour illustrer un discours », ajoutant que celui d’Ida fait malgré tout entendre un message : « Je voulais détacher la foi de sa dimension tribale, qui est très présente chez les nationalistes aujourd’hui. Pour eux, l’identité polonaise, c’est l’identité polonaise catholique. Mon film dit qu’on peut être aussi polonais et juif. »
 

On ne peut qu’être fasciné par ce tableau de la Pologne du début des années 60, encore engoncée dans une chape de plomb stalinienne sous le régime de Gomulka, et illustrée par le personnage de « Wanda la rouge », juge impitoyable dont la première apparition crée toute l’ambigüité du personnage, inspiré de la sulfureuse Helena Wolinska-Brus. Résistante juive polonaise, cette dernière jouera ensuite un rôle éminent dans l’appareil d’État communiste, procureur envoyant à la torture et à la mort les opposants du régime, parmi lesquels des membres de la Zegota, le mouvement clandestin d’aide aux Juifs qui opéra en Pologne entre 1942 et 1945.


La sublime Wanda, belle quarantenaire alcoolique (on n’ose citer ici la célèbre tirade d’Audiard « J’ai connu une polonaise qu’en prenait au p’tit déjeuner »…), pourrait illustrer la désespérance du pays, accentuée par la grisaille absolue de certains lieux et habitations, brossant le tableau d’une Pologne totalement glauque. Mais c’est le personnage d’Ida, saisissante de beauté et de spiritualité, qui marque le contraste de cette Pologne en noir et blanc, entre ombre et lumière. Comme une volute de la cigarette que fume l’héroïne, comme la mélodie envoûtante du Naima de John Coltrane, qui hante ce film couleur de cendres.

Trailer :


Source JewPop