Il fut le dernier pharaon. Hosni Moubarak est mort mardi 25 février à l’âge de 91 ans à l’hôpital militaire Galaa au Caire, a indiqué à l’AFP son beau-frère le général Mounir Thabet.
Hosni Moubarak était un raïs déchu, chassé du pouvoir par les foules de la place Tahrir, lâché par l’armée dont il était issu, condamné à l’issue d’un procès infamant à la prison à perpétuité pour sa responsabilité dans l’assassinat de quelque 850 manifestants lors du soulèvement qui conduisit à sa chute, du 25 janvier au 11 février 2011.
Depuis sa condamnation à la prison à perpétuité, le 2 juin 2012, entre les deux tours de la première élection présidentielle libre de l’histoire de l’Egypte, et son incarcération dans l’aile médicalisée de la prison de Tora, à 84 ans, Hosni Moubarak avait multiplié les accidents cardio-vasculaires. Comme s’il n’avait pas supporté la perspective de finir ses jours derrière les barreaux et de voir sa succession réglée de son vivant.
Contrairement à ses deux prestigieux prédécesseurs, Gamal Abdel Nasser et Anouar El-Sadate, Hosni Moubarak n’est pas mort au pouvoir. Mais il a régné bien plus longtemps qu’eux.
Il n’en revenait pas, lui, le pharaon de transition, qui se présentait volontiers en père débonnaire de la nation, d’avoir dû assister à son propre procès, allongé sur un brancard dans la cage des accusés, les yeux cachés par des lunettes de soleil. Jusqu’au bout, il a nié ses responsabilités.
Il n’a sans doute pas mesuré combien son pays avait changé durant ses trois décennies de règne.
Chez cet homme adepte du juste milieu, la prudence s’est muée en raideur, la sagesse en entêtement, la lenteur en immobilisme.
Un héros de la guerre de 1973 contre Israël
Lorsqu’il hérite du pouvoir, en octobre 1981, l’Egypte est au bord du gouffre. Anouar El-Sadate, qui l’avait nommé vice-président en 1975 en raison de son aura de héros de la guerre d’octobre 1973 contre Israël à la tête des forces aériennes, mais surtout pour sa loyauté et son effacement, avait engagé l’Egypte dans un tête-à-queue dangereux.
Visionnaire, mégalomaniaque, disent ses détracteurs, Sadate avait en une décennie rompu avec l’URSS pour se tourner vers Washington, décrété l’ouverture (infitah) d’un système économique collectiviste et bureaucratique, et surtout fait la paix avec Israël, l’ennemi de toujours.
Le 6 octobre 1981, Hosni Moubarak est légèrement blessé à la main dans l’attentat du Jihad islamique qui tue Sadate et plusieurs hauts responsables lors d’un défilé militaire.
Les tâches, relativement obscures, qu’il a effectuées jusque-là ne l’ont pas vraiment préparé à un exercice du pouvoir qui s’annonce délicat.
Plébiscité par le Parlement le 13 octobre, il promet de sévir contre les extrémistes islamistes et s’engage à respecter le traité de paix signé avec Israël en 1979.
Malgré l’état d’urgence, qu’il ne lèvera jamais, la bonhomie souriante d’Hosni Moubarak et ses goûts modestes suscitent initialement la sympathie des Egyptiens, qui le surnomment « la Vache qui rit ».
Son autre surnom, « Hosni Kabari » (« Hosni les Ponts »), témoigne de son ardeur à doter Le Caire, la tentaculaire capitale du pays, d’auto-ponts et d’infrastructures.
Il n’a ni le charisme de Nasser ni la vision géopolitique de Sadate, mais l’Egypte a besoin de souffler. Et les dirigeants occidentaux apprécient cet homme aux manières simples et à la blague facile.
Issu de la classe moyenne provinciale conservatrice
Né le 4 mai 1928 dans le village de Kafr Al-Mousalha dans le gouvernorat de Menoufia, Hosni Moubarak est un fils de la classe moyenne provinciale, conservatrice et travailleuse.
Son père est un petit fonctionnaire du ministère de la justice. En 1947, il entre à l’Académie militaire, puis deux ans plus tard à l’Académie de l’air, où il deviendra instructeur au bout de trois ans.
Suivent deux stages en Union soviétique, puis le commandement de plusieurs bases aériennes avec le grade de colonel, et enfin la direction de l’Académie de l’air, avant la promotion, en 1969, au grade de chef d’état-major de l’armée de l’air.
Avant de devenir vice-président, en 1975, il occupe les fonctions de vice-ministre de la guerre puis de commandant de l’armée de l’air.
Dès son arrivée au pouvoir, il fait condamner à mort les assassins de Sadate et envoie en prison une bonne partie de leurs mentors et acolytes.
A leur sortie, ils sont expédiés en Afghanistan pour y mener la guerre sainte contre l’envahisseur soviétique.
En contrepartie, il fait d’importantes concessions à ceux ayant abjuré la violence, à commencer par les Frères musulmans, qui ont toute latitude pour islamiser la société dans l’éducation, la culture et les médias.
Autre legs problématique de Sadate, le traité de paix avec Israël, qui n’a pas tenu ses promesses concernant les retombées économiques et a valu à l’Egypte d’être mise au ban de la Ligue arabe.
Hosni Moubarak va patiemment chercher à réintégrer le giron arabe, sans dénoncer une paix qui, après tout, vaut à l’Egypte une aide américaine annuelle de 2,1 milliards de dollars (dont 1,3 milliard d’aide militaire) et lui permet de récupérer le Sinaï en 1982.
