Sa plume était aussi crue que caustique, bousculant volontiers les convenances sociales et la manière d’évoquer la Shoah dans la littérature. L’écrivain allemand Edgar Hilsenrath, à qui l’on doit notamment Le Nazi et le Barbier (1971), est mort dimanche 30 décembre à l’âge de 92 ans, a confirmé son éditeur au Monde.......Détails.......
Né à Leipzig en 1926, Edgar Hilsenrath est le fils d’une famille de commerçants juifs, qui tente de fuir la montée du nazisme en gagnant la Roumanie. Mais en 1941, le jeune garçon est déporté, ainsi que son frère et sa mère, dans le ghetto roumain de Mogilev-Podolsk. Il n’en sera libéré qu’en mars 1944 par les troupes russes.
De ces longues années de souffrances et de privations, l’auteur dira qu’elles constituent sa Nuit, du nom de son premier roman, paru en 1964 en Allemagne, avant d’être censuré par son éditeur.
Car déjà, la crudité et l’humour au vitriol de l’auteur heurtent, lui qui ose le récit imagé de toutes les bassesses humaines que peut engendrer la volonté de survivre. « La nuit ne se finit jamais », disait ainsi l’écrivain iconoclaste dans une interview à Actualité juive en 2015.
A la fin de la guerre, le jeune homme gagne la Palestine, où il vivote de petits boulots.
En 1947, Edgar Hilsenrath rejoint la France, où sa famille a trouvé refuge. Puis tous émigrent à New York.
C’est aux Etats-Unis que le jeune homme se met à écrire – une envie qui le hantait depuis le ghetto, confessera-t-il.
Son deuxième ouvrage, Le Nazi et le Barbier, écrit en 1968 lors d’un séjour à Munich, met en scène le sinistre et cynique Max Schultz, un salopard picaresque, sujet de toutes les métamorphoses hémoglobinées. Enfant « illégitime mais aryen » d’une grosse femme de petite vertu, le bourreau rejoint les SS à la fin des années 1930, parce que « l’avenir de l’Allemagne sera noir à coup sûr » comme leurs uniformes.
Sur le front de l’Est, puis dans un camp de concentration, il se livre aux pires monstruosités avant de disparaître, la guerre finie. Il prend l’identité (voire la personnalité) d’Itzig Finkelstein, son meilleur ami d’enfance, juif, et s’enfuit en Israël.
Aussi décriée qu’applaudie, cette farce burlesque vaut à son auteur un succès mondial, malgré le refus par soixante maisons d’édition de le publier. Il sera finalement édité dans 22 pays, en seize langues – mais seulement en 2010 en France.
La carrière d’Edgar Hilsenrath lui vaudra ensuite plusieurs récompenses, dont le prix Alfred Döblin pour le roman Le Conte de la pensée dernière, paru en 1989. Un ouvrage dans lequel l’auteur allemand, qui retournera vivre à Berlin en 1975, compare le génocide arménien à la Shoah, et rappelle le devoir de mémoire. « Il y a une communauté arménienne à Berlin, ils sont tous trop jeunes, ils ne connaissent souvent pas leur propre histoire.
C’est comme un sujet tabou. Dans les familles, on en parle peu, ou pas », déplorait-il dans l’entretien donné à Actualité juive.
Toute l’œuvre de l’éruptif Edgar Hilsenrath restera marquée par ce mélange d’autobiographie fictionnelle, que ce soit quand il raconte le village roumain présent dans Le Retour au pays de Jossel Wassermann (1993), ou quand il rend compte de son expérience palestinienne, dans Les Aventures de Ruben Jablonski (1997).
Un roman qui trace un portrait glacial et coupable des rescapés de la Shoah, dont fait partie le narrateur : « Six millions. Je ne savais pas qu’il y avait eu tant de morts. (…) Je leur ai montré le journal et leur ai demandé en yiddish : “Vous saviez qu’il y en avait eu autant ? – Non”, ont répondu les Juifs. »
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