dimanche 26 avril 2015

«Nano», le plus jeune résistant de France témoigne


Agent de liaison de la Résistance à tout juste neuf ans, franchissant la ligne de démarcation dans le moteur d'une locomotive électrique; enfant caché dans une France occupée, ballotté de famille en famille de Moissac au Puy-Sainte-Réparade; fils d'un survivant d'Auschwitz et orphelin de mère du même camp d'extermination, Jean-Raphaël Hirsch est pour le moins une exception, pour ne pas dire, un miraculé de la vie...Interview...


Tout dans le parcours de ce fils d'un radiologue d'origine roumaine, figure de la Résistance et cofondateur à son retour de déportation, du COSEM (l'ancêtre de la Sécurité sociale) aurait pu le conduire à ne jamais se remettre de cette expérience traumatique, à une période où la majorité des enfants sont encore dans les jupes de leur mère.
Des circonstances exceptionnelles dans une France alors coupée en deux qui ont détruit l'enfance de «Nano» et construit l'adulte qu'il est devenu.Suivant les pas de son père qu'il retrouve après la libération des camps, en mai 1945, le jeune Jean-Raphaël Hirsch, à tout juste douze ans, ne sera plus jamais le même.
Privé de sa mère, gazée à Auschwitz, vivant avec son père, rescapé de Birkenau et médecin sous les ordres du Dr Mengele, Jean-Raphaël doit réapprendre à vivre avec ce patriarche ne pesant plus que «42 kg, les yeux inorbités et cernés d'ombre». Sans famille pendant dix mois, l'adolescent qui gagna ses galons de plus jeune résistant de France sous le pseudo de Jean-Paul Pelous, doit réapprendre à devenir un adolescent comme les autres, et vivre avec le traumatisme d'un père qui a, un pied entre la vie et les millions de morts laissés à Auschwitz.
Ce n'est donc pas sans rapport si bien plus tard Jean-Raphaël Hirsch s'implique dans l'association des enfants cachés et du Yad Vashem France qui recherchent les «Justes» ayant sauvé des Juifs de la déportation.
C'est un itinéraire d'exception, une leçon sur la vie que «Djigo» (Sigsmund Hirsch) et son fils nous laissent dans cet ouvrage, un témoignage pour que leur histoire, fragment d'Histoire, ne soit pas un palimpseste…
Jean-Raphaël Hirsch : «Moissac est une ville de Justes oubliée»...Interview...
 
Pourquoi avoir attendu soixante-dix ans pour publier un ouvrage sur votre itinéraire d'enfant juif caché et celui de votre, père, résistant et rescapé d'Auschwitz ?
Vous n'êtes pas sans savoir que pendant des décennies, ces événements traumatiques de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation, ont été occultés de la mémoire collective. Dans le même temps, les historiens n'avaient pas accès à certaines archives ; le rôle de Vichy notamment et contrairement à ce que peut dire aujourd'hui Éric Zemmour dans son ouvrage (Le Suicide français, Albin-Michel, N.D.L.R.), a été une erreur, un régime de la Collaboration, et une horreur.

Mais quel a été l'élément déclencheur pour vous, pour passer à l'écriture ?
Tout simplement, un jour en me rendant au CDJC (centre de documentation juive contemporaine), j'ai eu envie de faire un livre sur ma vie, aidé des mémoires de mon père Sigsmund Hirsch, qui après avoir cofondé la «Sixième» (un réseau d'évasion et de camouflage créé entre Moissac et Auvillar qui a permis de sauver près de 900 enfants de la déportation, N.D.L.R.), a été arrêté par la Gestapo (en octobre 1943 dans le hameau de Saint-Michel près d'Auvillar), torturé à la prison St-Michel à Toulouse, déporté via Drancy à Auschwitz avec ma mère (Berthe, gazée à l'arrivée du convoi).

