Rien n’est simple pour les Juifs français qui décident d’aller s’installer en Israël. C’est encore plus vrai pour les adolescents, qui découvrent un système scolaire très différent de celui qu’ils ont connu en France. Témoignages....
“Nous allons rentrer en France, c’est décidé.” Le père d’Ethan est exténué, un an après l’immigration de sa famille à Tel-Aviv, et il est prêt à jeter l’éponge. Son fils de 15 ans se ferait harceler à l’école, sans réaction de l’administration scolaire.
Autour de lui, on tempère. L’adolescent aurait de sérieux problèmes de comportement. Où placer le curseur entre les obstacles naturels liés à un déracinement soudain et ceux dus à une structure familiale parfois bancale ? L’équation n’est pas simple.
Mais les problèmes auxquels doivent faire face des adolescents francophones projetés dans un pays et un système scolaire fondamentalement différents sont souvent sous-estimés. On évalue à environ 10 % le taux de jeunes adultes pour lesquels l’intégration serait un échec conduisant à la déscolarisation.
Une réalité parfois complexe
Mais c’est sans compter tous ceux pour qui les premiers mois, faute de compréhension à l’école, seraient particulièrement démotivants et fragilisants. On a beau aimer Israël et clamer le bonheur d’être enfin à la maison, la réalité peut se révéler complexe.
Mal du pays, problème d’intégration à l’école, parents dépassés. Les difficultés sont susceptibles de se multiplier, d’autant que l’école est, en Israël, un lieu d’apprentissage de la vie où la discipline n’est pas fondamentale, où l’on donne la parole à un élève placé au cœur du dispositif et très vite responsabilisé.
Les cours de récréation sont aussi plus violentes et les enfants livrés à eux-mêmes. Ainsi, les petits Français, accusés d’“étaler leur argent, d’afficher du dédain pour leurs nouveaux camarades”, seraient fréquemment “bousculés et rackettés par les petits Israéliens.
Les deux clans se battent souvent dans la cour et aucun adulte ne nous surveille, raconte Yoni. C’est sûr qu’ici on peut faire plus de bétises qu’en France, on tutoie les profs et ils nous laissent tranquilles.” Ce qui ne l’empêche pas d’être heureux dans son nouveau pays.
Même constat chez Damien et Eli, 14 et 11 ans, arrivés à Netanya l’été dernier, qui ont eux-mêmes poussé leurs parents à franchir le pas de l’alyah et qui ne regrettent pas leur choix.
La mer, le soleil et les activités extrascolaires adoucissent une rentrée scolaire un peu complexe. Si Damien a intégré une classe oulpan [cours de langue hébraïque] pendant les trois premiers mois et rejoignait les petits Israéliens pour les cours de mathématique et d’anglais, le petit Eli a démarré dans une classe normale. Et avec un faible niveau d’hébreu, les premiers mois peuvent se révéler déprimants.
“Au début, je ne comprenais rien du tout et ça m’énervait, mais là, ça va mieux”, annonce Eli, penché sur ses devoirs de maths. “Les enseignants sont d’une gentillesse incroyable ici, spécialement patients et tolérants avec les enfants français qui se retrouvent en plein brouillard sur le plan de la langue et la plupart du temps ne comprennent pas les cours”, confirme une mère, qui ajoute :
Si problèmes il y a, ils sont liés à la personnalité de l’adolescent, au déracinement en tant que tel, à l’éducation donnée par les parents, mais non au pays.”
Résultat, dans les classes où les jeunes francophones sont réunis pour des questions pratiques, certains s’en donnent à cœur joie, piégés par ce trop-plein de liberté, et le manque de respect vis-à-vis du professeur devient difficile à gérer. Le système scolaire israélien a ses richesses mais aussi ses défauts pour des élèves habitués à être particulièrement encadrés, surtout s’ils évoluaient dans le système public en France. “Mon fils de 14 ans a pu sécher les cours sans que nous en soyons informés pendant des mois”, s’insurge Joël, qui a fait son alyah avec sa femme et ses trois fils il y a dix-huit mois. “Maintenant, on menace de l’exclure de l’école, mais pourquoi ne nous ont-ils pas appelés avant ?”
