dimanche 23 février 2020

Commando Musik, comment les nazis ont spolié l’Europe musicale


Après une première parution en anglais et en allemand, le livre du musicologue Willem de Vries, Commando Musik. Comment les nazis ont spolié l’Europe musicale, a enfin paru en version française chez Buchet/Chastel. Fruit d’un travail minutieux de plus de 10 ans, l’auteur y détaille comment le Sonderstab Musik (commando “musique”) organisa la fuite d’un très grand nombre de partitions, ouvrages et instruments vers l’Allemagne, entre 1940 et 1944......Interview........


Willem de Vries évoque notamment pour Classicagenda comment il a surmonté les premières difficultés, raconte la chute de Boetticher, un éminent musicologue, et le rôle de Guillaume de Van, Conservateur au département de la musique de la Bibliothèque nationale à Paris et collaborateur actif du commando “musique”. 

Willem de Vries, comment avez-vous découvert l’existence du commando “musique” ?
Durant une visite à Madeleine Milhaud à Paris en 1990. Elle me racontait que leur appartement fut vidé par les nazis, y compris les disques 78 tours de jazz dont j’avais besoin pour ma  thèse ‘Darius Milhaud et le Jazz’. Puis j’ai visité le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) où j’ai vu des documents avec ‘Sonderstab Musik’.

Dès le départ, dans le cadre de votre thèse de doctorat, vous avez essuyé un refus de la part des professeurs de l’Université d’Amsterdam lorsque vous leur avez annoncé vouloir enquêter sur le rôle de Wolfgang Boetticher (spécialiste reconnu de Robert Schumann) dans les spoliations. Comment avez-vous surmonté cette difficulté ?
En 1991, mon Université n’avait pas de “Professeur -en-Chef” qui prend les décisions sur les thèses de doctorat. 
Les 3 docteurs temporaires n’ont pas osé décider du devenir de ma proposition, j’ai trouvé ça incroyable ! Boetticher était un professeur renommé. J’ai donc décidé de continuer à mes propres frais, j’avais déjà plus de 50 ans.

Boetticher est resté un personnage très influent dans le milieu universitaire d’après-guerre malgré son rôle déterminant sous le régime nazi… jusqu’à vos révélations à son sujet qui entraînèrent son éviction de l’université de Göttingen. Comment expliquez-vous cela ?
Son rôle pendant la guerre était bien connu en Allemagne, mais pas aux Pays-Bas. Même Fred Prieberg, qui me poussait à continuer mes recherches, n’avait pas ‘le pouvoir’ de faire tomber Boetticher.
J’ai donc été invité à Göttingen par les étudiants de l’université afin de clarifier mes écrits sur Boetticher. J’ai raconté cette histoire à l’aide de mes documents. Ils étaient furieux !
Mais j’ai eu la “veine” de découvrir des documents inconnus sur lui. Plus tard, j’ai donc été invité à Göttingen par les étudiants de l’université afin de clarifier mes écrits sur Boetticher. 
J’ai raconté cette histoire à l’aide de mes documents. Ils étaient furieux !  
A la suite de cela Boetticher fut démis de ses fonctions car malheureusement pour lui, il était le dernier musicologue vivant coupable de confiscations, il était sans protection… 
J’ai aussi reçu des lettres de menaces, mais ça ne changeait rien.

Avez-vous rencontré des obstacles lorsque vous avez voulu examiner les répertoires de biens spoliés en France ?
Pas du tout, ni en France, ni dans les Archives allemandes !

Où en est-on aujourd’hui dans la restitution de ces biens ?
C’est compliqué puisque la question est toujours : où sont les biens maintenant? La Russie ne redonne rien… Ils disent : ‘tout d’abord, redonnez-nous tout ce qui a été spolié chez nous (par les Allemands)”. 
Mais il y a de petits succès. Lorsque le mur est tombé, une bibliothèque à Berlin Est est devenue “Est-Ouest”. 
J’y ai trouvé une collection de compositions dédiées à Artur Rubinstein, confisquée à Paris pendant la guerre,  laquelle a été redonnée à sa famille aux Etats-Unis.

