On est en 1973 et le Président de la République tunisienne, « raïs ejjamourya ettounsia », explique aux téléspectateurs français ce qu’il faut savoir pour comprendre les événements qui se déroulent au Proche Orient. La Palestine, ce n’est pas seulement le territoire entre fleuve et mer, du Jourdain à la Méditerranée . Historiquement elle va de la mer jusqu’au pays de Cham, la Syrie et donc elle comprend également la Jordanie qui était des deux côtés du fleuve : Transjordanie et Judée-Samarie...
Les vainqueurs de la Première Guerre Mondiale réunis à Versailles, avaient démembré l’ Empire Ottoman : Syrie, Liban pour la France, Irak et Palestine pour la Grande-Bretagne.
Le territoire palestinien, les britanniques y taillent un royaume pour leur protégé, Abdallah qui s’appuie sur un peuple fidèle de bédouins cependant que plus de 60% de la population est d’origine palestinienne.
Il est indispensable de savoir que les territoires que se disputent les israéliens et les palestiniens sont ce qu’il reste du pays après le coup de ciseaux des anglais. Bourguiba le sait comme tous les hommes politiques et les observateurs le savent. Mais il est certainement le seul à le dire et à le répéter : La Palestine a déjà été partagée .
Bourguiba admettait l’existence de l’ État d’Israël, comme foyer de refuge des juifs martyrisés en Europe. Il incitait les arabes du Proche Orient à négocier avec les Israéliens et à parvenir à la conclusion d’un accord de coexistence.
Il disait à ses interlocuteurs : « Votre politique de refus et d’intransigeance n’a donné aucun résultat positif. Au contraire le petit foyer juif ne cesse de grandir . Essayez donc une autre politique pour sauver ce qui doit l’être ».
Il le disait en tête à tête car il l’avait dit à Beyrouth devant la foule.
Et ses gardes du corps et le service d’ordre avaient eu beaucoup de mal à le mettre dans sa voiture à l’abri des manifestants qui grondaient en s’avançant vers la tribune.
Bourguiba, le large sourire, les yeux étincelants et les discours très longs mais captivants : Il savait commencer très bas pour forcer ses auditeurs à tendre l’oreille et ensuite il racontait.
Il disait ce qu’il avait projeté, il répétait ce que lui avaient dit les uns et comment il leur avait répondu, il contait, il racontait et tout le monde écoutait. En arabe, il intercalait à la fin de chaque phrase « haj Sidi mana » ( cependant que) et en français il coupait ses propos par des « n’est-ce pas? » qui rythmaient le déroulé verbal.
Habib Bourguiba était le croisement de vieilles civilisations, celles des Phéniciens, des Carthaginois et des paysans islamisés avec la culture de la méritocratie française, Faculté de Droit et Sciences Po. Admirateur d’Alfred de Vigny, il connaissait par cœur « La Mort du loup » et l’avait récité au Général de Gaulle.
Il savait que l’ Histoire est une grande dame qu’il ne faut pas bousculer ni oublier et qui indique les voies pour rétablir l’harmonie nécessaire au développement.
En 2015, ses propos de 1973 doivent encore inspirer tous ceux qui voudront s’approcher du nid de guêpes du Proche Orient.
Par Andre MAMOU
Source Tribune Juive