mardi 29 décembre 2015

Un déporté juif raconte l'enfer de Bergen-Belsen


Devant les élèves de terminale de lycée Sainte-Marie, Jacques Saurel a raconté son histoire, celle d’un enfant juif qui n’aspirait qu’à une vie paisible.  Lorsque Jacques Saurel pénètre dans la salle de classe, les élèves de terminale se lèvent spontanément. Très respectueusement. Aussitôt, l'ancien déporté juif du camp de Bergen-Belsen, un brin gêné, les invite à se rasseoir...


« Je suis un quidam comme un autre. » Lui qui n'aspirait qu'à une vie tranquille a été rattrapé bien malgré lui par le tragique cours de l'Histoire.
« C'est quoi être juif, interroge-t-il. Ma foi, je ne l'ai jamais su. » Ses parents, arrivés de Pologne en France dans les années 20, ne prononçaient jamais le mot.
« Quand je l'entends, c'est comme si je recevais un coup de poing dans la figure. Je suis né juif sans le savoir. Je ne l'ai découvert qu'avec la Seconde Guerre mondiale. Jusque-là, notre fierté, c'était d'être français. Aujourd'hui encore, je n'ai toujours pas compris la haine d'Hitler. »
Jacques Saurel, né en 1933, se souvient d'une enfance paisible. Lorsque la guerre éclate, son père choisit de s'engager comme volontaire dans l'armée des étrangers habitants en France. Il sera fait prisonnier mais son statut le protégera durant tout le conflit. « Il n'a jamais connu la moindre inquiétude dans son stalag ! »
Pendant l'exode, la famille quitte la capitale pour gagner Nogent-le-Rotrou. « J'étais juste un petit Parisien inconscient qui adorait courir dans les champs. » Après l'armistice, la vie va reprendre son cours au Pré-Saint-Gervais, avec sa mère, son frère et ses deux sœurs. « Pour nous, l'Occupation, ce n'était pas bien méchant. C'était seulement quelques contraintes. »
Mais l'inquiétude grandit quand il entend parler d'arrestations, de déportations et de destinations inconnues. « J'ai commencé à comprendre dans quel monde je vivais. »
En mai 1942, la tension devient plus vive encore quand sa mère doit lui coudre une étoile jaune sur ses vêtements. « Sauf qu'au début, je l'arborais avec fierté car je la prenais comme une distinction. Puis je me suis rendu compte qu'elle n'avait absolument rien de gratifiant. Certaines personnes parlaient de " youpin ", de " sale juif ". »
 En juillet 1942, il échappe à la rafle du Vel'd'Hiv car les enfants et les femmes de prisonniers de guerre ne peuvent pas encore être arrêtés. « Ma grand-mère sera elle emmenée. Et mon grand-père, qui se cachait chez nous, ira se livrer pour ne pas la laisser seule. Nous, on va donc continuer à vivre… »
Mais dans la nuit du 3 au 4 février 1944, lors de la troisième grande rafle parisienne, la famille, à l'exception de sa sœur absente et de sa grand-mère, est internée au camp de Drancy.

« Là, on est sous le choc, on a peur. On découvre la promiscuité. On va croiser les 44 enfants d'Izieu. On est resté trois mois, sans avoir faim ni froid. Enfin, le 3 mai 1944, c'est le départ pour une destination inconnue en Allemagne. »
Jacques Saurel s'interrompt.

Subitement, il perd son ton enjoué et prévient les élèves que la suite de son récit sera très éprouvante. Le terrible voyage de deux jours entassés dans des wagons, la vision d'une Allemagne dévastée, et puis l'arrivée au camp de Bergen-Belsen. « Confrontés à la mort au quotidien, on a vécu horreurs sur horreurs. Mais cela n'a pas empêché les enfants de s'en détacher et de trouver parfois le moyen de s'amuser. »
En avril 1945, il prend place dans le train fantôme, « deux semaines d'errance, de famine, de crasse » avant d'être libéré par les Soviétiques le 23 avril à Tröbitz. À Paris, il retrouve son père, sa mère et ses frères et sœurs. « Un miracle. »
Pendant cinquante ans, Jacques Saurel a été incapable de parler de ce traumatisme. C'est en retournant à Bergen-Belsen qu'un choc s'est produit, lui permettant de raconter ce qu'il avait vécu.
Depuis, il intervient régulièrement dans des établissements scolaires. C'est sans hésiter qu'il a répondu à la sollicitation de Laurine Gressent, Charlotte Lebret, Capucine Sinson, Baptiste Gaudelat, Arthur Besnoît et Victor Laroque, tous en terminale à Sainte-Marie, qui ont eu la bonne idée de l'inviter dans le cadre d'un projet pédagogique.

Des élèves qui ont pu aussi réaliser que l'homme n'avait rien perdu de son sens de l'humour. « Je vous ai parlé gratuitement de ma vie. Maintenant, à vous de m'interroger mais je vous préviens, les réponses seront payantes. N'oubliez pas que je suis juif ! »

Henri Brissot

Source La nouvelle republique