C'est une célèbre maison de vente aux enchères qui a ouvert la boîte de Pandore. L'affaire dont s'est emparé le Franckfurter Allemeigne Zeitung a éclaté en Allemagne le 18 mars dernier. En fouillant une armoire du local technique de la maison Neumeister, un employé est tombé par hasard sur 44 petits carnets oubliés. Des catalogues qui détaillent les ventes réalisées entre 1936 et 1945 par ce qui était alors la maison Weinmüller, une institution munichoise qui a prospéré durant la guerre grâce aux oeuvres d'art saisies à des familles juives allemandes, notamment lors de ventes forcée ou d'aryanisation des biens. Tout le monde croyait que ces documents, dans lesquels figurent les noms des acheteurs, avaient été détruits, ils étaient en fait demeurés cachés.
De 1936 à 1945, la maison Weinmülller a organisé 33 ventes lors desquelles 34 500 objets ont été vendus. Les noms des acheteurs et des vendeurs sont inscrits, les catalogues annotés..., une véritable mine d'informations. En tous les cas, de quoi permettre de lever le voile sur le sort de nombreuses collections, dont celle de l'architecte juif Ernst God Help qui fut saisie puis dispersée par Weinmüller en 1939 à Vienne. Parmi les tableaux figurait par exemple celui de Freidrich von Amerling Jeune fille au chapeau de paille, qui a été restitué l'an dernier par le musée du Belvédère.
Adolf Weinmüller, qui a commencé sa carrière de marchand d'art à Munich en 1921, a rejoint le parti nazi dix ans plus tard, il a présidé le syndicat des marchands d'art et d'antiquité, rebaptisé en 1933 "Département du Reich pour les arts visuels". Dans le même temps, le 3e Reich met en oeuvre plusieurs lois visant à écarter les Juifs du commerce des oeuvres d'art. De nombreux établissements tenus par des Juifs furent aryanisés, notamment la principale maison de vente aux enchères de Munich, celle de Hugo Helbing. C'est Weinmüller qui la racheta en 1936 lorsque Helbing perdit sa licence de marchand. Dans les mêmes conditions, Weinmüller acquit une autre maison de vente, à Vienne cette fois. Le nazisme lui profita : ses affaires étaient florissantes, car il tirait bénéfice de la disparition de plusieurs concurrents juifs et de l'arrivée sur le marché de nombreuses oeuvres d'art mises en vente par des candidats à l'exil, ou provenant d'aryanisation de bien juifs, ou encore de ventes forcées. La maison Weinmüller compta parmi ses clients Martin Bormann ou encore Maria Almas Dietrich, une marchande de l'entourage de Hitler. À la fin de la guerre, lors du processus de dénazification, Weinmüller fut seulement qualifié de "collaborateur", et reprit son activité en 1948. Il revendit son entreprise dix ans plus tard à Rudolph Neumeister avant de décéder.
Katrin Stoll, qui a pris la tête de l'entreprise familiale en 2008, a passé un accord avec l'Institut central d'histoire afin de faire la lumière sur l'activité de Weinmüller pendant la guerre. Le travail a été confié à l'historien Meike Hopp qui a publié ses travaux l'an dernier. D'ores et déjà, l'héritière de la maison Neumeister a annoncé que les informations contenues dans les 44 carnets découverts seraient rendues publiques et a invité les autres maisons de ventes à faire de même pour les catalogues concernant cette période.
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À qui le tour ? En France, les "minutes de vente", qui détaillent, noms à l'appui, les transactions des commissaires priseurs, ne sont communicables qu'au bout de 75 ans. Impossible d'accéder à celles de la période 1939-1945, à moins d'une dérogation.
Source Lepoint.fr