Le 19 juillet 1937 s’ouvre à Munich une exposition intitulée "Art dégénéré". Les œuvres d’une centaine d’artistes, venues des musées allemands, y sont montrées. La mise en scène est spectaculaire, tableaux et sculptures étant accompagnés de notices dénonçant le "bolchévisme" de leurs auteurs par ailleurs présentés comme des "fous", des "provocateurs", des "destructeurs". Les artistes juifs, comme Chagall, Adler, Katz, Meidner sont présentés comme des incarnations de la "dégénérescence" et du "cosmopolitisme". Des dizaines de milliers d’Allemands vont visiter cette exposition.
En mars 1938, Franz Hofmann, président du comité de confiscation des musées allemands, déclare que les musées du pays sont enfin "purifiés". Plus de 15.000 œuvres ont été retirées des collections publiques. Que vont-elles devenir ? En mai de la même année, une salle des ventes est ouverte au château de Niederschonhausen, près de Berlin. Quatre marchands, parmi lesquels Hildebrand Gurlitt, sont chargés de la commercialisation de ces œuvres dites "d’art dégénéré". Les "liquidateurs" peuvent eux-mêmes acquérir ces tableaux ou sculptures, à condition de les payer en devises.
Il est fort probable que c’est à ce moment que Hildebrand Gurlitt commence à constituer sa collection. Gurlitt l’a pourtant échappé belle. Spécialiste de l’art moderne, ce marchand d’art est démis de son poste de patron du Kunstverein à Hambourg par les nazis dès 1933, car petit-fils d’une grand-mère juive. Mais grand connaisseur des réseaux marchands européens , il parvient à se rendre indispensable et est nommé à la tête du projet de musée que Hitler veut faire construire à Linz en Autriche. A partir de ce moment, Gurlitt devient, pour les nazis, un maillon précieux du commerce de l’art.
Peu regardant sur l’origine des œuvres, il les achète à bas prix. Nombre d’entre elles ont été saisies dans des collections privées (en France, les collections Rothschild et David-Weill furent ainsi volées par l’occupant pour être transportées en Allemagne) ou dans les galeries possédées par des marchands juifs, dont les galeries sont "aryanisées". Pour Hitler, il rafle ainsi les œuvres d’art ancien. Au passage, il en profite pour constituer sa propre collection. Gurlitt participe aux opérations de l’ERR (Equipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg) qui, entre avril 1941 et juillet 1944 se livrera à une véritable razzia en France : durant cette période, 29 convois comprenant des archives de l’Etat et biens culturels appartenant à des juifs prendront le chemin de l’Allemagne.
A la Libération, Hildebrand Gurlitt, suspecté de spoliation, affirmera que toutes les œuvres en sa possession ont été détruites lors des bombardements de Dresde. Il mourra en 1956, victime d’un accident de voiture. Son fils Cornelius a hérité de sa collection. Durant toutes ces années, certaines des œuvres qui la composaient ont-elles déjà été vendues ? Et si oui, à qui et dans quelles conditions ? Les investigations en cours devraient permettre de reconstituer l’histoire de ce trésor et d’en retrouver, éventuellement, les propriétaires légitimes.
Une entreprise complexe. A preuve l’histoire de cette tapisserie du 16e siècle, retrouvée en Allemagne au lendemain de la guerre et aujourd’hui placée en dépôt au musée municipal de Limoges. Portant la mention OAR (Objets d’art récupération), cette pièce a été achetée avec cinq autres tapisseries de la même série par Hildebrand Gurlitt en 1944 à Paris, à un certain Gürtler. Le tout pour la somme de 500.000 francs. A ce jour, on ignore toujours qui est ce M. Gürtler et on ignore toujours comment ce mystérieux inconnu s’était lui-même procuré ces chefs-d’œuvre…
Source Le nouvel Observateur