dimanche 23 mars 2014

L'incroyable machine de guerre d'Israël


Fort d'une industrie de pointe et d'une armée, Tsahal, prête à essayer tous les prototypes, l'Etat hébreu est devenu l'un des plus puissants marchands d'armes du monde. C'est un engin étrange, aux faux airs de Batmobile. Un drone futuriste que bichonnent deux techniciens dans un hangar discret de Yavné, morne zone industrielle au sud de Tel Aviv. L'AirMule, sorte de voiture volante d'une tonne dont les deux rotors sont intégrés au châssis –et donc protégés–, est conçu pour évacuer les soldats blessés ou transporter du matériel en zone de guerre urbaine, là où les hélicoptères, plus vulnérables, ne peuvent passer...




Rafi Yoeli, le patron de la start-up Urban Aeronautics, caresse le fuselage de la bête: "Il y a dix ans, cet engin relevait de la science-fiction, sourit cet ancien du géant Israel Aircraft Industries (IAI), où il avait participé au lancement du drone Scout dès 1976. C'est la deuxième révolution du secteur, après la création des premiers drones." Le prototype sera testé en conditions réelles fin 2014 dans le désert du Néguev, au sud du pays, sous l'œil de Tsahal, l'armée israélienne, et de l'US Navy, qui ont participé au financement.


7% du marché mondial


L'AirMule, futur carton commercial ? Ce ne serait pas le premier best-seller de l'armement Made in Israël. Avec 7,5 milliards de dollars d'exportations en 2012, deux fois plus qu'il y a dix ans, et 7% de part de marché mondial, Israël est désormais le cinquième vendeur d'armes du monde. Il devance même largement les Etats-Unis dans les ventes mondiales de drones, selon le cabinet Frost & Sullivan. "Israël a réussi à prendre des positions très fortes dans les pays émergents, notamment en Inde et en Amérique du Sud", souligne Guy Anderson, analyste en chef au cabinet IHS.
Fort de quatre champions qui réalisent 80% de leurs ventes à l'export (IAI, Elbit Systems, Rafael et IMI), l'Etat hébreu épingle même à son tableau de chasse des pays musulmans, tels la Turquie, l'Algérie ou le Pakistan! Comment ce pays de 8 millions d'habitants, plus petit que la Normandie, s'est-il transformé en une telle machine de guerre ? En opérations mi­litaires quasi constantes, Israël a réussi le tour de force de transfor­mer sa situation géopolitique en ar­gument commercial. "Le fait que nos produits, comme les radars ou les avions de surveillance, soient utilisés en grandeur nature par l'ar­mée israélienne est un atout déci­sif", confirme Boaz Nathan, respon­sable marketing d'Elta, la filiale électronique d'IAI.


Pionnier des drones


Tsahal joue les super-VRP des dro­nes Heron et Hermes, des missiles du champion israélien Rafael, ou encore du bouclier antimissile Iron Dome, qui intercepte les roquettes lancées de Gaza ou du sud du Liban. Pilier d'un pays qui consacre 5,7% de son PIB à la défense, et où le ser­vice militaire est une institution in­touchable (trois ans pour les hom­mes, deux pour les femmes), l'armée est aussi un partenaire ultraréactif pour l'industrie. "Ici, tout est fluide. Iron Dome a été développé en trois ans, assure Rafi Yoeli, à Urban Ae­ronautics. Il aurait peut-être fallu dix ans dans un pays plus grand." Cette capacité d'adaptation a fait d'Israël un précurseur de l'utilisation des drones, dix ans avant les Etats-Unis.
"Nous avons commencé à tra­vailler sur le sujet après la guerre du Kippour en 1973, où 40% de l'aviation israélienne avait été détruite faute de renseignements fiables, explique Shmuel Falik, direc­teur régional de Malat, la division drones d'IAI. Cette expérience nous a donné une avance technologique décisive : nous sommes en duopole avec les Etats-Unis sur les drones de surveillance." IAI développe la gamme la plus large du marché, du Butterfly, microdrone de 13 gram­mes capable d'entrer dans les bâti­ments, au Heron TP de 5 tonnes et au drone kamikaze Harop, qui peut tourner des heures pour identifier sa cible avant de fondre sur elle. Le concurrent Elbit Systems est leader des drones tactiques (courte por­tée) avec sa gamme Hermes.


Obsession du high-tech


Le mot d'ordre israélien : le high-tech, rien que le high-tech. "Israël s'est spécialisé sur des niches dont ses groupes sont leaders, comme les drones, l'électronique de défense, les missiles, les systèmes de défense aérienne ou la cyberguerre", ré­sume Pierre Razoux, directeur de recherche à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Ir­sem). "On ne se bat pas sur les prix ou sur des imitations des produits de la concurrence, confirme Daniel Friedmann, vice-président de la branche aérospatiale d'Elbit. Nous visons plutôt les marchés à forte valeur ajoutée, par exemple, les cas­ ques de pilotes de chasseurs ou l'avionique." Coté au Nasdaq, le groupe a vendu plus de 11.000 cas­ques sur tous les types de platefor­mes, des MiG-21 russes aux F-35 américains et Mirage 2000 français. Soit 85% de part de marché mondial.
Cette obsession du high-tech donne à l'arsenal militaire israélien des airs de film de science-fiction. Comme le bouclier antimissile qu'Israël est en train de développer : le système Iron Dome contre les roquettes ; David's Sling contre les missiles de moyenne portée ; et Arrow 3, un système dé­veloppé avec Boeing destiné à inter­cepter d'éventuels missiles balis­tiques dans l'espace. Rafael a même annoncé en février au Salon aéro­nautique de Singapour le développement d'un système, Iron Beam, qui détruira les roquettes par rayon la­ser, façon Star Wars…


Soutien massif américain


Israël s'attaquera-t-il un jour aux platebandes américaines sur les grands systèmes d'armes, comme les chasseurs ? "Le pays avait es­sayé de lancer son propre avion de chasse dans les années 1980, le Lavi, un projet torpillé par les Amé­ricains qui ne voulaient pas de cette nouvelle concurrence, rappelle Pierre Razoux. Désormais, les grou­pes israéliens se positionnent sur des matériels que les Etats-Unis ne proposent pas à l'export."
La contrepartie, c'est le soutien fi­nancier massif de Washington, qui verse à Israël 3 milliards de dollars par an sous forme d'aides militaires, soit 25% du budget de défense du pays. Derrière la réussite de l'indus­trie militaire israélienne, le grand frère américain n'est jamais loin.
 

Source Challenges