La paracha de cette semaine, Vayichla'h, se termine par la généalogie d’Essav. On y annonce la naissance d’Amalek, aïeul du peuple qui cherchera, de tout temps, à anéantir le Klal Israël. « Et Timna fut la concubine d’Élifaz, elle lui enfanta Amalek. » [1]. La guemara dans Sanhédrin nous informe des circonstances de ce terrible événement...
« Timna était une princesse, mais elle voulait se convertir. Elle alla chez Avraham, Its’hak et Yaacov [pour se convertir], mais ils ne l’acceptèrent pas. [2] Elle devint ensuite la concubine d’Élifaz, le fils d’Essav. Elle se dit qu’il valait mieux être servante chez ce noble peuple, plutôt qu’une femme importante au sein d’une autre nation. [Par conséquent] Amalek, qui causera de grandes souffrances au peuple juif, est son descendant.
Pourquoi [cet incident provoqua la naissance d’Amalek] ? Parce qu’ils [les Patriarches] n’auraient pas dû la repousser. » [3] Rachi explique le sens de cette guemara : ils auraient dû lui permettre de se convertir. [4]
Les Avot avaient suffisamment de bonnes raisons de s’opposer à cette conversion. Ils connaissaient la nature perverse de Timna. [5]
C’est pourquoi ils refusèrent de la laisser s’unir au peuple juif. Dans ce cas, pourquoi furent-ils punis si sévèrement ? Leur décision n’était-elle pas bonne ? Le rav ‘Haïm Chmoulewitz zatsal souligne qu’il ne faut jamais repousser totalement une personne, peu importe son niveau. [6]
Ceci, parce que tant qu’il reste un quelconque espoir que l’individu en question s’améliore, il est interdit de l’éconduire et de lui ôter ainsi toute chance de faire techouva. De toute évidence, Timna avait en elle un potentiel latent qui pouvait justifier sa conversion au judaïsme.
Ainsi, il est incorrect de renvoyer quelqu’un, s’il existe une possibilité de le rapprocher et de le sauver. Comment se comporter dans ce genre de cas délicats ? Le Or Ha’Haïm HaKadoch nous éclaire quant à la façon de s’occuper d’un enfant indiscipliné, dans son explication sur les bénédictions qu’Its’hak voulait donner à Essav plutôt qu’à Yaacov. Selon lui, Its’hak connaissait parfaitement le niveau spirituel d’Essav et il voulait néanmoins lui accorder les berakhot. Il écrit : « Its’hak voulut bénir Essav, le racha, parce qu’il pensait qu’en recevant les bénédictions, il (Essav) évoluerait positivement et améliorerait son comportement. Cela aurait pu être le cas. [7] »
Le Or Ha’Haïm n’explique pas comment le fait de bénir Essav aurait pu le transformer en quelqu’un de meilleur. Peut-être qu’Essav se serait senti encouragé et aurait vu que son père avait confiance en lui et en sa capacité à perpétuer l’héritage des Patriarches. Une telle marque de confiance aurait pu en soi être un catalyseur d’un changement chez Essav. Nous en déduisons que le fait d’encourager et de témoigner de la confiance à la personne rebelle joue un rôle clé dans le rétablissement de sa confiance en soi et dans sa capacité à se perfectionner.
Une histoire remarquable au sujet du rav Its’hak Hutner zatsal illustre cette idée.
Un des jeunes hommes étudiant dans sa yéchiva déployait beaucoup d’efforts dans l’étude. À cause d’un grand manque de confiance en soi, il entra dans une spirale descendante et son respect du judaïsme se trouva en grand danger. Le rav Hutner donnait un cours de guemara et ce ba’hour posa une question qui semblait assez simple. Le rav lui répondit comme s’il avait soulevé un problème extraordinaire et répéta cette question plusieurs fois durant le cours, avec beaucoup d’admiration dans la voix. Une telle adulation stimula énormément le jeune homme, qui cessa de dégringoler et dont la confiance, l’étude et la pratique des mitsvot en général connurent une transformation radicale. Ses proches décrivaient la réussite de rav Hutner comme une véritable « te’hiat hamétim » (résurrection des morts). [8]
En montrant à ce jeune homme qu’il était capable d’étudier, rav Hutner lui prodigua l’encouragement qui sauva son judaïsme.
Nous apprenons de l’incident avec Timna que le fait de rejeter quelqu’un et de le considérer comme un cas désespéré est très grave. Si ‘Hazal nous informent que Timna, qui donna naissance à Amalek, aurait pu mériter de rejoindre le Klal Israël, c’est qu’une personne qui essaie de parfaire son judaïsme mérite, a fortiori, de profiter de l’opportunité de s’améliorer. Le commentaire du Or Ha’Haïm dans parachat Toldoth nous enseigne également que le fait d’accorder sa confiance à autrui est une aide prodigieuse pour l’amélioration de son comportement.
Ces principes ne s’appliquent pas uniquement aux gens qui s’écartent du chemin de la Thora, mais aussi à notre manière d’éduquer nos enfants, de parler à nos élèves ou à notre entourage. La guemara dans Sota affirme qu’il faut repousser de la main gauche et rapprocher avec la main droite. La main droite est plus forte que la gauche ; la guemara nous enjoint donc de toujours donner la priorité à l’évolution positive plutôt qu’à la critique. Montrer aux autres le bien qui leur est propre est la manière la plus efficace d’en arriver à une amélioration.
Puissions-nous tous mériter de mettre en valeur le meilleur de nous-mêmes et des personnes qui nous entourent.
[1] Parachat Vayichla'h, Beréchit 36:12.
[2] Voir Ayéleth Hacha’har du rav Steinman chlita qui demande pourquoi cette guemara ne semble pas suivre l’ordre chronologique. Avraham mourut quand Essav avait quinze ans et Élifaz n’était pas encore né. Timna était la fille d’Élifaz. Comment Timna a-t-elle donc pu présenter une demande de conversion à Avraham ?! Toute réponse à cette question est la bienvenue.
[3] Sanhédrin 99 b.
[4] Rachi, ibid.
[5] Voir le Rif dans Iyoun Yaacov, Sanhédrin 99b, qui propose une autre explication sur la raison du refus des Avot. Il affirme qu’elle était mamzéreth et ils craignaient que personne ne veuille se marier avec elle du fait de son yi’houss (noble ascendance) douteux.
[6] Si’hot Moussar, Parachat Pin’has, maamar 85. Cette règle est valable, à l’exception du cas où la personne rebelle menace sérieusement le bien-être spirituel de son entourage. Ceci explique pourquoi Avraham bannit Ichmaël ; celui-ci risquait de nuire grandement à la spiritualité d’Its’hak Avinou. Dans le même ordre d’idées, on rapporte au nom du ‘Hazon Ich qu’un ba’hour yéchiva est comparable à un malade hospitalisé. Renvoyer un jeune homme d’une yéchiva est comparable à expulser un malade d’un hôpital ! L’exception qu’il tolère est le cas où le malade est contagieux et menace la santé des autres personnes. De la même manière, un ba’hour rebelle ne peut être renvoyé que si ses actions portent sérieusement préjudice aux autres ba’hourim.
[7] Or Ha’Haïm, Toldoth, 27:1.
[8] Histoire rapportée par mon rav, le rav Its’hak Berkovits qui l’a entendue d’un proche parent du jeune homme en question.
Rav Yehonathan GEFEN
Source Torah Box