Premier film d’une réalisatrice juive orthodoxe et beau succès en Israël, « Le cœur a ses raisons » dépeint la communauté hassidique de Tel-Aviv de l’intérieur. Sans complaisance ni préjugés. Rencontre avec Rama Burshtein, une débutante de 46 ans.
Chez Rivka et d’Aharon, couple de juifs orthodoxes habitant à Tel-Aviv, on s'apprête à célèbrer Pourim. La fête bat son plein quand la fille ainée, Esther, meurt en donnant naissance à son fils. Le veuf Yochay décide alors de partir vivre en Belgique avec l’enfant pour se remarier, comme le veut la tradition. Mais Rivka, la grand-mère, voit les choses autrement et fait germer l’idée de remarier son beau-fils Yochay à sa fille cadette Shira de 18 ans… Dans « Le cœur a ses raisons », la réalisatrice Rama Burshtein, née à New York en 1967 avant d’étudier le cinéma à Jérusalem et de se convertir au judaïsme orthodoxe, filme avec une grande justesse et beaucoup de délicatesse les tensions au sein d’une famille très croyante. Un drame intimiste bercé par les musiques hassidiques, à la fois beau, doux et cruel, raconté à travers le regard de la jeune et romantique Shira (Hadas Yaron, brillante). Mais aussi un drame ambigu raconté par Rama Burshtein, elle-même hassidique, laissant planer le doute sur le bonheur et l’épanouissement de l’héroïne dans sa communauté, du début à la fin.
Pourquoi avoir réalisé votre premier film à 46 ans?
J’ai terminé mes études de cinéma à 26 ans. 6 mois plus tard, je me convertissais au judaïsme orthodoxe. J’étais tellement fascinée par ce nouveau monde que je ne trouvais rien à dire. Je me suis mariée, j’ai éduqué quatre enfants : cela me demandait beaucoup de temps. J’ai aussi mis du temps à sentir en moi cette passion pour l’écriture.
Y-a-t-il une part d’autobiographie dans l’histoire du Cœur a ses raisons ?
Pas du tout mais mon mari, qui a vu le film, m’a dit : « C’est incroyable comme il y a une part de toi dans chaque personnage ». Finalement, en créant mes personnages, j’ai donné de mon âme dans chacun d’eux. Mais ils ne sont pas moi, je remercie Dieu, rien de tout ça ne m’est arrivé. Je trouvais ce sujet très intéressant. J’ai donc fait de longues recherches et j’ai rencontré 17 femmes qui avaient vécu cette histoire. Ces cas sont rares mais ils existent.
Pourquoi avoir choisi de traiter du mariage ?
Le mariage est le ciment de notre religion tout comme l’amour. Vous pouvez être célèbre, gagner de l’argent mais ne pas être heureux car vous n’avez pas l’amour. Vous pouvez donner tout votre amour un soir sans savoir si l’autre va vous rappeler le lendemain. Nous, on donne tout notre amour mais pour toujours.
En tant que femme hassidique, avez-vous eu besoin d’une autorisation pour tourner le film ?
Ce n’est pas vraiment une autorisation mais plutôt une bénédiction dont j’ai eu besoin et ce n’était pas dur avec ma communauté mais nouveau. Ce film a engendré beaucoup de questionnements en commençant par moi. J’avais besoin qu’un rabbin me dise : « Fais le, tu vas pouvoir gérer tout ça. » Était-ce un problème d’être une femme ?
Les hommes et les femmes ne sont pas égaux, nous sommes différents et il faut que ça reste comme c’est. Les femmes ont des enfants, c’est un facteur à prendre en considération. Il m’a fallu cinq ans pour trouver des financements car je suis une femme, une femme de foi qui n’a plus 20 ans. Les gens ont eu du mal à me faire confiance.
Le financement est-il 100% israélien ?
Nous avons eu beaucoup d’offres de coproductions étrangères mais nous voulions rester en Israël, là où on a tourné. C’est un film à très petit budget et il est seulement financé par les fonds du cinéma et de la télévision israélienne.
Comment le film a été reçu en Israël ?
Le succès a été surprenant. C’est le film qui a fait le plus d’entrées cette année : 200 000 personnes ont vu le film.
Avez-vous déjà un deuxième film en préparation ?
Je pense qu’il est un peu tôt pour en faire un autre mais je travaille sur quelque chose en ce moment. C’est tout moi ça, dire qu’il est trop tôt et travailler sur quelque chose en même temps. Vous voyez comme je suis compliquée ! Mon travail portera toujours sur ma communauté.
Avez-vous vu le film Les Voisins de Dieu de Meni Yaesh qui dépeint lui aussi la communauté hassidique ?
J’ai vu le film car les réalisateurs sont mes amis. J’adore le fait qu’ils viennent de là-bas, d’Israël. Ils savent de quoi ils parlent. J’aime leurs personnages car ils sont intelligents, ils évoluent et se dépassent.
Avez-vous le sentiment d’appartenir à une nouvelle génération de cinéastes israéliens ?
Je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez. Mon film aurait pu être tourné partout, à Paris, à New-York ou en Israël. Ce n’est pas un film israélien, c’est un film juif.
Source evene