Cette prophétie de Bileam situe la destinée d'Amalek et c'est dans notre paracha que son origine nous est dévoilée. En effet, la fin de notre paracha décrit en détail la descendance d'Essav. Et après avoir cité les noms des fils (Elifaz et Reouel), qu'il eut avec ses deux premières femmes, ainsi que les noms des premiers fils d'Elifaz, la Thora ajoute :
« Timna devint concubine d'Elifaz, fils d'Essav, elle lui enfanta Amalek » (Genèse 36 ; 12).
Rachi, citant le Talmud (Sanhédrin 99b) et le Midrach (Berechit Rabba 82 ; 14), explique :
« La Thora précise le nom de la mère d'Amalek (précision qu'elle n'a pas donnée pour les autres fils d'Elifaz), et son statut de concubine pour mettre en relief la réputation extraordinaire dont jouissait Abraham auprès des nations : épouser l'un de ses descendants était une chose recherchée de tous.
« Timna était une princesse : « Et la sur de Lotan, Timna. » (Genèse 36 ; 22). Il faut savoir que Lotan est cité parmi les chefs de tribus de Seïr.
« Cette femme de haut rang voulut se convertir et vint se présenter devant Abraham, Isaac et Yaakov, qui la repoussèrent tous. C'est alors qu'elle chercha à devenir au moins l'épouse d'Elifaz, fils d'Essav, descendant direct d'Abraham, même s'il ne suivait pas du tout la voie tracée par ses ancêtres.
« Devant son refus, elle lui dit : « Si je n'ai pas le mérite de devenir ton épouse, prends-moi au moins comme concubine. »
« Le Talmud conclut ce passage en disant : « Timna a dit : ?Je préfère être une servante dans de cette nation plutôt que d'être une princesse dans une autre.'
« Pourtant, de cette union naquit Amalek, qui fera souffrir le peuple juif tout au long de son histoire. Pourquoi ? La raison en est que les patriarches n'auraient pas dû repousser Timna. »
Les grands Kabbalistes, comme Rabbi 'Haïm Vital (élève du Ari zal) et Rabbi Zadoc Hacohen, disent de ce verset qu'il est l'un de ceux où sont cachés les secrets les plus subtils de la création (Chaar Maamaré Hazal ; Avoth 6-1).
A travers les écrits de nos maîtres, nous allons tenter de découvrir ne fusse qu'un avant-goût des intentions de la Thora qui sont à notre portée.
Au sommet de sa gloire
Une première question se pose, et elle est de taille : comment est-il possible qu'Abraham, dont la vocation, tout au long de sa vie, fut de propager le message divin et de rapprocher les hommes de D.ieu, refuse la demande de Timna, qui voulait se lier au peuple juif de sa propre initiative, prête pour cela à descendre dans l'échelle sociale ?
Plusieurs réponses sont proposées par les commentateurs du Talmud.
D'après Rabbi Yaakov Emdine (dit le Yaavets, XVIIIème siècle), la volonté de conversion de Timna était liée à son projet de mariage avec l'un des descendants d'Abraham. Or, la règle dans ce domaine, est de ne pas accepter la conversion de celui qui la demande dans un but intéressé.
C'est pour cette même raison, comme le précise le Talmud (Yébamoth 24b) qu'aucune conversion n'a été acceptée à l'époque de David et de Salomon. En effet, durant cette période, le peuple juif était au sommet de sa gloire, et la volonté de s'y intégrer ne provenait probablement pas d'une découverte de la Vérité.
Le commentaire du Rif sur le Ein yaakov propose une autre interprétation : « Timna était issue d'une union interdite (cf. Rachi ad hoc) ce qui empêchait sa conversion. »
D'après ces différentes explications, Abraham, Isaac et Yaacov ont, a priori, parfaitement bien agit en refusant la conversion de Timna.
Pourquoi le Talmud les accuse donc, leur faisant porter la responsabilité de la descendance terrible de Timna, et des conséquences éternelles que subira le peuple juif jusqu'à la fin des temps ?
Le Sabba de Slobodka (Or Hatsafoun volume 1 p.203) et le Rav Haïm Chmoulevitz (Sihoth Moussar p.103), proposent, chacun dans son style, une autre optique pour éluder cette question :
« Si Abraham a repoussé Timna, c'est pour des raisons intrinsèquement liées à la personnalité de cette dernière. Et c'est sans aucun doute inspiré par le roua'h hakodech, l'esprit divin, qu'il a perçu en elle les mêmes traits de caractère que ceux qui définiraient sa descendance, à savoir Amalek.
