Nous sommes dans le «Vieux Gesher», petit parc adjacent au kibboutz du même nom, dont l’emplacement a varié de quelques centaines de mètres quand le Jourdain est passé de rivière sacrée à frontière minée au mitan du XXe siècle.
«Les ânes allaient plus vite»
La zone est aujourd’hui une sorte de musée militarisé en plein air. Un pont en basalte où trônent deux wagons de fret enjambe le célèbre cours d’eau. Sur l’autre rive, un trait de poussière : deux Jordaniens à mobylette. «A une époque, le train passait deux fois par jour. D’ici, on pouvait aller jusqu’à Deraa, en Syrie…» raconte Nadav, notre guide.
«A une époque». Celle du Proche-Orient des Empires (ottoman puis britannique), où l’on construisait des rails et non des murs. On dessinait alors des frontières sans se soucier qu’elles deviennent un jour hermétiques. Et sans se douter que les gares provinciales comme Deraa seraient l’épicentre de révolutions tournant au cauchemar.
Souvenirs d’un orient plus vaste au temps de la Palestine mandataire, où, si l’on s’armait de patience («On raconte que les ânes allaient plus vite !», s’esclaffe Nadav), on pouvait aller de Tel-Aviv à Gaza.
Ou, comme ici, de Haïfa à Damas.
Ce tronçon, connu en Israël sous le nom de «chemin de fer de la Vallée», a été inauguré en 1905 par le sultan ottoman d’alors, rattaché au tracé du «train des pèlerins» du Hedjaz, projet pharaonique conçu par un ingénieur allemand élevé au rang de pacha.
Devant relier Damas à La Mecque, les rails du seul train au monde sous le niveau de la mer (-247 mètres à Gesher) se sont arrêtés à Médine, s’étendant sur 1 300 kilomètres.
Rapidement, la ligne s’est trouvée au cœur des conflits. Lawrence d’Arabie l’attaque à plusieurs reprises durant la Première Guerre mondiale.
En 1948, dans les affrontements suivant la création d’Israël, les kibboutzniks de Gesher feront sauter le pont qu’on a sous les yeux pour contenir les armées arabes coalisées.
Il ne sera restauré qu’en 2014.
«Israël est aujourd’hui verrouillé»
Depuis des décennies, des rêveurs fantasment la résurrection du chemin de fer du Hedjaz. Dans les années 60, une hypothétique réouverture est stoppée net par la guerre des Six Jours.
En 2018, un ministre israélien imagine que dans le cadre d’une «normalisation» avec les Saoudiens, la ligne Haïfa-Riyad pourrait devenir réalité…
Shlomo Maayan a des ambitions plus modestes.
Ce médecin septuagénaire se bat depuis dix ans pour faire revivre quatre kilomètres de cette voie étroite, au sud du lac de Tibériade.
Il a déjà retrouvé une locomotive allemande d’époque dans le Péloponnèse, et levé des fonds pour la faire restaurer en Roumanie, «les seuls à savoir réparer ces machines». Il veut en faire un musée roulant.
«Il est loin le temps où l’on pouvait aller partout dans cette région. Israël est aujourd'hui un pays verrouillé.»
Une île, que l’on quitte le plus souvent en avion low-cost. «Peut-être qu’un jour, qui sait, avec une solution politique, les rails reprendront vie», conclut Maayan, sans trop y croire.
D’ici là, va pour quelques kilomètres de nostalgie à vapeur.
Source Liberation
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