Pourquoi les documents musicaux et les instruments n’ont pas fait l’objet de la même attention que les œuvres d’art en ce qui concerne leur restitution ?
Concernant la musique, avant la guerre, on connaissait surtout les grands artistes juifs à la réputation internationale, donc seulement les “grandes” collections de musique telles que celles de Landowska ou Milhaud. Ces objets ont ensuite été déplacés à Berlin, puis en Silésie, puis perdus…
Les objets d’art ont, quant à eux, fait l’objet d’une grande attention en raison de leur valeur. 
Ils étaient souvent en possession de familles juives fortunées qui avaient quitté la France. En général les objets d’art sont retournés dans les musées.

Malgré une certaine organisation administrative, on observe au fil de votre livre que le Sonderstab Musik rencontrait de nombreuses difficultés à exercer sa mission. A quoi étaient-elles dues principalement ?
A partir de 1943, il y avait des problèmes logistiques en raison des bombardements sur Berlin, du quartier abritant le Sonderstab Musik,  mais aussi des actions des alliés et de l’évacuation en Silésie, entre autres..

Quel rôle a joué le Dictionnaire des Juifs dans la musique dans les spoliations ?
En fait, le dictionnaire avait déjà été rédigé avant la guerre, après 1938. Il s’agit d’un horrible produit de Gerigk (et de Boetticher et des allemands) qui a facilité la localisation des artistes et des juifs, et a permis de les dérober. Il ne contenait pas les adresses mais, par exemple, les lieux de travail des artistes. Beaucoup ont fui mais la plupart ont été déportés…

Guillaume de Van a ouvert aux Allemands toute la Bibliothèque Nationale.
Vous consacrez un portrait à Guillaume de Van, Conservateur au département de la musique de la Bibliothèque Nationale à Paris qui assurait une collaboration active avec le Sonderstab Musik. Quel rôle clé avait-il et quelle part de mystère reste-t-il encore à son sujet ?
Il s’agissait d’un personnage très curieux, né aux Etats-Unis et venu ensuite à Paris. 
Un spécialiste de la musique ancienne et du XVI°. Il a ouvert aux Allemands toute la Bibliothèque Nationale. On ne sait pas s’il a donné des manuscrits mais il a permis de les copier. 
La période était propice aux reproductions grâce à un matériel permettant de prendre des photos rapidement. Les Allemands ont donc obtenu beaucoup de copies. 
Mais je n’ai pas trouvé les pertes réelles de la Bibliothèque et il n’est pas sûr que Boetticher ait pris des manuscrits. De Van a été arrêté en 44 puis a fui vers l’Italie. Je n’ai pas découvert de traces d’interrogatoire, il a emporté son secret avec lui…

La claveciniste Wanda Landowska fait également l’objet d’un focus dans votre ouvrage. Les biens musicaux – mais pas seulement – présents dans sa demeure à Saint-Leu-la-Forêt furent spoliés. Pourquoi attiraient-ils autant de convoitises de la part du commando “musique” ?
Si on regarde l’inventaire des instruments et sa bibliothèque, c’est en raison de la valeur, en argent et en qualité.

Aujourd’hui que retenez-vous de ces années d’investigations ?
A l’âge de 80 ans, je suis fier d’avoir écrit mon livre, sur un thème inconnu à l’époque. Et puis, pour moi c’était incroyable, j’ai été obligé de me déplacer physiquement dans les archives de plusieurs pays.. 
Ce qui m’a permis de rencontrer des gens qui m’ont donné des informations. (Maintenant les jeunes ont un ordinateur et travaillent par mail !). 
La pratique de plusieurs langues m’a également beaucoup aidé dans mes recherches. J’ai aussi rencontré Madeleine Milhaud, une femme forte, mais ravie que je vienne la rencontrer car elle pouvait enfin parler de la guerre.

Source Classic Agenda
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