« Abraham n'ignorait pas non plus le fait qu'on accepte la conversion des membres de toutes les nations mais pas celle des descendants d'Amalek (Yalkouth Chimoni Samuel II) »
D'après le Sabba de Slobodka, la Thora nous dévoile ici que, malgré le roua'h hakodech, et malgré les apparences, il était du devoir d'Abraham d'accepter les tentatives d'approche de Timna, puisqu'elle est venue d'elle-même solliciter le rattachement au peuple juif.
Abraham, dont la vertu fondamentale était celle du ?Hessed (bonté) n'aurait pas dû refuser de l'appliquer, même dans ce cas.
Le fait de la repousser va entraîner des conséquences dramatiques pour le peuple juif. Car ne pouvant se rattacher à celui-ci, Timna va se lier avec Elifaz, descendant des patriarches, mais n'appartenant pas au peuple élu, donnant naissance à Amalek.
On le comprend, la loi interdisant de convertir les descendants d'Amalek ne concernait pas Timna, qui est leur ascendante.
Spiritualité glacée
Rabbi 'Haïm Shmoulevitz ajoute un nouvel élément.
Lorsque la Thora explique les raisons pour lesquelles Amalek doit disparaître, il est dit : « Souviens-toi de ce que t'as fait Amalek, lors de ton voyage au sortir de l'Egypte comme il t'a surpris chemin faisant, il s'est jeté par derrière sur ceux qui étaient à la fin du groupe. » (Deutéronome 25- 17 ; 18).
Acher Kareha est traduit par : il t'a surpris.
Rachi (ad hoc) donne une deuxième explication à cette expression. Il voit dans kareha la racine kor, froid. Il faut comprendre alors : il t'a refroidi alors que tu étais brûlant d'enthousiasme et que toutes les nations craignaient ce peuple, et son D.ieu, qui s'était dévoilé de façon aussi éclatante.
Ce froid, que nos maîtres considèrent comme la caractéristique d'Amalek, est celui qui glace et renie toute spiritualité.
Abraham, même s'il a perçu les défauts majeurs de Timna, aurait dû lui permettre de se rapprocher du peuple juif et cela avec chaleur, comme il l'a fait pour tous ses autres disciples. Même s'il était persuadé (à juste titre) des tares profondes de Timna, il aurait dû dépasser son sentiment.
C'est justement cette légère froideur avec laquelle Abraham repoussa Timna, qui va être à l'origine de la création d'Amalek, dont l'essence même est la froideur pour tout se qui est divinité. Amalek qui sera l'ennemi de D.ieu et d'Israël.
La caractéristique essentielle d'Amalek est une froideur terrible pour tout ce qui représente la reconnaissance de D.ieu et du Bien.
Ironie du sort
Rabbi Yossef Zvi Salant, dans son ouvrage Beer Yossef, va encore plus loin.
Ce qui est reproché aux patriarches, Abraham, Isaac et Yaacov, c'est d'avoir mal compris le sens de ce qui leur a été dévoilé par le roua'h hakodech, l'esprit divin.
En effet, le refus des patriarches d'accepter la conversion de Timna avait été motivé par ce roua'h hakodech, dont ils étaient inspirés. Grâce à cet esprit divin, ils avaient perçu qu'Amalek serait issu de Timna. En cela, ils ne s'étaient pas trompés et ils ne voulaient pas accepter au sein du peuple juif celle qui serait à l'origine d'Amalek.
L'erreur était de n'avoir pas compris que l'esprit divin peut dévoiler seulement le résultat d'une situation, mais certainement pas le déroulement des événements, si toutefois ce dernier est lié aux actes des hommes.
Car si l'homme pouvait voir le déroulement des événements, cela contredirait le principe fondamental du libre-arbitre, dont jouissent tous les êtres humains.
Ironie du sort, c'est justement parce que Timna est repoussée qu'elle va devenir la concubine d'Elifaz et ainsi mettre au monde Amalek.
La décision d'Abraham de repousser Timna pour éviter la création d'Amalek, a justement été la cause de sa naissance !
Si Abraham avait pris sa décision en utilisant son libre-arbitre sans prendre en compte la perception que lui procurait l'esprit divin, le cours de l'histoire aurait été totalement bouleversé : il aurait accepté Timna au sein du peuple juif, et Amalek n'aurait pas vu le jour.
Car c'est le principe fondamental de la création du monde : les actions de l'homme ne sont déterminées par aucun élément extérieur. C'est l'homme, et lui seul, qui choisit son chemin.
Lorsque l'on cherche à prendre une décision, la seule considération doit être de découvrir la volonté de D.ieu. Et D.ieu veut que l'on accepte tous ceux qui cherchent à se rapprocher de Lui.
L'enseignement fondamental de ce texte reste qu'il est du devoir de chacun d'être chaleureux envers son entourage, et même envers ceux dont on a une mauvaise impression. Sauf bien sûr dans le cas où une personne risque de nous entraîner vers le mal ?
Source Chiourim
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