Freddo Pachter, directeur des projets de l’intégration du département francophone de Netanya, explique :
L’enfant qui, en France, est surveillé de partout, découvre en Israël une liberté inédite. Contrairement aux petits Israéliens qui ont grandi comme ça, il risque d’exploser, mais il ne faut pas dramatiser. Sur 6 000 Français arrivés depuis 2006 à Netanya, seuls 5 à 7 % auraient décidé de faire marche arrière et de repartir, soit 10 % de moins que la moyenne nationale.”
Preuve qu’à Netanya, ville particulièrement sensibilisée aux problèmes rencontrés par la communauté francophone, avec 7 500 olim [immigrants juifs] depuis 2015, on a décidé de mettre les moyens. Plus que dans des villes comme Jérusalem, et surtout Tel-Aviv, où les écoles et les programmes sont encore peu adaptés et où l’on recommande les établissements français.
“Les enfants ont besoin d’être cadrés”
Myriam Kazoula, ancienne directrice d’école, a fait le même constat et rencontre un large succès à Netanya en proposant aux familles des “ateliers de la réussite” autour de la langue française, qu’elle estime fondamental de continuer d’enseigner aux enfants.
“De nombreux parents pensent qu’ils peuvent délaisser leur langue d’origine en arrivant en Israël pour mieux assimiler l’hébreu, comme s’il fallait faire table rase du passé. C’est une erreur”, affirme Myriam, qui veut offrir à un élève déraciné un cadre et une méthodologie connus et rassurants.
Dans ses ateliers, on trouve des cours de français, de théâtre, d’art plastique ou de chant, mais aussi du soutien scolaire en hébreu, en anglais et en mathématique avec des professeurs bilingues qui parfois se contentent d’expliquer des consignes de géométrie formulées différemment !
“Les enfants sont heureux ici, ils reprennent confiance en eux, se rappellent qu’ils ont des acquis et qu’ils savent faire des choses”. Un moyen de s’extraire de ce sentiment d’incompréhension qui peut les couper chaque jour un peu plus de la société qui les entoure.
Ceux qui réussissent leur intégration malgré la barrière de la langue, du système scolaire et du déracinement sont formels : “Les enfants ont besoin d’être cadrés par les parents, spécialement après l’alyah.” Célia, maman de quatre enfants, explique :
Les familles se fourvoient souvent en pensant qu’en Israël leur petit est tellement en sécurité qu’il peut être livré à lui-même tout l’après-midi, sans surveillance ni structure particulière. Parce qu’on est juifs et que tout va bien.”
Mais, en Israël, l’école s’arrête à 13 heures et, si les Israéliens cessent souvent de travailler à 17 heures, les francophones, encore très nombreux, qui travaillent dans des call centers, sont soumis aux horaires français et finissent tard leur journée.
Des après-midi à rallonge pour ces adolescents en mal de repères. “Dans les problèmes que rencontrent ces jeunes, la structure familiale est fondamentale. Souvent les pères passent beaucoup de temps en France pour gagner leur vie et les mères sont seules et dépassées par leurs aînés”, confirme David, coordinateur éducatif en écoles élémentaires.
Ces jeunes ne font en général pas “de grosses bêtises mais boient, fument et affichent peu de respect pour leurs aînés”, témoignent les mères de famille. On parle aussi de drogue et de prostitution.
Freddo Pachter refuse d’être alarmiste. “Certes, pour la mairie de Netanya, c’est problématique.
Certains Français, sur le kikar [place centrale à Netanya] embêtent le monde, surtout le soir. Ils font peur aux personnes âgées… Au début de la vague d’alyah, en 2007, on comptait 150 jeunes qui posaient problème en ville. Aujourd’hui, c’est le tiers. Dans quelques années, l’armée les attend.”
Pour autant que le fonctionnement militaire israélien réussisse là où le système éducatif échoue.
Selon un récent reportage d’I24news, les Français seraient seulement 50 % à parvenir au bout des trois années d’armée obligatoire. Pour la première vague d’alyah française, qui date de 2007, il faudra attendre encore un peu pour savoir quel type d’adultes israéliens sont devenus ces enfants français.
Source Courrier International