Il se réconcilie avec le monde arabe en 1990
Les gages donnés aux Arabes – accueil de Yasser Arafat après son expulsion du Liban en 1983, soutien de l’Irak lors de sa guerre contre l’Iran (1980-1988), rapprochement avec les monarchies du Golfe – permettent à l’Egypte de recouvrer son rang au sein de la Ligue arabe en 1989.
L’année suivante, Hosni Moubarak achève de rentabiliser sa politique d’équilibriste : en dénonçant l’invasion du Koweït par l’Irak, il se réconcilie définitivement avec le monde arabe et décroche 13 milliards de dollars de remise de dette, ainsi que l’effacement de la moitié de ses créances par le Club de Paris.
Parallèlement, Hosni Moubarak entretient une paix froide avec Israël, où il ne s’est rendu qu’une seule fois pour les obsèques de l’ancien premier ministre Yitzhak Rabin en 1995.
Mais avec les premiers hoquets du processus de paix israélo-palestinien, la position médiane de l’Egypte devient un atout qu’Hosni Moubarak usera jusqu’à la corde. Il joue volontiers les intermédiaires entre Israël et les Palestiniens, avec la bénédiction des Américains, et se fait fort d’aplanir les divergences inter-palestiniennes.
Cette diplomatie des sommets, pas toujours très efficace, lui vaut l’hommage des Occidentaux et les encouragements d’une administration américaine qui s’est progressivement départie du rôle actif de parrain neutre d’un processus de paix moribond.
De l’Intifada de 2000 à la guerre contre Gaza en 2008-2009, elle suscite l’irritation croissante des Egyptiens, qui n’ont pas avalé la pilule du traité de paix séparé avec Israël et attendent de leur président une solidarité plus affichée avec les Palestiniens.
L’alliance stratégique avec Washington pâtit également de l’invasion de l’Irak en 2003.
Répression violente contre les extrémistes islamistes
Sur un plan intérieur, la confrontation avec les extrémistes islamistes, de retour d’Afghanistan, reprend de plus belle dans les années 1990.
La vague de violence, qui culmine avec l’attentat manqué de peu contre Hosni Moubarak à Addis-Abeba en 1995 et la tuerie de Louxor en 1997, est désastreuse pour une économie reposant sur le tourisme.
Moubarak réussit à en venir à bout au prix d’une répression et de violations massives des droits de l’homme.
Mais, dès 2004, l’Egypte est à nouveau la cible d’attentats terroristes de type Al-Qaida, justifiant une répression sans merci dans le Sinaï et le maintien de l’état d’urgence.
Faute de faire une place à une opposition libérale, seule capable de faire idéologiquement contrepoids à l’islamisme, Hosni Moubarak ne réussit pas à freiner l’islamisation rampante de la société, au profit notamment des Frères musulmans, qui réussissent, fin 2005, à décrocher 88 sièges de députés, à la faveur d’une ouverture politique limitée, exigée par l’administration Bush, porteuse d’un projet de démocratisation du Proche-Orient.
Elle a rapidement révélé ses limites, les lois justifiant les abus de pouvoir, tant en matière de justice, de presse que de libertés publiques, ayant été maintenues, tout comme l’état d’urgence, qui donne tous les pouvoirs à un appareil policier hypertrophié et tout-puissant.
Sourd au ras-le-bol de la jeunesse et de la société civile, qui s’exprime à travers des mouvements comme Kefaya (« Ça suffit ! »), Hosni Moubarak devient l’otage de l’entourage de son fils cadet, Gamal.
Celui-ci, poussé par sa mère, Suzanne, se prépare à la succession et verrouille le champ politique, au grand dam de l’armée, traditionnel pilier du régime depuis 1952.
Une cour s’est installée autour de cet homme aux cheveux éternellement noirs et dont on ne sait au final pas grand-chose, mis à part son aversion pour le changement.
L’enrichissement d’une petite classe d’affairistes, regroupée autour de Gamal Moubarak, choque dans un pays où le plus grand nombre ne profite pas de la croissance.
Ni les grands travaux (comme l’oasis artificielle de Toshka), ni le tourisme en pleine expansion, ni les découvertes de gaz naturel et un libéralisme en trompe-l’œil n’absorbent le million de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
C’est cette jeunesse, rompue aux réseaux sociaux et à l’Internet, qui prendra d’assaut la place Tahrir le 25 janvier 2011, conduisant au départ d’Hosni Moubarak, dix-huit jours et plusieurs centaines de morts plus tard.
Depuis sa condamnation, la justice égyptienne a ordonné sa remise en liberté conditionnelle en août 2013, tout en lui interdisant de quitter le territoire.
Il a finalement été acquitté pour les accusations de meurtres de manifestants le 2 mars 2017 et libéré le 24 mars.
Hosni Moubarak en quelques dates
4 mai 1928 Naissance à Kafr Al-Mousalha
1947 Entre à l’Académie militaire
1969 Chef d’état-major de l’armée de l’air
1972 Ministre des affaires militaires
1975 Nommé vice-président par Anouar el-Sadate
14 octobre 1981 Elu président de la République lors d’un scrutin anticipé à la suite de l’assassinat de Sadate
1995 Echappe à une tentative d’assassinat à Addis-Abeba
2 juin 2012 Condamnation à la prison à perpétuité à la suite de la mort de manifestants sur la place Tahrir
2 mars 2017 Acquitté pour les accusations de meurtres de manifestants de 2011.
24 mars 2017 Libéré
25 février 2020 Mort
Source Le Monde
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