Les mémoires de votre père sont un fil conducteur dans votre livre… Comment avez-vous vécu, seul, avec lui après sa libération des camps d'extermination ?
Le témoignage de mon père est une chose essentielle dans cet opus, j'ai voulu qu'aux côtés de mon propre récit de vie, il dicte son expérience. C'est une équation particulière d'être à la fois un enfant caché, résistant et d'avoir un père lui aussi résistant et déporté. Il y a eu comme le dit mon ami Boris Cyrulnik qui a préfacé ce livre et lui aussi enfant caché, résilience pour surmonter notre expérience commune de la guerre…

Avoir dix ans, vivre sans ses parents, et être constamment caché et dans l'angoisse d'être arrêté… C'est un traumatisme qui est encore en vous ?
La majorité des enfants cachés ont eu des séquelles psychiques insurmontables… Beaucoup ont été incapables de reprendre des études et se sont réfugiés dans un judaïsme exacerbé pour les uns, alors que d'autres ont préféré franciser leur nom et effacer tout de leur judaïté. Pour ceux d'ailleurs dont les parents étaient des rescapés des camps, il a fallu vivre avec l'importation, sans cesse, présente dans la famille de l'horreur de la déportation.

Et vous, à quelle catégorie d'enfant caché traumatisé appartenez-vous ?
À une autre catégorie… Même si je suis fier d'être juif et que je suis viscéralement attaché à Israël, j'ai eu la chance d'être dans le clan des vainqueurs. Ceux qui se sont battus et qui ont rendu coup pour coup à l'ennemi. J'ai eu aussi à la fois la chance d'être accueilli dans un lieu privilégié, Moissac, et de pouvoir reprendre mes études avec une maîtresse très saine pour mon esprit : la chirurgie. Je peux dire que j'ai fait résilience, j'ai su rebondir après cette terrible épreuve.

Vous parlez de Moissac où était installée la communauté des éclaireurs israélites de France (EIF) tenue par votre tante Shatta et son mari Bouli Simon… Cette ville résonne-t-elle encore en vous ?
C'est un miracle. Moissac reste, pour moi, une commune faîte de gens hospitaliers, une ville de silence, complice et capable de tolérance pour éviter le pire à des centaines d'enfants juifs pris dans la tourmente de l'horreur nazie.

Dans votre ouvrage vous expliquez que votre père a rapidement donné des consignes au couple Simon pour éviter le sort des enfants d'Izieu : celui d'une rafle et de la déportation.
Démobilisé, mon père qui avait rejoint Moissac a, en effet, mis en place un dispositif pour placer une partie de l'effectif de la Maison de Moissac et plus particulièrement les jeunes juifs étrangers qui ne parlaient pas un mot de Français dans les fermes entre Moissac et Auvillar. Je n'oublie pas aussi le courage singulier de Mère Placide une religieuse belge et trois de ses Sœurs qui s'étaient repliés après l'Exode à Auvillar pour s'occuper d'enfants déficients et qui a accepté de cacher des jeunes filles juives dans son établissement. C'est cette synergie capitale entre le travail des époux Simon à Moissac, et celui de mon père entre Saint-Michel et Auvillar qui a permis d'éviter l'arrestation de ces centaines d'enfants et d'adolescents juifs.

Votre cousin germain Jean-Claude Simon parle «d'infra-juste» pour expliquer la faiblesse du nombre de déportés en France : les trois quarts des Juifs y étant sauvés alors qu'au Pays-Bas, trois quarts des Juifs ont péri…
C'est vrai, ce concept d'infra-juste et celui des Justes ne sont pas étrangers au sauvetage de milliers de familles juives en France. Pour ma part, je pense que si dans le secteur de nombreuses familles ont accepté d'accueillir et de cacher des adolescents juifs : c'est qu'il manquait de bras. Il faut tout de même se souvenir que la France de 1940 est rurale, les 1,8 million de prisonniers français en Allemagne sont pour beaucoup des paysans qui ont laissé leur famille esseulée. Avoir une main-d'œuvre gratuite cela permet la survie dans une période de pénurie…

Revenons à Moissac, pensez-vous qu'à l'instar du Chambon-sur-Lignon ou Nieuwlande au Pays-Bas, cette ville mérite le titre, rare, de «ville Juste parmi les Nations» ?
Nous ferons tout pour qu'elle soit reconnue comme telle. Cette ville est une exception, une place privilégiée de courage et d'hospitalité !

Source La Depeche du midi