Francine Kahn, âgée de 72 ans, avait fait le voyage au nom des dix descendants de son grand-oncle, l’avocat et sénateur Armand Dorville. Mercredi 22 janvier à Berlin, la ministre de la Culture allemande Monika Grütters a restitué aux héritiers du collectionneur trois tableaux vendus en 1942 aux enchères à Nice par le Commissariat général aux questions juives.
Femme en robe du soir (vers 1880) et Portrait de femme de profil (1881) de Jean-Louis Forain (1852-1931), ainsi qu’Amazone sur un cheval cabré de Constantin Guys (1802-1892), sont retournés chez leurs propriétaires. Cette restitution a pu avoir lieu grâce à la German Lost Art Foundation, qui a pour mission de retracer l’origine des œuvres d’art et de les rendre aux ayants droit des collectionneurs spoliés, et grâce aux travaux de l’historienne Emmanuelle Polack, auteure de l’ouvrage Le Marché de l’art sous l’Occupation (éditions Tallandier, 2019).
Les deux œuvres de Forain ont été découvertes en 2012 dans le « trésor de Gurlitt », parmi les 1558 œuvres retrouvées dans un appartement de Schwabing à Munich (Allemagne) et dans une maison de Salzbourg (Autriche) habité par Cornelius Gurlitt.
L‘Amazone sur un cheval cabré de Guys se trouvait quant à elle tout ce temps dans une collection privée allemande.
Une collection pharaonique dispersée sous le régime de Vichy
Le 28 juillet 1941 à Cubjac en Dordogne, Armand Dorville, petit-fils du fondateur de l’œuvre philanthropique La Bienfaisance israélite, meurt dans son château.
Depuis 1940, il s’y était réfugié après avoir quitté son appartement parisien où il ne se sentait plus en sécurité.
Avec lui, Armand Dorville a emmené sa collection de 450 toiles ou dessins qui comptait des œuvres de Renoir, Bonnard, Vallotton, Vuillard, Delacroix, Manet et bien sûr Forain et Guys, dont il était un grand collectionneur.
À cause des lois antisémites de Vichy, ses héritiers à l’époque, son frère Charles, ses sœurs Valentine et Jeanne, ne pouvaient réclamer l’héritage.
Les œuvres d’art de la collection d’Armand Dorville ont alors été dispersées, du 24 au 27 juin 1942 à l’Hôtel Savoy Palace à Nice, sous le marteau du commissaire-priseur Jean-Joseph Terris.
Attirés par les chefs-d’œuvre présentés, de nombreux enchérisseurs parisiens, marchands, galeristes et conservateurs de musées, sont venus assister à la vente, d’après Emmanuelle Polack.
C’est notamment le cas de René Huyghe, conservateur au département des peintures au Louvre, chargé de s’y rendre. Il y a acquis douze oeuvres pour un montant total de 294 622 francs selon l’enquête de l’historienne. Parmi ces douze, dix sont conservées depuis 1942 au Louvre, parmi lesquelles cinq œuvres de Constantin Guys, quatre d’Henri Monnier et un de Camille Roqueplan ainsi que La Femme à la terrasse fleurie de Jean-Louis Forain qui est actuellement conservé au musée d’Orsay.
Ces œuvres font également partie des pièces spoliées aux héritiers d’Armand Dorville. Ces découvertes font suite à la « mission sur l’origine des acquisitions faites pour le Louvre entre 1933 et 1945 » confiée à Emmanuelle Polack le 6 janvier dernier.
Le gouvernement allemand, quant à lui, a un budget de 6 millions d’euros pour financer les recherches autour des spoliations juives.
Une décennie entre la saisie des œuvres et leur restitution aux héritiers
Après les reventes et échanges qui ont suivi la vente de 1942, il a été très complexe d’identifier les œuvres d’art spoliées.
Pour étudier l’origine des trois œuvres rendues aux héritiers d’Armand Dorville, la German Lost Art Foundation a épluché les archives de Cornelius Gurlitt, collectionneur allemand et fils d’Hildebrand Gurlitt, marchand d’art attitré d’Hitler, celles du Commissariat général aux questions juives et celles du département des Alpes-Maritimes, ainsi que les catalogues mentionnant les œuvres avant l’Occupation.
En tout, il a fallu une décennie entre la saisie des œuvres et leur restitution aux héritiers.
Par Agathe Hakoun
Source Connaissance des Arts
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